Une Casquette de commandant

« Les bordaches ont tendance à préférer les spécialités dites Opérationnelles. Dans quelle mesure avez-vous choisi votre spécialité ENERG? »

« Je voulais être atomicien et vivre la satisfaction de mettre en œuvre ces installations complexes. Et je l'ai vécu grâce à mes affectations sur SNA et SNLE. Mon plus beau souvenir est le grand entretien du sous-marin. Tout est démonté, tout est vidé. C'est l'occasion d’acquérir la maîtrise complète de son bateau. Quant à l'assemblage et aux essais avec la remontée en puissance du sous marin un régal ! La grande richesse du métier d'ENERG dans la Marine réside dans la double fonction : l'entretien et la conduite des machines. Chez EDF par exemple un homme ne fait que l'un des deux.»

« Mais cette spécialité ne vous a pas empêché de commander des bâtiments à la mer. Comment avez-vous vécu ces expériences? »

« Ce n'était pas simple mais c'était faisable avec de la volonté. J'ai maintenu ma qualification de chef de quart en parallèle à mon métier d'ENERG et j'ai pu commander le BCR Marne. Ayant été « second » lors d'une affectation précédente j'étais bien préparé à enfiler cette casquette. Ensuite j'ai commandé la Jeanne d'Arc. Là encore c'était un bâtiment que je connaissais parfaitement. Assisté d’un Comanav très professionnel, je restais très attentif tout de même aux bruits de la machine, aux comptes-rendus, car je les comprenais parfaitement. »

« Vous avez servi sur les trois types de bâtiments à propulsion nucléaires. Etaient-ce des métiers très différents? »

« Il n'y a pas de différence entre le métier d'ENERG sur SNA et sur SNLE, en revanche le rythme n'est pas le même. Sur SNA nous avons toujours la possibilité de remonter en surface ou de communiquer avec l'extérieur. Sur SNLE l'enjeu est plus complexe. Le sous-marin reste tapie sous l'eau quoi qu'il arrive et ce pendant plus de 70 jours. Quant à l’expérience sur le PA Charles de Gaule elle fut très enrichissante. A 35 ans je dirigeais les deux cœurs nucléaires du porte-avions. Ce fut intense car nous découvrions la puissance de notre PA alors même que nous étions déployés au large du Pakistan dans le cadre de l'opération Enduring freedom. »

« Pour en arriver là, vous avez eu un maître peu ordinaire : le vice-amiral Jean Casabianca. Que vous a-t-il appris ? »

« Il m'a surtout appris l'humilité face aux hommes et face à la machine ! Lors de ma première affection en SNA, il était déjà mon supérieur. J'avais dû apprendre compartiment par compartiment tous les systèmes dans ses moindres recoins. La fameuse vanne DY250 était bien cachée et j'avais mis des jours à la trouver. Aujourd'hui encore je la retrouverai les yeux fermés ! Bien plus tard, lorsque je commandais la Jeanne d'Arc, avec l'équipage, nous avons battu le record de vitesse du bâtiment: frôlant les 30 nœuds. Une prouesse technique dont je suis encore très fier pour les mécaniciens et d'autant que le VA Casabianca était présent à bord pour voir ça. »

«Être Energ, est-ce être confiné dans les machines? »

« Nous sommes liés aux machines. Un officier ENERG, tout comme ses hommes, est quotidiennement à l'écoute de ses machines. Nous devons permettre au bateau d'aller partout où la mission le conduit. Mais on est ingénieur dans tous les sens du terme : que ce soit dans la technique ou dans le management de nos équipes. Un bon ENERG est avant tout un marin qui doit comprendre la mer. Un bon chef de section ENERGIE PROPULSION ne peut pas décolérer son matériel de la réalité : le navire est sur l'eau.»