Des chercheurs du département « Environnement opérationnels » de l’IRBA ont conduit une recherche permettant d’étudier les effets des environnements extrêmes sur les préférences alimentaires. Le but : identifier les envies du soldat pour adapter son alimentation à l’environnement particulier où il est déployé. Si cette problématique répond à un besoin des forces, elle n’avait encore jamais été étudiée auparavant sous cette forme.
Les études sont formelles : les militaires perdent du poids en opérations et cette perte n’est pas sans conséquence sur la réussite de la mission (diminution des performances physiques et cognitives) et la santé (carence, fatigue, blessure). En seulement 4 jours, des pertes de plus de 3 kg ont été observées chez des soldats norvégiens en mission d’entraînement à ski dans le grand froid1. La cause est clairement identifiée : les apports énergétiques ne sont pas adaptés aux niveaux élevés de dépense énergétique induits par la réalisation d’activités physiques intenses en climat contraignant.
Garantir la capacité opérationnelle
Le programme de recherche sur les préférences alimentaires mené par l’unité physiologie de l’exercice et des activités en conditions extrêmes de l’IRBA est né d’un constat : les rations fournies par le Centre d’Expertise de Soutien du combattant et des Forces (CESCOF) ne sont pas toujours adaptées au climat des opérations extérieures. Certes, comparés à d’autres armées, les soldats français sont bien lotis avec des rations dont la qualité gustative et nutritive est connue et une variété des aliments proposés (un militaire peut tenir 14 jours sans manger deux fois le même plat). Mais rares sont ceux qui ont envie de réchauffer le cassoulet ou la tartiflette de leur ration sous le soleil de plomb du Sahel. Dans ces conditions contraignantes, comment assurer des apports suffisants et limiter la perte de poids ?
Les besoins énergétiques journaliers du militaire, habituellement compris entre 2500 à 3000 kcal, peuvent atteindre 5500 kcal lors de missions en milieu arctique. « Pour lutter contre le froid, l’organisme doit produire lui-même de la chaleur en frissonnant par exemple, ce qui augmente la dépense énergétique » explique Keyne CHARLOT, chercheur à l’IRBA. Le froid présente toutefois un effet bénéfique : le militaire ressent le besoin de manger plus, c’est l’effet orexigène. Dans cette situation, certains individus vont consommer jusqu’à 5500 kcal et vont parvenir à ne pas perdre de poids ! Mais ces individus sont rares et la plupart ne parviennent pas à manger suffisamment. En 2017, au retour de missions en milieu grand froid où les rations lyophilisées fournies par le CESCOF étaient « améliorées » par des aliments achetés par les commandos montagne, ceux-ci établissaient le même constat que leurs camarades de la mission Barkhane : il existe une voie d’amélioration pour adapter l’alimentation aux besoins opérationnels.
Avant de modifier le contenu des rations, il était nécessaire de savoir si les environnements extrêmes allaient modifier les préférences alimentaires des soldats car aucun chercheur n’avait encore publié sur le sujet. Le seul outil scientifique disponible était le questionnaire sur les préférences alimentaires établi par l’université de Leeds2. M. CHARLOT a eu l’idée de l’utiliser et de l’adapter aux habitudes alimentaires françaises. Les 16 aliments issus de la culture anglaise (cheddar, jelly…) ont été remplacés par des équivalents bien plus familiers pour une population française (pain aux raisins, camembert). Il a également été très raccourci pour faciliter son utilisation sur le terrain. La méthodologie a été modifiée car le LFPQ demande non seulement aux participants de choisir entre deux aliments celui qu’ils voudraient manger le plus, mais tous les aliments dotés d’une qualité gustative (sucré par exemple) doivent aussi être comparés à tous les aliments dotés des autres propriétés (salé, gras et non gras), ce qui implique de faire 96 choix ! Le nouveau questionnaire, publié dans la revue Physiology & Behavior3, propose de classer les 16 aliments par ordre de préférence et chaque qualité gustative se voit attribuer un score par un jeu de coefficients. Plus celui-ci est élevé, plus le désir de consommer ce type d’aliments est important. La version numérique est en cours d’élaboration afin de se doter d’un outil utilisable en direct via une application de smartphone.
Des rations sur mesure
Vue du camp lors du raid au Groenland. Crédits photo GMHM
Le but est d’utiliser ce questionnaire lors d’expositions prolongées à des environnements extrêmes afin de suivre l’évolution des appétences au cours de ces missions. Au 1er trimestre 2019, il a déjà servi lors d’un raid d'un groupe de commandos de montagne (GCM) encadré par le groupe militaire de haute montagne (GMHM) au Groenland. L’IRBA et le GMHM avaient préparé des rations sur mesure (en partie à partir des produits du CESCOF) pour les participants qui se déplacaient chaque jour pendant 5 à 6 h sur la banquise. En plus du petit-déjeuner et du repas du soir composés de plats lyophilisés, les militaires disposaient de collations qu’ils prenaient toutes les heures (gels et barres énergétiques, mini-portions de charcuterie et l’ingénieux duo tortilla-fromage qui a fait l’unanimité). L’idée est toujours la même : limiter la perte de poids et étudier le comportement alimentaire. Et cela fonctionne ! Certains ont perdu du poids mais de façon moins importante que les Américains ou les Norvégiens. « Les préférences alimentaires sont modifiées par l’exposition chronique au froid » conclut le scientifique qui a conduit l’étude et co-auteur de l’article susmentionné. Les résultats attestent d’une envie de sucre prégnante 10 jours après le début du raid. Des études sont nécessaires pour identifier les raisons métaboliques et/ou psychologiques de ce besoin de sucré mais cela indique que le contenu du sac alimentaire peut encore être amélioré pour les prochaines missions.
L’étape suivante de ce travail sera d’étudier les envies alimentaires des militaires non acclimatés au cours d’une exposition chronique à la chaleur (en Guyane, à Djibouti). L’objectif à terme, là encore, est d’adapter la ration aux conditions d’emploi des forces et à leurs contraintes.
L'étude des environnements extrêmes permet déjà à l'IRBA d'émettre des recommandations et de mettre en place des contre-mesures en termes d'acclimatation, de sommeil et d'exercice physique. La prise en compte de la nutrition permettra de compléter ce propos afin de préserver la santé du militaire en opération et d’accroître la capacité opérationnelle de l’armée.
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1 Effects of Supplemental Energy on Protein Balance during 4-d Arctic Military Training, Margolis et al. (Medicine & sciences in sports & exercise, 2016)
2 Leeds Food Preference Questionnaire (LFPQ), de 2007.
3 Physiology & Behavior, volume 199, 1 february 2019, pages 244-251
SACE Gabrielle Gabelle, IRBA
En savoir plus : M. Keyne CHARLOT, MC Cyprien BOURRILHON, MC Alexandra MALGOYRE – IRBA, Unité Physiologie de l’exercice et des activités en environnement extrêmes
Lire l’article scientifique : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/30465807
Sources : ©Irba
Droits : ©DCSSA