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RETOUR D’EXPÉRIENCES

Mise à jour  : 03/05/2013 - Direction : SIRPA Marine

Le vice-amiral d’escadre (VAE) Xavier MAGNE est actuellement l’Amiral commandant la Force d'Action Navale (ALFAN). Auparavant, il a exercé plusieurs commandements dont ceux d’unités emblématiques de la Marine avant de commander une force navale déployée en océan Indien.

 «Un jour, un ami m’a demandé ce que c’était que « commander ». J’avoue que sur le moment j’en suis resté passablement interloqué tellement cela me semblait évident. A la réflexion, j’ai trouvé que la question avait du sens et que la réponse méritait qu’on lui consacre un peu de temps.

J’ai eu l’honneur de me voir confier au cours de ma carrière le commandement de trois unités de combat, d’une force navale et d’une force interarmées. Le premier commandement était la Quatorzième Flottille d’Assaut embarquée (14F) équipée de Super Etendard dont la mission était la transformation opérationnelle des jeunes pilotes venant des écoles de pilotage de début et de l’école de spécialisation. Cet outil de combat était gréé avec des spécialistes de haut niveau, chacun étant très bon dans son domaine (pilotes comme techniciens) ce qui donnait une très forte synergie.

Le deuxième commandement, très différent, était le pétrolier ravitailleur Meuse dont la mission était simple. Mais si l’outil apparaissait comme mono-tâche, il était très spécialisé et armé par des hommes qui, s’ils étaient un peu moins spécialisés que dans la flottille, avaient, à n’en pas douter, un esprit d’équipe exceptionnel qui donnait à l’ensemble une excellente aptitude, fondée sur la confiance et le respect mutuel. Le troisième commandement a été le porte-avions Charles de Gaulle. Avec un équipage de 1 200 hommes et femmes, si l’on ne compte pas le groupe aérien embarqué, présents dès que le porte-avions est à la mer, ce commandement représente une expérience prodigieuse et unique. Il y avait en particulier une connivence profonde au niveau de la direction et, par effet de contrecoup, avec l’ensemble de l’équipage.

Par la suite, il m’a été donné également de commander une force navale déployée en océan Indien et une force interarmées déployée en Méditerranée orientale, expériences d’un autre ordre puisque ce qui compte à ce moment-là est plus la relation de confiance établie avec les commandants de bâtiments ou d’unités des autres armées pour que l’ensemble de la force soit le plus efficace possible. C’est réellement un métier complètement différent compte tenu des enjeux qui sont beaucoup plus élevés. En effet, la défection d’un bâtiment ou d’une unité, détruite au combat, rendra plus difficile la manœuvre mais ne la rendra pas impossible, la défection d’une force complète aura nécessairement des implications différentes.

Au final, un commandement ne devrait être au fond qu’une grande et belle histoire d’estime et d’amitié entre le commandant et les hommes et les femmes qui sont placés sous ses ordres pour lui permettre d’accomplir la mission qui lui est confiée.

Au cours de mes différents commandements, ces hommes et ces femmes m’ont donné infiniment plus que ce que j’ai pu leur apporter moi-même. Des années après, j’ai encore très présent à l’esprit cette estime et cette amitié profonde que j’ai eue et que j’ai toujours pour chacun d’entre eux.

Tous dans leur domaine ont fait preuve d’une maturité tout à fait étonnante quand on pense que la moyenne d’âge est de vingt trois ans environ, que chacun a une histoire très différente de celle des autres et une motivation pour son métier parfois assez surprenante. Il me semble que les cinq années passées à la tête de la 14F, de la Meuse et du porte-avions m’ont permis de créer des liens indestructibles, des liens que, pour ma part, je n’oublierai jamais. Sur le Charles de Gaulle, en descendant de ma passerelle, j’avais l’habitude de prendre ces volées de marches menant huit ponts plus bas et le simple fait de passer la tête dans la régie télévision de pont d’envol dont la porte était généralement ouverte, me faisait découvrir, à travers le grand sourire de son occupant ou de son occupante, la joie de vivre de toute une équipe.

J’ai aimé pouvoir m’arrêter deux minutes dans une coursive ou dans un local où des membres d’équipage travaillaient pour écouter ce qu’ils avaient à me raconter, ce qu’ils faisaient, leurs interrogations, leurs doutes et répondre à leurs questions pour tenter de leur expliquer avec mes mots à moi ce qu’était notre mission, où était sa grandeur, quels en étaient les enjeux afin qu’ils comprennent mieux le sens de leur travail, et de leur engagement, qu’ils sentent leur utilité dans cette grande chaîne de solidarité qu’est un bâtiment quel qu’il soit.

Une journée à bord du porte-avions Charles de Gaulle, c’est comme si des milliers de rayons de soleil traversaient sans cesse ma journée, avec la joie de voir les avions revenir sans incident, de constater que toutes les équipes, qu’elles soient de pont d’envol, de propulsion, de restauration, d’entretien ou d’opérations avaient effectué leur travail en s’étant dépassé, en ayant fait un peu mieux que la veille en toute sécurité. Et quel déchirement lorsqu’un garçon ou une fille se blesse dans son travail, un couteau qui glisse dans la main, une chute dans une coursive ou dans un lieu de travail, une épaule déboîtée, une barre de remorquage qui revient violemment et qui frappe un tibia, un pied qui glisse dans une échelle et un tendon qui s’arrache. Que de drames petits ou grands, d’échecs et de succès, d’initiatives ou de coups d’éclat, de douleurs, de tristesses ou de joies qui composent comme un gigantesque puzzle, l’âme de cet ensemble complexe qu’est un porte-avions et qui, une fois compris et acceptés, rayonnent doucement dans le cœur de ceux qui les ont vécus, et font qu’un militaire n’est pas et ne sera jamais quelqu’un de tout à fait ordinaire».  


Sources : © Marine nationale
Droits : Ministère des armées