Ex commandant du Sous-Marin Nucléaire d’Attaque (SNA) Emraude, le capitaine de frégate Rémi Thomas rappelle les fondamentaux du métier de commandant, entamant son exposé par le COURCO ou le processus de sélection des commandants en place au sein des forces sous-marines.
« En 1917, l’Amirauté britannique a décidé, devant l’importance de ses pertes de sous-marins, de mettre en place un cours de commandement spécifique, le Perisher, pour sélectionner et former ses futurs commandants. Les résultats furent au rendez-vous et ce cours existe encore aujourd’hui avec les mêmes objectifs. Il est toujours aussi dur et les passionnés pourront se tourner vers l’émission « How to command a nuclear submarine », diffusée sur Discovery Channel il y a quelques années.
Moins connu mais tout aussi exigeant, le cours de commandement des sous-marins français, le « COURCO », existe depuis 1954. Plus de quatre cents commandants de sous-marins y ont résisté. Ce cours ne constitue cependant que l’étape finale d’un processus qui commence pour les officiers sous-mariniers dès leur premier embarquement.
Tout au long de leur parcours sur sous-marin, ils sont en effet évalués par les officiers « entraînement » des escadrilles lors des entraînements à terre sur simulateur puis en mer lors de la mise en condition de l’équipage. Ce contrôle externe est complété par un avis du commandant en fin de cycle. Cette attention permanente peut sembler pesante mais elle garantit une connaissance très fine de la population et une grande équité de jugement.
Elle participe également à la réputation de dépassement de soi, de capacité de remise en cause et d’extrême rigueur du personnel des forces sous-marines. Formellement, l’accès au poste de second de SNA vaut qualification pour le Courco, que l’officier suit normalement après un cycle de commandant en second.
Un seul cours de commandement est programmé par an. Il regroupe entre trois et six stagiaires sur une durée de quatre à cinq semaines. Il est articulé en deux phases.
La phase « terre » est dédiée à la rencontre des partenaires habituels des sous-marins, – commandants de théâtre et de force, « camarades de jeu » des forces spéciales ou de l’aéronavale, services de renseignement, à l’analyse du retour d’expérience et à l’entraînement au périscope d’attaque sur simulateur.
La phase « mer » recouvre en deux à trois semaines la lutte anti-sous-marine, la lutte anti-navire et les opérations littorales.
Le Courco « mer » s’appuie traditionnellement sur l’exercice majeur SQUALE de la force d’action navale pour bénéficier d’un haut niveau de concours. Une torpille au moins est tirée par chaque stagiaire, indifféremment contre sous-marin ou contre bâtiment de surface.
L’évaluation des stagiaires est laissée à l’appréciation de l’officier « entraînement », chef de la division « entraînement » de l’ESNA et responsable du cours de commandement pour la FOST. ALFOST et le chef d’escadrille des SNA embarquent cependant sur la phase finale du courco et contrôlent le niveau atteint.
La prestation au Courco fait enfin l’objet d’une insertion au livret « chef du quart » des stagiaires, pris en compte lors de l’examen final du dossier.
Un commandant de SNA est sélectionné sur neuf critères : sa capacité à assurer la sécurité du porteur dans toutes les configurations, sa résistance au stress, son leadership, sa capacité d’écoute et de remise en cause, son sens tactique, sa maîtrise globale de la plateforme, son endurance, son aisance naturelle et sa probité. Les huit premiers sont les critères généraux d’évaluation des officiers sous-mariniers. Ils sont suivis tout au long de leur carrière. Le neuvième, la probité, est propre au cours de commandement : il recouvre les qualités d’intégrité, d’honnêteté intellectuelle, de fidélité et de constance à la mission confiée.
Le sous-marin est une machine très complexe. Il impose de fait une forte implication du commandant dans le traitement et l’analyse des aléas techniques. La forte intégration des matériels, l’agression permanente de l’environnement liée à la navigation en plongée, la concentration des risques internes (air et huile sous pression, chaufferie nucléaire, risque vapeur, armement…) nécessitent une bonne maîtrise technique et une certaine agilité intellectuelle dans l’analyse des risques et la gestion des priorités.
En matière d’opérations, le commandant est la plupart du temps en première ligne. C’est d’abord lié à son positionnement au central opérations : au périscope d’attaque, il est d’ailleurs le seul lien entre l’équipage et la « vue ». D’une certaine façon, il est les yeux du bateau et la sécurité de l’ensemble dépend de la compétence d’un seul. C’est une responsabilité conséquente qui ne se partage pas. Le commandant est de fait très souvent « à la manœuvre », en contact direct avec les équipes de conduite. Ajoutons que sa chambre est à un mètre du poste central navigation opérations et vous comprendrez qu’il est omniprésent dans la mise en œuvre du sous-marin. Cette forte implication se traduit par une grande proximité avec l’équipage. Cette omniprésence ne veut cependant pas dire omniscience et il faut au commandant une bonne dose d’humilité pour ne pas céder au sentiment de surpuissance. Enfin, le caractère discontinu des transmissions du sous-marin – qui ne reprend contact avec son contrôleur que toutes les douze heures environ – entraîne une certaine solitude dans l’exercice du commandement, ou, du moins, l’exigence d’une certaine autonomie de décision.
En conclusion, commander un sous-marin c’est, selon moi, posséder une grande maîtrise technique de son bateau, être capable de d’analyser et de décider vite en opérations comme face à une avarie ou à un évènement de mer, de gérer les risques sans frilosité excessive, parce que les risques sont toujours présents dans la mise en œuvre d’un sous-marin, d’être proche de son équipage en restant humble et à l’écoute de ses subordonnés, de remplir enfin la mission confiée avec autonomie et persévérance »
Sources : Marine nationale
Droits : Ministère des armées