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Retour sur une expérience hors du commun

Mise à jour  : 18/06/2020 - Direction : DCSSA

« Nous étions forts et unis, tournés vers un seul but : combattre le coronavirus »

Interview de l’IA3G Hélène, infirmière anesthésiste au bloc opératoire de l’hôpital d’instruction des armées (HIA) Bégin

L’IA3G Hélène est infirmière anesthésiste à l’hôpital d’instruction des armées Bégin. Affectée au pôle anesthésie, réanimation, urgence, bloc opératoire (PARUBO), elle travaille au sein du bloc opératoire, en anesthésie.

Dès le début de la crise, l’activité du bloc opératoire est mise en sommeil. Les moyens ainsi libérés sont consacrés à la lutte contre la COVID-19. L’IA3G Hélène vient alors renforcer les effectifs du service qui est créé au 3e étage de l’hôpital pour accueillir 20 lits supplémentaires de réanimation en chambre individuelle. Elle participe à l’acheminement du matériel nécessaire à l’équipement de la nouvelle unité (moniteurs de surveillance, respirateurs, pousses-seringues…), avant d’intégrer l’équipe soignante du service qui prend en charge des patients confirmés COVID-19.

Elle revient pour nous sur cette expérience hors du commun.

« Pour éviter la saturation des structures sanitaires spécialisées et anticiper l’afflux massif de patients nécessitant des traitements sévères et lourds, la capacité en lits de réanimation de l’hôpital Bégin est passée de 12 à 32 lits. Une unité de réanimation a entièrement été créée au troisième étage, à la place de l’unité de soins intensifs en cardiologie (USIC) et de la cardiologie.

Au bloc, seules les urgences chirurgicales ont été prises en charge. Les infirmiers anesthésistes diplômés d’État (IADE) qui n’étaient pas dédiés aux urgences, ont apporté leur concours aux services de réanimation, ont formé les soignants à la prise en charge spécifique des patients COVID-19, ont participé à la mise en place de l’élément militaire de réanimation du service de santé des armées (EMR-SSA) déployé près de Mulhouse(1), ont pris part au transfert de patients COVID-19 vers d’autres services de réanimation en province, ont assuré une mission de soutien des forces sur les terrains extérieurs (OPEX). Certains d’entre nous ont également assurés des astreintes Morphée(2) et Mérope(3).

L'une des principales difficultés soulevées par la COVID-19 était de devoir acquérir, en un temps très court, une multitude de compétences spécifiques : bon usage des équipements de protection individuelle, gestion des voies aériennes du patient COVID-19, mise en décubitus ventral(4) (DV) d’un patient intubé…

L’accès libre aux informations scientifiques a été une ressource déterminante. J’ai beaucoup exploité la plateforme de l’Université Numérique en Santé et Sport (UNESS) qui a proposé une formation de mise à niveau sur la COVID-19 à tous les professionnels de santé même ceux qui n’étaient pas inscrit à l’université.

Les procédures et les préconisations, les recommandations d’experts, les points hebdo, les émissions spéciales de la Société Française d’Anesthésie et de Réanimation (SFAR), les partages d’expériences sur les réseaux sociaux, m’ont également permis d’ajuster ma pratique au fur et à mesure de l’évolution des connaissances.

Nous avons également connu des moments de grande tension. Prendre en charge des patients dans une unité ultra spécialisée en pleine construction(5) s’est avéré très anxiogène. Le rythme de travail était soutenu. Nous devions faire preuve d’une attention et d’une réactivité permanentes, d’un état de vigilance constant. Notamment lorsque l’état des patients se dégradait soudainement ; lorsque nous devions réintuber en urgence parce que les sondes d’intubation étaient bouchées par des sécrétions abondantes ; lorsque nous devions procéder à de très fréquents DV …

Les médecins et les internes se chargeaient d’informer quotidiennement les familles sur l’état des patients.

Les équipes accompagnaient les familles lorsqu’elles venaient faire leurs adieux à un proche. La charge émotionnelle était importante : gestion des restrictions d’usage imposées à la famille (limitation du nombre de personnes, port d’équipements de protection, rites religieux impossibles à réaliser, absence de contact avec le défunt…), présentation des défunts…

Certaines solutions, comme la visioconférence, ont été adoptées pour permettre à toute la famille de dire au revoir au défunt.

