Des «clients» pressés, des ordinateurs en réseau, des téléphones fixes et des portables, des contacts dans les états-majors embarqués ou à terre, marine ou interarmées et surtout beaucoup d’astuce. Tel est le quotidien des logisticiens. Avec un seul objectif tout au long de l’année: trouver la solution la plus adaptée pour soutenir les forces en opérations. Témoignages de logisticiens.
«Dès la fin 2011, nous avions organisé une relève d’équipage pour un bâtiment lors d’une escale à Singapour en juillet 2012. Soit une centaine de passagers, un peu de fret et des solutions de logement temporaire. Ce type de vol n’est pas mutualisable avec d’autres avions que le centre multimodal de transport pourrait mettre en place. Il faut donc organiser un vol dédié, dont les dates coïncident avec l’escale du navire et les nécessités du « tuilage » entre les deux équipages. Mais les conditions opérationnelles en ont voulu totalement autrement et nous avons du tout reprogrammer au dernier moment… à Abu Dhabi (Émirats Arabes Unis)!».
«En octobre 2012, une frégate de surveillance se trouvait en mission Atalante. Le bord devait faire rallier de Lorient cinq commandos et remplacer son embarcation de transport rapide pour commandos (Etraco). Or, ce type de matériel nécessite une demande d’autorisation auprès de l’IATA (Association internationale du transport aérien) pour le transport de marchandises dangereuses. Deux problématiques essentielles s’imposent : le temps de gestion administrative pour l’obtention des autorisations de survols de pays étrangers et le risque de problèmes de dédouanement à l’arrivée. Nous avons profité d’une escale du bâtiment à La Réunion pour faire acheminer ce matériel. Lorsqu’une démarche est bien engagée (avec le bon message et les bons destinataires), on optimise la réalisation de la manoeuvre car tous les acteurs peuvent se mettre en ordre de bataille».
«À la fin du mois de janvier 2013, la 36F devait remplacer de manière programmée son hélicoptère Panther, et acheminer du matériel aéronautique et cinq marins sur le Ventôse qui participe aux opérations de lutte contre le narcotrafic. Il y a relativement peu de ressources au Centre multimodal des transports (CMT) comme à l’EATC (European Air Transport Command). Or, il y a pas mal de demandes à honorer en interarmées et en multinational, notamment avec les opérations actuellement en cours. Nous devons donc argumenter nos demandes et déterminer avec les commandements organiques le degré d’urgence des sollicitations. Comme il s'agissait d’un hélicoptère pour une mission de lutte contre le narcotrafic, c'était une priorité importante pour nous. Au bilan et après de multiples reconfigurations, l’EATC a mis en place un C130 Hercules belge pour réaliser la mission et nous avons profité d’une escale planifiée du bâtiment en Martinique pour livrer l’hélicoptère à Fort de France. Ce type d’expédition avec survol de pays étrangers fait bien évidemment l’objet d’une demande d’autorisation auprès de l’IATA pour le transport de marchandises dangereuses».
«En mars 2013, l’équipage du Lynx britannique détaché sur la frégate de type La Fayette Surcouf en opération Atalante devra rentrer en Angleterre. Dans ce cas un peu particulier, la Marine nationale exprime une demande au profit d’un détachement britannique embarqué à bord de l’un de nos bâtiments. Comme ce détachement d’une dizaine de personnes est venu avec son armement et quatre tonnes de fret, il faut là aussi obtenir les autorisations nécessaires. Le Surcouf retournant à son port-base à Toulon, l’EATC a choisi de mettre en place une voie aérienne militaire. C’est la première fois, en tout cas depuis que je travaille dans ce service, que nous effectuons une expression de besoin au profit d’une autre nation».
«Nous sommes au milieu de l’année 2012 et un sous-marin nucléaire d’attaque nous fait parvenir une demande urgente d’antenne acoustique de rechange. Une antenne de sous-marin mesure quelques centaines de mètres. Elle est lovée autour d’un touret, qui fait une taille non conventionnelle pour le transport. Lorsque la demande a été émise par le SNA, le centre multimodal des transports (CMT) nous a dit tout de suite qu’ils n’avaient pas de solution dans le temps imparti. Il a donc fallu trouver une solution innovante avec nos correspondants habituels. Tout le monde s’est mobilisé à Toulon, du service logistique de la Marine (SLM/C) au transit Marine. Un convoi spécial a été monté par voie routière vers l’Italie, puis un ferry a pris le relais pour acheminer l’antenne. Les modalités douanières ont pu être réglées et le sous-marin est parti dans les temps, en respectant ses dates d’escale prévues».
