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Quelle sera la réserve de demain ?

Mise à jour  : 20/10/2016

Point de situation sur la réforme des réserves opérationnelles par le général Christian Thiébault, secrétaire général du conseil supérieur de la réserve militaire, à l'occasion du colloque sur le thème :"Quelle mobilisation de la nation face au terrorisme international ?" le lundi 20 juin 2016 au Palais Bourbon à Paris.

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Quelle sera la réserve de demain ?

Lorsque la rénovation des réserves militaires est évoquée, nous avons à l’esprit la déclaration du Président de la République, devant le congrès à Versailles, annonçant un nécessaire développement des réserves de la Défense, ainsi que son allocution à Coëtquidan, lors de ses vœux aux armées, fixant un objectif de 40 000 réservistes opérationnels et l’engagement de 1 000 réservistes chaque jour sur le territoire national.

De quoi s’agit-il concrètement ? Je me propose, dans ce point de situation sur la réforme des réserves opérationnelles, d’aborder, tout d’abord, le pourquoi de cette montée en puissance ; puis d’évoquer le comment ; pour préciser ensuite avec quels viviers nous pouvons constituer cette nouvelle réserve.

Au préalable, il faut préciser que ces cibles tout autant que mon propos concernent uniquement le périmètre Défense, car la gendarmerie nationale a initié dès 2014 une réforme de sa réserve. Sa problématique est d’ailleurs fondamentalement différente car, en raison du maillage territorial des brigades, la gendarmerie peut plus facilement recruter et employer, pour des périodes limitées, les réservistes à proximité de leur domicile. Néanmoins, la gendarmerie s’associe pleinement à cette nouvelle dynamique « réserve » (cible gendarmerie 30 000 réservistes opérationnels), entre autres, au travers des travaux du Conseil supérieur des réserves militaires.

Tout d’abord, pourquoi une montée en puissance des réserves ?

Dans les années 90, nous disposions d’une réserve de masse issue du Service National pour répondre à la menace soviétique. Nous avions alors un système rodé conçu pour la défense opérationnelle du territoire, la DOT, avec des régiments de réserves dérivés effectuant régulièrement des exercices de mobilisation. Depuis vingt ans, avec la professionnalisation des armées, nous avons développé une réserve limitée en nombre, répondant au souci de fonctionnement de l’armée d’active, apportant les cadres et les spécialistes dont nous avions besoin. Cette réserve constitue un complément indispensable à toute armée professionnelle et nous avons toujours besoin de ce volet « réserve » composé de compléments individuels. Cependant, avec le départ à la retraite des anciens issus du Service National, mais aussi en raison de la contraction des budgets militaires, les effectifs de nos réserves opérationnelles se réduisaient année après année.

Aujourd’hui, nous avons initié une nouvelle dynamique pour répondre à des défis sécuritaires qui ont changé de nature et de forme. Il s’agit, sans réduire la part des cadres et spécialistes, de rééquilibrer l’ensemble des réserves en développant les unités de réserve ayant vocation première à participer à la protection intérieure.

Nous voyons que le modèle retenu pour la réserve se construit d’abord en fonction du besoin, du cadre d’emploi identifié. De toute évidence, compte tenu du nouveau contexte sécuritaire, il est d’une importance stratégique pour les armées de disposer de réservistes pour la protection intérieure. En effet, c’est un des outils permettant de soulager la pression sur les militaires d’active, très sollicités, et de retrouver le temps nécessaire à l’entraînement comme à la remise en condition de nos soldats.La réserve militaire est tout aussi stratégique pour la Nation afin d’offrir un cadre légal et légitime pour que les citoyens puissent prendre part à leur propre protection.Au-delà même de l’aspect de cohésion, à travers un brassage social bénéfique, le développement des réserves constitue aussi une alternative pertinente à la tentation,possible en période de crise, de constituer des groupes d’autodéfense citoyenne ou communautaire. Ce scénario serait véritablement catastrophique pour la Nation.

Les réserves militaires constituent également un important facteur de résilience pour la Nation. Nous savons en effet que la brusque confrontation à la mort fragilise les individus et génère des blessures psychologiques. Or, le personnel actif pendant le drame est souvent moins vulnérable au stress post-traumatique. Collectivement,socialement, la même équation devrait se vérifier : si de nombreux français participent activement à leur propre sécurité, l’ensemble de la Nation gagnera certainement en résilience.

