Le vice-amiral d’escadre Philippe Coindreau est depuis le 2 septembre 2013 à l’Amiral commandant la Force d’Action Navale (ALFAN). Précédemment, à la tête de l'état-major de la force aéromaritime de réaction rapide (FRMARFOR)1, il a notamment commandé la composante maritime française dans l’opération Harmattan en Lybie. Cette fois, cet officier général est à la tête d’un commandement « organique » avec des missions tout aussi passionnantes à mener.
« Amiral, quelles sont précisément vos responsabilités à la tête de la FAN ?
Il s’agit d’abord de mettre à la disposition des employeurs opérationnels, en toute zone, dans tout cadre d’action, à tout moment et dans la durée, des bâtiments de surface, des états-majors de force et des moyens navals, disponibles, qualifiés opérationnellement, armés par du personnel compétent et en suffisance, et équipé d’un arsenal réglementaire pratique.
C’est l’ensemble de ces responsabilités que l’on regroupe dans notre jargon militaire sous l’appellation « organique ». Concrètement, je m'assure que les commandants, nommés à la tête des 96 bâtiments de la Marine, disposent de tout ce qui leur est nécessaire pour réaliser leurs missions, confiées par le chef d’état-major des armées (Cema).
Pour ce faire, je m’appuie principalement sur un état-major composé de trois divisions qui œuvrent chacune dans leur domaine d’expertise : la division « entraînement » pour la qualification opérationnelle des équipages, la division « exploitation » pour le pilotage de la disponibilité technique des bâtiments et enfin la division « affaires générales », pour tout ce qui touche les ressources humaines notamment.
En outre, je possède un certain nombre d’autres responsabilités et délégations confiées directement par le chef d’État-major de la Marine comme ADT2, le soutien organique de FRMARFOR3et d’entités opérationnelles comme la CEPHISMER4, la FLOPHIB5, le COMETOC6et le CSGE7.
Amiral, sur quels théâtres d’opérations se déploie la FAN ?
L’une des caractéristiques de la FAN, c’est que ses bâtiments assurent une présence quasi mondiale, grâce à leur répartition géographique dans les ports nationaux et outre-mer, mais surtout grâce au formidable atout offert par la liberté de circulation sur les mers8.
De plus, un bâtiment de guerre constitue une entité complexe, qui est capable de réaliser, sous faible préavis, un large panel de missions ; allant du contrôle de cargaison sur un navire suspect au tir missile ou artillerie dans un combat naval ou une action contre la terre, en passant par des opérations à caractère humanitaire ou d’évacuation de ressortissants français. Il faut noter que les 96 bâtiments de la FAN ne sont pas tous identiques, mais tous sont capables de réaliser un large spectre de missions, à la hauteur de leurs capacités.
Certains bâtiments possèdent des capacités spécifiques qui les rendent particulièrement performants dans certains domaines. A titre d’exemple, une frégate de défense aérienne type « Forbin » est spécialisée dans la lutte anti-aérienne et l’escorte d’unités précieuses (porte-avions Charles de Gaulle, bâtiment de projection et de commandement). A ce titre, elle possède des moyens extrêmement sophistiqués, notamment pour la détection et la défense rapprochée (missiles anti-missiles, artillerie, contre-mesures électroniques, etc.).
Déployée, comme elle l’a été en mai 2010 au large de la ville de Nice pour le sommet des chefs d’Etats, elle a contribué à la protection contre les menaces aériennes en collaboration avec l’armée de l’air ; et a assuré, sous les ordres du préfet maritime, le commandement et la coordination de tous les moyens pour traiter une menace éventuelle, en provenance de la mer. Sous faible préavis, la même frégate, est capable de conduire une opération d’arraisonnement de narcotrafiquants, transitant par la mer ou encore d’être déroutée pour se pré-positionner au large d’une zone de crise.
Amiral, ce panel est impressionnant. Je suis persuadé que la plupart de nos lecteurs, hors du ministère de la Défense, ignorent l’étendue des missions que peuvent réaliser nos ‘bateaux gris’. Mais alors, que devient la FAN dans le nouveau paysage dessiné par le LBDSN et le cap fixé par la LPM et quels défis devez-vous relever ?
