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FRÈRES D’ARMES

Mise à jour  : 03/05/2013 - Direction : SIRPA Marine

« Pacha » du commando De Penfentenyo, pendant des opérations en Afghanistan, le capitaine de corvette Sébastien X a commandé ses 60 hommes sous le feu de l’ennemi.

«Si le cycle d’une unité de commando marine est globalement comparable à celui d’une unité navigante, sa phase opérationnelle diffère quelque peu : la prise en main du commando lors de la période de mise en condition permet à son commandant d’avoir une vision parfaite de son «système d’hommes» et de ses capacités.

En revanche, dès que débute la phase opérationnelle, il n’appareille quasiment plus en équipage constitué.  Cette spécificité est liée à au moins deux facteurs : à la spécialisation des commandos et à la variété des missions qui nécessitent de former des détachements à la carte, en agrégeant des capacités d’unités différentes. Avec un peu de chance, en enchaînant plusieurs missions au cours d’un commandement, on parvient à connaître pratiquement l’ensemble des commandos.

Polyvalence, adaptabilité, réactivité, gymnastique géopolitique intellectuelle ou relations humaines… Telles sont les qualités qui doivent ainsi caractériser les commandants de commando, susceptibles d’être projetés comme chefs tactiques sur des océans liquides… et parfois solides. Presque toujours dans un contexte interarmées et interallié. Souvent au feu.

Me revient ainsi en tête, une anecdote très parlante.  Un océan de montagnes… des vagues solides de 2500 à 3000 mètres de haut, habitées par un poisson dangereux, omniprésent et fugace. Ce soir-là de décembre, il fait 4°C. Nous sommes vendredi, les permissions de Noël viennent de commencer. En France.

La nuit est claire, le silence profond. En apparence.

En un éclair, c’est l’apocalypse. La guerre. La vraie. Pas celle du stage commando. Nous l’apprendrons plus tard, l’équilibre est presque parfait entre l’adversaire et le commando que je commande. Une soixantaine de part et d’autre.

Le bilan : 40 adversaires neutralisés. Quant à moi, j’ai perdu un de mes hommes, tombé sous mes yeux. Un autre, blessé, a été touché d’une balle à l’épaule. Ce triste bilan aurait pu être bien pire.

Le commandement dans tout cela ? Evidemment, on n’y pense pas sur l’instant. Plus le temps. En fait, tout doit être intégré, digéré. Le leadership, la tactique, l’éthique. L’école navale et l’école des fusiliers sont bien loin. Mais elles m’ont bien formé. Le commandement sous le feu, je ne l’avais pas vraiment imaginé comme cela. Bien plus violent que dans les livres. L’adrénaline se mêle à la peur, obligeant à faire les choses de façon méthodique. J’ai un système d’hommes sous mes ordres, parfaitement huilé, drillé. J’ai 60 vies. 60 fois une vieen fait. Ce n’est pas un jeu. Là, les munitions tuent pour de vrai.

Je ne pense qu’à une chose : la mission. Et à préserver mes hommes. Pas un pas sans appui, sinon la sanction est immédiate. Les ordres à peine susurrés sont appliqués ; les comptes-rendus sont précis, clairs. Je dois sans cesse coordonner et catalyser les énergies. Me concentrer sur ma manœuvre, l’extraction de Strong[1]et la sortie de ce nid de vipères. Heureusement, je ne suis pas seul. Sauf pour prendre les décisions. Il s’agit de prendre rapidement les moins mauvaises, au milieu des balles et des roquettes toutes proches qui fendent les airs et qui parasitent la réflexion.

Je suis fier de mes hommes. J’apprendrai - plus d’un an après - qu’ils ont été fiers de leur chef. Je n’en demandais pas tant. Chacun a travaillé à niveau. Tout simplement. Maintenant, après celui du béret vert, un second lien nous unit. Celui de la nuit du 17 décembre. Une Band of Brothers est née, indestructible. Strong, personne ne t’oublie. »

Pour conclure, quelles sont les finalement les spécificités d’un commandement de commando ? Certainement le côté « chef de bande », qui se superpose parfois à celui de chef de corps, sans pour autant l’occulter. Mais surtout la fierté d’être le chef - en CDD - d’une famille authentique, dont la puissance est démultipliée par la qualité et la richesse de ses membres. Une famille qui, à l’instar d’une famille biologique, passe parfois par des moments tristes, largement compensés par tous ses moments heureux.

D’ailleurs, l’envie de signer un nouveau CDD revient dans la minute qui suit la passation à son successeur… »

[1] : Le Maître Jonathan Lefort, mort au combat en Afghanistan, dans la nuit du 17 au 18 décembre 2010.


Sources : © Marine nationale
Droits : Ministère des armées