Vous pourriez, à juste titre, objecter qu’un volume de 40 000 réservistes reste bien marginal à l’échelle du pays. D’une part, la réserve n’est pas l’unique outil de mobilisation de la Nation. D’autre part, nous pourrions envisager de poursuivre l’effort consenti au-delà de 2018 pour atteindre progressivement un effectif plus conséquent (en prolongeant la courbe actuelle de montée en puissance jusqu’en 2021, nous disposerions alors de de plus de 50 000 réservistes opérationnels et, en 2025, nous pourrions atteindre un effectif proche de 70 000). Cela serait d’autant moins négligeable que la population concernée est principalement constituée de jeunes, de toutes origines sociales et culturelles.

Concrètement, quelle réforme se met en place ?

Si 2015 a été l’année de l’inflexion, puisque pour la première fois, depuis 8 ans, les budgets et les courbes d’effectifs s’inversent, l’année 2016 s’ouvre sur une nouvelle dynamique avec l’annonce par Monsieur Le Drian, le 10 mars dernier, lors des premières Assises des réserves militaires, d’un plan d’actions concrètes.

Pour les armées, entre 2014 et 2016, les budgets consacrés aux réserves ont été abondés de 33%, ce qui a permis, dès 2015, d’augmenter de 4 jours le taux moyen d’activité de nos réservistes. D’ici 2018, c’est une hausse de 77% qui est planifiée.Déjà, pour les 4 premiers mois de l’année, l’armée de Terre compte 1 000 réservistes supplémentaires, en conformité avec nos projections.

Simultanément, l’engagement des réservistes sur le théâtre national se concrétise.Nous atteignons sur le premier trimestre 2016 un taux moyen d’emploi dans la fonction protection de 450 réservistes déployés chaque jour sur Sentinelle, sur l’opération Cuirasse ou pour les missions de protection des approches maritimes ou aériennes. En janvier, lors des fêtes de fin d’année, plus de 650 réservistes étaient déployés quotidiennement.

A ce stade, l’approche retenue pour le développement de la réserve repose sur une intégration la plus étroite possible avec les unités d’active. A cet effet, les armées ont décidé de : réaliser en effectif les unités de réserves, trop souvent incomplètes ;d’augmenter lorsque cela semblait réaliste les droits ouverts en personnel ; de créer de nouvelles unités de réserves rattachées à des régiments, des bases aériennes ou des ports.

Ainsi, Monsieur Le Drian a annoncé la création de 17 unités élémentaires de réserve (UER) pour l’armée de Terre, de 21 compagnies Roméo de réservistes pour la Marine et de 4 sections de réserves et d’appui (SRA) supplémentaires pour l’armée de l’Air,élargissant de fait le maillage territorial de la réserve.

En évitant la création d’une chaîne autonome, d’une armée « de réserve »indépendante des autres armées, nous simplifions la problématique et répondons à l’urgence de la situation. Nous facilitons aussi la formation et le soutien,l’encadrement et l’emploi des nouveaux réservistes. De plus, s’appuyer sur des chaînes de commandement éprouvées, remontant jusqu’au Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO), constitue aussi une garantie éthique. Cela n’empêchera nullement, par ailleurs, le développement de la réserve dans des départements sans aucune présence Défense, à l’instar du 6ème Régiment de Génie qui possède deux unités de réserves, l’une sur sa garnison à Angers, l’autre sur Nantes.

Intégrés à l’active, côte à côte avec leurs camarades d’active, les réservistes sont plus facilement employables. Les patrouilles de Sentinelle que vous apercevez dans les rues de Paris s’articulent le plus souvent autour de 4 soldats, dont l’un d’entre eux peut être réserviste sans que vous vous en rendiez compte. De cette manière,vous ne fragilisez pas la capacité opérationnelle de l’ensemble. Par conséquent, avec un contrat de 10 000 soldats engagés sur le territoire national, nous avons une bonne marge d’emploi pour nos réservistes opérationnels, qui peut monter jusqu’à 2 500 hommes/jour !