La cohésion du groupe et l’entraide entre soignants étaient essentielles dans ces moments.

Je me souviens encore des paroles bienveillantes et apaisantes que nous avons eues avec deux de mes collègues pour accompagner une patiente dans les dernières minutes de sa vie. Me sentir utile dans ces moments délicats m’a permis de continuer à avancer.

Je ne me suis jamais sentie seule grâce au soutien spontané de mes collègues, à l’écoute des médecins, aux conseils des kinésithérapeutes, à la disponibilité des cadres de santé, à l’aide des externes en médecine, à l’investissement des étudiants infirmiers et des étudiants aides-soignants, et au renfort de nombreux soignants…

Nous étions forts et unis. Motivés par un seul objectif : combattre le coronavirus et donner le meilleur de nous-même pour les patients. Cela m’a aidé à gérer la crise.

Avoir des nouvelles régulières de nos patients était très important aussi. Surtout lorsqu’ils changeaient de service, lorsqu’ils étaient transférés en province, lorsqu’ils étaient guéris et autorisés à sortir. Suivre des patients sur une durée plus longue crée forcement des liens.

Nous avons pris en charge un patient hospitalisé en réanimation pendant une vingtaine de jours. Après une amélioration de son état, ce patient a pu être trachéotomisé. Nous l’avons accompagné pour les contacts via la visioconférence avec sa famille. J’ai ressenti un grand sentiment de satisfaction : le fait d’avoir pu voir ce patient s’en sortir et le soutien de sa famille en direct a été pour nous une source d’énergie et a participé à entretenir la motivation.

Je me souviens également de ces aides-soignantes qui passaient devant les chambres avec des mots d’encouragements pour les patients. Cela faisait du bien à tout le monde.

Sans oublier les élans de soutien des français, les applaudissements de la population, les dons, les mots de remerciement des familles …

La crise n’a pas seulement affecté notre vie. Elle a également bouleversé le quotidien de nos proches.

Nos conjoints et nos enfants ont dû accepter nos absences, accepter les risques que nous prenions et s’adapter. Grâce à leur confiance et leur soutien nous avons pu, jour après jour, nous investir et prendre soin des autres.

Alors évidemment, la crainte d’apporter le virus dans nos foyers était constamment présente. Heureusement, nous avons eu la chance de ne jamais manquer d’équipements de protection individuelle.

Chacun a eu son lot de difficultés : certains n’ont pas pu voir leurs enfants, quelques-uns sont tombés malades, d’autres encore ont eu des proches touchés par la COVID-19.

Ce que j’espère désormais, c’est que nous gardions à l’esprit toutes les bonnes résolutions prises pendant la crise et que nous puissions investir davantage sur des sujets essentiels comme l’accès libre à l’information et aux recherches scientifiques(6), la formation et la montée en compétence des personnels, éléments déterminants dans la gestion d’une crise. »

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(1) Trois des IADE de l’HIA Bégin ont en effet participé à l’activité de l’EMR-SSA
(2) Le module de réanimation pour patient à haute élongation d’évacuation (Morphée) a été créé pour doter les armées d’une capacité d’évacuation sanitaire longue distance adaptée aux transports de plusieurs blessés graves afin de contribuer au soutien médical des forces déployées en opération extérieure. Il permet d’évacuer de 6 à 12 blessés graves sur une distance de 10000km.
(3) Le module de réanimation pour les opérations (Mérope) est un concept déjà ancien d’évacuation médicale, fondé sur le principe du Morphée. Les besoins d’évacuation liés au covid-19 ont fait accélérer la finalisation du concept qui consiste à l’évacuation sanitaire de personnels atteints du COVID-19 à bord d’un A400M
(4) La ventilation en décubitus ventral (DV) est préconisée pour améliorer la survie des patients atteints de syndrome de détresse respiratoire aiguë sévères.
(5) Les premiers patients ont été accueillis alors que l’étage était en plein aménagement et que les soignants qui composaient les équipes venaient d’horizons différents et possédaient des niveaux de formation variés.
(6) Cet élément fait partie de la veille professionnelle et tout soignant devrait y avoir accès librement.


Sources : HIA Bégin
Droits : © Ministère des armées