«Ce n’est pas forcément le volume de nos envois qui génère des complications. L’hélicoptère du Germinal à Fort de France voyait son « paquetage collectif » arriver à échéance de visite. Il s’agit juste d’un gros sac d’une trentaine de kilos, mais qui contient des éléments vitaux de sécurité pour les vols. Sans lui, l’hélicoptère est indisponible. Or, le centre multimodal des transports n’avait vraiment plus de place pour le prendre en compte dans son aérotransport programmé vers cette destination. Nous avons réussi à souligner l’importance de ce matériel et le centre multimodal des transports pu trouver une solution, mais au départ de Hyères. Nous avons donc acheminé ce sac en urgence de Lanvéoc à Lann-Bihoué en voiture, puis de Lann-Bihoué à Hyères en Xingu avant son aérotransport vers la Martinique».
«Suite à une avarie survenue sur un véhicule tout-terrain de type P4, nécessaire à leur activité opérationnelle, les commandos marine stationnés à Arta (Djibouti) nous ont sollicités en urgence pour remplacer ce matériel. En consultant notre base de données, on s’est aperçu que le centre multimodal des transports avait mis en place un bâtiment affrété pour une autre mission au départ de Marseille. Avec le concours de la cellule N4 d’Alfusco, on a profité de l’existence de cette liaison pour saisiner le P4 sur ce navire grâce aux services du 519e groupe de transit maritime à Toulon. Les commandos ont reçu leur véhicule de remplacement dans des délais raisonnables».
«Mi-février 2013, l’équipage marine du patrouilleur de surveillance océanique L’Adroit se trouve en escale à Abu Dhabi avec un motoréducteur en avarie. Le Service de soutien de la flotte (SSF) et ALFAN souhaitaient faire acheminer les pièces de rechange depuis l’Autriche. Ils nous ont demandé d’acheminer les pièces de rechange vers Abu Dhabi. Le transit marine Ile de France a assuré la partie administrative (liste de chargement, douanes…), émis une Demande unique de transport (DUT) pour mettre en place le matériel dans une voie aérienne militaire planifiée. Les délais étant très courts - moins d’une semaine - nous avons fait valoir notre besoin urgent au centre multimodal de transport (CMT) pour glisser le matériel dans cette voie aérienne militaire existante. Vers la base de soutien défense d’Abu Dhabi, les voies aériennes militaires sont en effet plus fréquentes que vers d’autres destinations. La présence d’un bureau transit transport sur base nous permet de faire dédouaner et acheminer le fret pour les unités qui font escale dans cette zone».
Le LV Bertrand Bourdiec est commandant adjoint navire à bord de la frégate Nivôse.
«De fin août à mi-octobre, le Nivôse devait procéder à un arrêt technique avec un passage au bassin le plus proche de La Réunion, à l'Ile Maurice. Il fallait réaliser des travaux de rénovation et d'innovation avec notamment le revêtement de la carène en silicone et le changement de la tourelle de 100mm. La demande pour la tourelle - 25 tonnes avec sa sellette - avait bien entendu été planifiée avec la logistique opérationnelle. Elle est partie début août de Brest dans un conditionnement particulier, c'est à dire sur un container ouvert. Saisissage par câbles et chaînes de rigueur et certification par un expert maritime obligatoires pour ce type de matériel! Le SSF La Réunion a fait récupérer la tourelle défectueuse sur le chantier et son rapatriement par un bâtiment affrété. Nous avons pu repartir à l'entraînement avant de conduire nos missions principales que sont la lutte contre la piraterie ainsi que la surveillance et la police des pêches dans les Terres Australes et Antarctiques Françaises avec la nouvelle tourelle pleinement opérationnelle. Tout au long de ce processus logistique, cette opération aura mobilisé un grand nombre de personnes, de services et de compétences particulières, dans des délais fort contraints»
« À l’impossible, log est tenu »
Le LV Guilhaume P. est logisticien à l’état-major des fusiliers marins et commandos. Avec ses deux adjoints et l’appui de la base des fusiliers marins et commandos, il gère en liaison avec la logistique centrale la majeure partie des flux liés à la force.
«Le quotidien de la force exige une réactivité permanente. C’est la raison pour laquelle nous disposons sur la base des fusiliers marins d’une équipe logistique dédiée. L’ensemble des acteurs fait partie de la famille des fusiliers marins et commandos. Chacun est donc sensibilisé à l’importance des missions et connaît les matériels dont peuvent avoir besoin les unités projetées ou en passe de l’être. Lors d’une opération, nous avons ainsi expédié 12 tonnes de fret et projeté 40 personnes en 6 heures, avec la chaîne logistique traditionnelle, en respectant les démarches conventionnelles (communications SILCENT, messages d’autorité) et la réglementation douanière, mais en « boucle courte ». La chaîne logistique habituelle est toujours respectée, mais la relation de confiance qui existe entre tous les acteurs permet de gagner du temps. Les transporteurs civils n’ont pas la même conscience que nous des impératifs opérationnels du fret. Nous avons donc tout intérêt à conserver ce savoir-faire et cette réactivité. La force des fusiliers marins et commandos est très sollicitée, les hommes sont déployés en permanence à terre ou en mer, le plus souvent dans l’urgence. Notre mission de logisticien réussit quand la leur réussit».
Sources : © Marine nationale
Droits : Ministère des armées