Le principe « formation identique pour un même emploi » demeure valable. Simplement nos jeunes recrues de la réserve seront formées au juste besoin, d’abord sur leur premier emploi, clairement dédié aujourd’hui à la protection. Par la suite, avec des compléments de formation, ils pourront prétendre à d’autres missions, voire même pour certains participer à des missions extérieures comme cela se fait déjà.

Nous constatons par conséquent qu’une dynamique « réserve » très positive est initiée, même s’il reste encore beaucoup à faire. Ce n’est effectivement pas simple, car ce développement passe par un véritable changement culturel tant les réserves sont méconnues, y compris parfois parmi les militaires d’active.

Quelle ressource humaine pour cette nouvelle réserve ?

Puisque nous faisons évoluer la nature de la réserve militaire, il nous faut aussi rechercher les ressources humaines adéquates. Jusqu’à présent, nous recrutions des cadres et des spécialistes de réserves provenant principalement du monde étudiant et de l’entreprise. Notre investissement en direction de ces deux mondes demeure d’actualité, mais il nous faut en complément chercher de nouveaux viviers plus disponibles et disposés à porter les armes pour protéger nos concitoyens.

Plusieurs pistes sont explorées et, en premier lieu, celle des demandeurs d’emplois qui représente malheureusement un gisement conséquent. Je note qu’actuellement 21 000 sapeurs-pompiers volontaires sont inscrits à Pole Emploi ; nous saurons donc bien trouver parmi les chômeurs nos 3 500 réservistes supplémentaires par an, d’autant que les activités de réserves s’intègrent utilement dans un parcours de retour vers l’emploi et qu’elles permettent de prolonger les droits à l’allocation de retour à l’emploi (ARE). Une convention en ce sens est en cours de finalisation entre le ministère de la Défense, la DGEFP et Pôle Emploi.

Ensuite, le vivier des intérimaires semble aussi prometteur. Une expérimentation sur le grand Ouest a débuté en juin, en partenariat avec une des principales agences d’intérim, pour recruter des candidats militaires à « temps partiel ». Si les résultats sont conformes à nos attentes, nous généraliserons cette approche en fin d’année 2016.

La population des jeunes Français, dès 17 ans, constitue une cible privilégiée. A cet effet, nous développons les partenariats ciblant les scolaires et la formation professionnelle ; plusieurs expérimentations sont d’ailleurs en cours. Il faut, avant tout, faire connaître la réserve aux jeunes, véritablement enthousiastes lorsqu’ils la découvrent, comme par exemple lors des salons étudiants. De fait, au-delà de leur appétence à servir, les conditions de rémunération de ce que certains considèrent comme un « job d’été » dépassent leurs espérances (1500 euros pour 30 jours d’activité allant jusqu’à 2200 euros pour un simple soldat engagé sur Sentinelle,logé, nourri, formé et non imposable).

Avant tout, l’Etat se doit d’être exemplaire, en faisant la promotion de la réserve militaire au sein de sa propre administration. Le ministère de la Défense montre ainsi la voie puisque Monsieur Le Drian a signé, en mars dernier, une instruction en ce sens, demandant aux différents employeurs du ministère de faciliter les activités de réserves de leurs agents en leur accordant au moins 15 jours sur le temps de travail (la loi en prévoit 5). Cet engagement pourrait être étendu à l’ensemble des ministères.

D’autres pistes sont aussi explorées : à l’évidence les viviers existent et les jeunes sont demandeurs, prêts à s’engager dans la réserve, pour peu d’être informés et guidés dans leurs démarches.

En conclusion, je dirais que les réserves opérationnelles répondent parfaitement au thème de ce colloque « quelle mobilisation de la Nation face au terrorisme international ? ». Nous disposons incontestablement d’un des outils majeurs de mobilisation de la Nation, à la fois pertinent et éprouvé, qui présente un excellent potentiel de développement.

Avec la rénovation en cours de leur modèle de réserve opérationnelle, les Armées et la Gendarmerie se sont résolument engagées dans cette dynamique de mobilisation. Nous avons besoin de votre soutien actif afin de pérenniser cet élan citoyen au profit du pays tout entier.