Le Chef d’État-major de la Marine s’est exprimé personnellement sur ce sujet : la marine conserve une ambition mondiale, mais avec une voilure un peu plus réduite. Les menaces rappelées dans le premier chapitre du Livre blanc sont très variées et amplifiées par la mondialisation. La dimension maritime y occupe une part importante, notamment pour la protection des approches maritimes de notre territoire national et la sécurisation des flux maritimes en général (pour mémoire, 90% du commerce mondial en volume transitent par voie maritime). Par ailleurs, les fonctions stratégiques de dissuasion nucléaire et de projection de force sont également maintenues. Elles concourent à la souveraineté de notre Etat, mais aussi à l’ambition politique de notre pays en sa qualité de membre permanent du conseil de sécurité des Nations Unies.
Pour la FAN, même si globalement le nombre de bâtiments de surface va diminuer dans la prochaine décennie, le cycle de renouvellement et de modernisation de la flotte est déjà lancé. C’est le cas en particulier avec l’arrivée des FREMM (frégate multi-missions) dont la première de la série devrait être admise au service actif dès 2014. D’autres programmes seront lancés dans les prochaines années, déclinés dans la Loi de programmation militaire.
Les défis sont nombreux : tout en répondant aux attentes fortes des employeurs opérationnels pour les missions que j’ai citées précédemment, je dois gérer la transition progressive de la flotte de surface vers des navires plus modernes, plus complexes technologiquement. Il faudra maîtriser leur emploi, tout en développant de nouveaux savoir-faire, rendus possibles grâce aux formidables bonds technologiques réalisés ces dernières décennies.
Mais un bâtiment, si complexe soit-il, n’est performant que s’il est armé par un équipage compétent, bien formé et entraîné. Ce sont ces hommes et femmes qui constituent toute la richesse de notre Marine et sur laquelle il m’appartient de veiller dans mon domaine de responsabilités. Ces équipages seront moins nombreux, mais ils devront être encore plus polyvalents, compétents et performants. Je sais que je peux compter sur eux pour affronter, ensemble et en équipage, ces défis passionnants »
Amiral, vous avez passé le témoin du commandement de l’ Euromarfor à l’Espagne, le 18 septembre dernier. Pouvez-vous nous dire, en quelques mots, ce qu’est l’Euromarfor et quel a été votre bilan à la tête de cette organisation ces deux dernières années ?
L’Euromarfor s’inscrit dans le paysage de l’Europe de la Défense. Elle constitue une capacité militaire navale non permanente, souple d’emploi, activable sur court préavis pour être engagée dans des opérations navales militaires. Sa capacité opérationnelle repose sur la coopération et le savoir-faire des marines des quatre pays fondateurs (Espagne, France, Italie et Portugal). Le commandement de cette force est tournant (tous les deux ans) et partagé entre ses membres.
Elle peut être employée pour des missions humanitaires et d’évacuation de ressortissants ; de maintien de la paix ; de gestion des crises, y compris des opérations de rétablissement de la paix.
Mon prédécesseur, le vice-amiral d’escadre Xavier Magne en a assuré le commandement (ndlr : du 15/09/11 au 02/09/13). Au cours de cette période, l’Euromarfor a été activée lors de deux exercices de guerre des mines en Méditerranée : « Olives Noires 2012 » et « Spanish Minex 2013 » et opérationnellement dans le cadre de la mission Atalanta de lutte contre la piraterie au large de la Somalie (5 périodes sous pavillon Euromarfor).
LA FRMARFOR EN BREF
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1 : Etat-major opérationnel projetable qui commande, depuis la mer, des forces aéro-maritimes, françaises ou alliées (OTAN, UE, coalition de circonstance).
2 : Autorité de domaine transverse
3 : État-major de réaction rapide projetable
4 : Cellule Plongée Humaine et Intervention sous la Mer
5 : Flottille amphibie
6 : Centre Opérationnel Météorologique et Océanographique
7 : Cf. pages suivantes partie « La FAN, réservoir d’expertises »
8 : Convention de Montégo Bay
Sources : Marine nationale
Droits : Ministère de la Défense