Les perspectives d’exploitation de ressources et d’ouverture de nouvelles routes maritimes confèrent à l’Arctique une nouvelle importance stratégique. Face aux enjeux soulevés par le réchauffement climatique, les pays riverains manifestent le souhait de coopérer pacifiquement. La France possède des intérêts dans la zone et suit à cet égard l’évolution des dynamiques à l’œuvre tout en maintenant une coopération active avec les pays arctiques.
Selon l’United States Geological Survey (2008), 30% des réserves de gaz et 20% des réserves de pétrole non encore découvertes dans le monde y seraient localisées. Malgré une exploitation rendue ardue par les conditions météorologiques et le coût des investissements, d’importants projets ont récemment vu le jour, à l’instar de l’inauguration par la Russie, le 9 décembre 2017, de l’usine de liquéfaction de gaz de Yamal, sur la péninsule éponyme, au nord de la Sibérie. Par ailleurs, la présence de « terres rares », notamment au Groenland qui recèlerait 25 % des réserves mondiales, pourrait constituer une alternative au monopole chinois sur la production de ces métaux stratégiques. Enfin, le président des Etats-Unis, Donald Trump, a signé, le 28 avril 2017, un décret de réexamen des limites environnementales imposées par l’administration Obama à l’exploitation d’hydrocarbures en Alaska.
Le passage du Nord-Est, également appelé Route maritime du Nord (RMN), relie l’Europe à la Chine en longeant les côtes nord et est de la Russie. Il est d’intérêt stratégique pour les exportations de GNL russe, mais reste encore marginal pour le trafic commercial. Il permettrait néanmoins de réduire de près de 40% la durée du trajet entre l’Europe et l’Asie, entraînant une réduction conséquente des coûts d’expédition. L’armateur chinois Cosco envisage ainsi d’y ouvrir une route régulière de porte-conteneurs en 2025, et l’initiative chinoise Belt and Road Initiative (BRI) (initiative dite des nouvelles routes de la soie) prévoit une route maritime passant par l’Arctique.
La Marine nationale a pour la première fois emprunté le passage du Nord-Est en septembre 2018. Premier navire militaire non russe à emprunter ce passage sans l’aide de brise-glaces, le passage du BSAH Rhône a permis d’accroître la connaissance du milieu arctique ainsi que les coopérations avec les marines des pays de la zone (Danemark, Norvège, Canada, Etats-Unis), s’inscrivant ainsi dans le cadre des objectifs fixés par la Feuille de route nationale sur l’Arctique (FRNA).
GOUVERNANCE DE L'ARCTIQUE
Conformément à la préférence des cinq États riverains de l’Arctique telle qu’exprimée dans la déclaration de Ilulissat du 28 mai 2008 (Canada, Danemark, Etats-Unis, Norvège et Russie), le système de gouvernance arctique n’est pas inscrit dans un accord international juridiquement contraignant. La principale instance de coopération intergouvernementale entre pays arctiques est le Conseil de l’Arctique, institué par la déclaration d’Ottawa de 1996, signée par les huit États de la zone (les cinq pays côtiers et la Suède, la Finlande et l’Islande). Symbole de l’intérêt global de la zone, l’attractivité du statut d’observateur au Conseil de l’Arctique s’accroît. En 2013, la Chine, l’Inde, l’Italie, le Japon, la Corée du Sud et Singapour ont été admis comme observateurs. Ils s’ajoutent aux six États observateurs européens (France, Allemagne, Espagne, Pays-Bas, Pologne, Royaume-Uni) qui disposent de ce statut en raison de leurs activités de recherche dans le domaine des sciences relatives à l’Arctique. La Suisse, candidate depuis 2015, s’est vu accorder le statut en mai 2017.
La définition des frontières maritimes entre États côtiers voisins s’inscrit dans un processus de négociations bilatérales, quand les revendications de plateau continental étendu au-delà de 200 milles marins s’inscrivent dans un processus onusien encadré par la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM) du 10 décembre 1982, qui autorise les pays à revendiquer une zone économique exclusive (ZEE) pouvant s’étendre jusqu’à 200 milles marins à partir de leur ligne de base.
Les enjeux de sécurité liés au développement des activités touristiques et commerciales dans la zone concernent la France dont plusieurs entreprises y exercent leur activité. Aussi est-il fait pour la première fois mention de la zone arctique dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale d’avril 2013. La Revue stratégique d’octobre 2017 estime quant à elle que l’Arctique pourrait « constituer un jour un espace de confrontation », avec la compétition interétatique pour l’exploitation de ses ressources.
La FRNA, publiée en juin 2016, est issue d’un travail de réflexion interministériel visant à présenter des orientations par grande thématique intéressant la zone. Elle comprend ainsi un volet défense qui rappelle l’intérêt pour la France de développer une connaissance approfondie du milieu arctique, eu égards aux enjeux liés à l’exploitation des ressources, à l’environnement ainsi qu’à la sécurité maritime.
La France coopère ainsi avec les pays riverains. La relation bilatérale avec le Danemark s’étoffe dans les domaines opérationnel et scientifique, ainsi que par l’organisation d’escales de bâtiments français au Groenland et dans les îles Féroé. La Norvège représente également un partenaire privilégié dans la zone, avec lequel la France entretient une coopération maritime dynamique. L’Islande constitue quant à elle un point de projection Grand Nord pour la Marine nationale, qui y effectue plusieurs escales par an. Enfin, la France et le Canada partagent une volonté de renforcer leur coopération dans la zone, tant d’un point de vue stratégique que militaire.
Comme l’a réaffirmé la Feuille de route nationale sur l’Arctique, la France souhaite maintenir un haut niveau d’engagement sur les plans scientifique, environnemental, économique et stratégique. Dans ce cadre, le ministère des armées souhaite développer sa connaissance des activités des acteurs de la région, étatiques et privés, et affiner sa vision des évolutions pouvant avoir un impact sur les intérêts français.
L’Observatoire de l’Arctique, confié à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), assure ainsi un large suivi des thématiques arctiques, allant des stratégies des Etats à la production de normes en passant par les développements technologiques et aspects environnementaux. Par l’organisation de séminaires annuels, l’observatoire participe à l’animation d’une communauté arctique alliant chercheurs, institutionnels et entreprises pour approfondir la réflexion autour des enjeux de la région.
Les travaux de l’Observatoire Arctique sont accessibles sur le site internet dédié.
Pour en savoir plus
> Plaquette "La France et les nouveaux enjeux stratégiques en Arctique" (FR/ENG)