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La Machine humaine

Mise à jour  : 24/10/2012 - Direction : SIRPA Marine

LeVice-amiral Jean Casabianca est avant tout un humaniste et un opérationnel. Il arrive aussi bien à maintenir en mouvement un bateau que de tenir un cap avec son équipe. Le cap est toujours celui du succès des opérations.

«Vous ne vous considérez pas vraiment comme un ENERG. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi?»

« Pour moi la spécialité ENERG n’est pas une finalité mais un moyen ! Je ressens toujours ces appellations de spécialité comme réductrices et surtout n’illustrant pas l’éclectisme et la richesse de nos métiers ! Suis-je plus ENERG que LOG, plus LOG que NUC? Suis–je OPS ou pas ? Voilà une dialectique qui peut animer un débat en soirée au Carré en patrouille, mais qui ne fait pas une carrière… Je suis avant tout un marin et un officier de Marine. Officiers, officiers-mariniers, quartiers-maîtres et matelots, nous formons une communauté de compétences dans laquelle l'ENERG apporte l'énergie pour l'outil de combat qu'est le sous-marin, la frégate ou le porte-avions.

Maître à bord de l'énergie il participe à l'opérationnel : comment lancer une torpille sans un circuit d'huile qui fonctionne, comment détecter sans électricité, comment catapulter sans maîtriser la vapeur? Et que faire sans chef pour donner le cap, faire les choix, prendre les décisions et au final les assumer ?

D'ailleurs cette différenciation n'existe pas à l'extérieur de la Marine. Au cabinet du ministre, voire même à la DRH-MD personne ne cataloguait les marins comme ENERG, AVIAT ou DETEC. Appartenir à cette « corporation des gens de mer» est en soi LA différence.

«En quoi consistent les savoir-faire de ces officiers en machines?»

« La technique n'est rien, même pour un ENERG. Ce qui compte ce sont les gens que vous commandez et ce qu’ils sont disposés à vous apporter. J'ai confirmé un constat d’expérience en occupant les fonctions de gestionnaire RH à la DPMM pendant trois ans : il n'y a pas de machine que l'on ne sache pas réparer, mais quand l'Homme est cassé c'est terminé, le mal est fait et souvent irréparable. Aussi je m'inquiète plus pour mes hommes, leur formation, leur adaptation à l’emploi, leur environnement, leur parcours et leurs perspectives que pour les machines. Sans eux je ne peux rien. C’est la raison pour laquelle j’ai conseillé au CV Augier d’accepter le poste de gestionnaire. Cela apprend beaucoup et surtout cela permet de relativiser et de garder de la hauteur vis-à-vis de la technique. »

«Les ENERG doivent justement composer avec des équipes relativement complexes et ce avec ce haut niveau de responsabilités. Dans quelle mesure cela a été difficile pour vous?»

« Nous sommes entourés de personnels à très haut degré de technicité quels que soient les grades. Notre statut d’officier nous impose compétence et implication, sous le regard curieux, sans concession et confiant de nos équipes. S'ils reconnaissent en vous une plus-value, c'est-à-dire une capacité à comprendre pour prendre des décisions et les responsabilités qui en découlent, alors vous serez respecté en tant que chef. Ainsi, je me souviens encore du maître principal Viviani dès mon 1er embarquement comme chef du sous-marin La Praya en 1984. La première fois qu'il m'a demandé après une avarie « Qu'est ce qu'on fait chef ? » j'ai compris que je devais prendre pleinement ce rôle de décideur et choisir une option. Lorsqu'il a répondu « Bien chef ! » j'ai su qu'il me faisait confiance, mieux, que j’avais sa confiance et son respect. Ce métier qui nous oblige à être en contact avec les gens, à composer avec leurs forces et leurs faiblesses, fait de nous de vrais managers. »

«Aujourd’hui, adjoint au Major général des armées, vous êtes loin des machines. Elles ne vous manquent pas trop?»

« J’ai eu la chance de naviguer de longues années sur de nombreux sous-marins et bâtiments de surface ! Certes, aujourd’hui la mer me manque toujours un peu mais les machines ne me manquent pas. Il faut dire que j’ai un autre moteur : la gouvernance d’un ministère complexe, les enjeux d’une loi de programmation, le service des armées. C’est toujours aussi motivant de servir la Nation. Ayant pour principe de ne jamais aborder avec a priori une affectation je ne m’y suis jamais ennuyé et j’ai toujours appris. J’ai ainsi particulièrement apprécié mon affectation à l’Ecole navale comme Veuve pour les défis que nous avons du y relever (création d’une 3èmeannée, accueil de l’Ecole du commissariat, construction d’un nouvel ensemble immobilier…) puis celle au cabinet du ministre (Livre blanc de 2008 et LPM, fin du Clemenceau, lutte anti-piraterie en Océan indien…), et ensuite au SGA comme chef du service de la politique générale des ressources humaines du ministère. Comment rêver parcours plus riche et éclectique que celui que m’ont offert la Marine et les armées ? Et dans chacune de ces fonctions j’ai succédé et j’ai été remplacé par des officiers, marins ou terriens ou aviateurs, sous-mariniers ou surfaciers, sélectionnés sur leurs aptitudes et leurs qualités et non pas sur leurs spécialités»

«Pour en arriver là vous avez fait du quart en passerelle dès vos premières affectations. Comment combiner deux métiers en même temps?»

« Ah c’est sûr je ne dormais pas beaucoup mais la passion du métier vaut toutes les amphétamines. Je ne vous cacherai pas que si vous attendez une forme d’assistanat pour avoir une carrière complète, c’est raté ! Vous n’aurez pas de temps aménagé pour faire du quart à la passerelle lorsque vous êtes prévu ingénieur de quart. Nous sommes des cadres et en tant que tel nous devons prendre notre avenir en main. Je voulais et j’ai eu ! La marine est toujours disposée à donner à condition de s’investir et d’oser.

La carrière d’un marin ressemble à un voyage en train à travers un magnifique paysage. On peut toujours rêver en attendant d’arriver au bout du parcours. Mais même si on n’arrive pas plus vite on est plus riche à la fin du périple si l’on change de wagon en cours de route : riche de rencontres, riche d’expérience, riche de souvenirs, en un mot, comblé »

«À l’heure d’une Marine aux équipages rationalisés, le métier d’ENERG risque-t-il de changer?»

« Les équipages optimisés vont bouleverser le métier. Les machines seront certes de plus en plus faciles à utiliser mais en même temps plus difficile à réparer même si l’aide au diagnostic sera améliorée. Or le nombre d'intermédiaires entre le chef et la machine va quant à lui diminuer. Les hommes devront être encore plus compétents pour reprendre en manuel les instruments et les réparer. Quant au chef, il devra prendre des décisions toujours plus structurantes mais sera forcément de plus en plus seul. La solitude du commandement sera doublée de la solitude de l’exécution. Seul face à la mer, comme au bon vieux temps»


Sources : © Marine nationale
Droits : Ministère des armées