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Réflexion - L’Australie en pivot occidental du bassin asiatique

Mise à jour  : 15/09/2021 - Direction : SIRPA Marine

L’Australie, qui oscille entre intégration et affirmation, se présente à nouveau comme un port d’attache des nations occidentales en quête d’un réinvestissement dans le bassin asiatique. Alors que la région cristallise les tensions internationales et fait l’objet d’une rapide militarisation, le doute qu’a laissé planer l’administration Trump sur les engagements américains a notamment incité les puissances européennes, dont la France, à saisir l’opportunité du pivot australien.

Extrait du Cols Bleus N° 3099 - Août/Septembre 2021 - Opérations sous Covid - Adaptabilité, endurance, résilience de nos marins

L’opportunité qu’a présentée le bassin asiatique à l’aube du deuxième millénaire dans l’essor des économies nationales a orienté les intérêts internationaux sur cette région. Très vite, la dominance du barycentre asiatique dans les échanges économiques et commerciaux, avec la Chine en tête de file, a fait de cette région une zone de frictions, avec en filigrane une confrontation des modèles occidental et chinois. Orientée par l’expansionnisme chinois, la région s’est depuis élargie à l’Indopacifique pour désigner une zone considérant l’océan Indien comme le prolongement des enjeux économiques et stratégiques du bassin asiatique. Le rebalancing, porté par l’administration Obama dès 2008, s’est accompagné d’une forte militarisation de la région. Si l’Indopacifique attire près de 60 % de la marine américaine, répartie entre la 7e flotte dans le Pacifique et la 5e flotte en océan Indien, la Chine construit depuis ces dernières années l’équivalent de la Marine française en quatre ans et développe plusieurs bases avancées militaires dans la région ne sont plus l’apanage que des superpuissances. La Corée du Nord, la Corée du Sud, le Japon et l’Inde développent leurs arsenaux militaires. La crise du coronavirus, exacerbant les frictions et les tensions internationales comme à Taïwan ou à Hong Kong, implique une relance des budgets de la défense, malgré son impact économique. Ainsi, la Chine affiche un budget en augmentation de 6,6 % pour 2020. La Corée du Sud annonce, quant à elle, une augmentation de 5,5 % de son budget défense. Dernièrement, Donald Trump, usant de sa politique America First, a laissé planer le doute sur les ambitions régionales de la puissance américaine. Son retrait de l’accord de libre-échange régional Trans Pacific Partnership (TPP) dès 2017 et son rapprochement du leader nord-coréen interrogent. Si la nouvelle administration Biden peut tendre à un regain d’assurance, les stratégies nationales se sont inévitablement orientées vers une nécessaire diversification de leurs points d’appui régionaux. Dès lors, l’Australie plongée dans une dualité inextricable, entre remise en cause du parapluie américain et défiance à l’égard de la Chine, se présente, notamment pour les puissances européennes, comme un pivot crédible pour s’amarrer au bassin asiatique. 

Australie : l’heure de la souveraineté 

Canberra tirant profit, notamment par l’exportation de minerais et de charbon, de l’ouverture des économies asiatiques à la fin du XIXe siècle, a ainsi fait de la Chine une sécurité de son économie. Mais, si l’Australie intégrait en 2015 la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures, l’obtention, la même année, d’un bail de 99 ans d’une entreprise chinoise pour la gestion du port de Darwin a effrayé une partie des dirigeants australiens. Un an après, Pékin prend part à l’agriculture australienne par le rachat de la plus grande exploitation laitière du pays, Van Diemen’s Land Company. Le sentiment d’ingérence supplante celui de sécurité économique, d’autant plus que l’influence chinoise se répand dans le pré carré océanien de l’Australie. Alors que la Chine détient déjà 62 % de la dette des Tonga, la réélection d’un président pro-chinois à Kiribati en 2020 ou l’envoi de matériel médical au Vanuatu constituent les derniers empiétements chinois dans le voisinage australien. La crise du coronavirus se présente comme une nouvelle opportunité à l’expansionnisme chinois. La Chine pourrait asseoir son ingérence régionale en se présentant, au sortir de la crise sanitaire, comme le porte-monnaie des économies défaillantes du Pacifique Sud. 

Parallèlement, alors que les États-Unis se présentent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale comme l’assurance-vie de l’Australie, concrétisée officiellement en 1951 par la ratification du traité de l’ANZUS (Australia, New-Zeland, United States Security Treaty), la politique de l’administration Trump a remis en cause le parapluie sécuritaire américain. Si, dès 2017, le départ de Washington du traité multilatéral de libre-échange Trans Pacific Partnership remet en cause le pivot asiatique mis en place par le président Obama, l’absence inédite, de plus de seize mois, d’un ambassadeur des États-Unis à Canberra a particulièrement marqué l’Australie. La distension des rapports australo-américains et l’incertitude quant aux intentions américaines incitent l’Australie à une politique sécuritaire plus autonome. La mise à jour de sa stratégie de défense de 2020 ambitionne cette autonomisation en définissant trois grands principes : façonner l’environnement stratégique de l’Australie (shape), dissuader toute action contre les intérêts (deter) et répondre, si besoin, par une riposte crédible (respond). Pour cela, le gouvernement australien vise une croissance du budget de la défense supérieure à 2 % du PIB, à un rythme plus rapide qu’avant la pandémie.

Alors que l’Australie est aujourd’hui encline à affirmer sa souveraineté, économique et sécuritaire, en se libérant progressivement de ses dépendances à l’égard de Pékin et de Washington, elle diversifie ses relations extérieures et se présente ainsi comme un potentiel pivot occidental, dont la France semble avoir pris conscience. 

Au nom de la fraternité franco-australienne 

Si le premier rapport entre la France et l’Australie remonte à l’accostage, en 1788, à Botany Bay du comte de Lapérouse, l’engagement australien sur le front franco-belge lors de la Première Guerre mondiale, marqué par la perte de 23 000 soldats australiens dans la seule bataille de la Somme, a indéniablement consolidé une fraternité entre les deux États. Après quelques tensions dans les années 1980, au sujet des essais nucléaires français et du statut de la Nouvelle-Calédonie, l’Australie et la France se retrouvent dans leurs engagements au début des années 2000, notamment dans la lutte contre le terrorisme et le trafic d’armes. Partageant des valeurs et enjeux communs, les deux pays signent leur premier accord de coopération de défense en 2009. Le lien franco-australien n’est pourtant qu’à l’aube d’un renforcement structurel et opérationnel inédit, soutenu par la commémoration de leur fraternité. 

Après une visite à Albany, en novembre 2014, pour le centenaire du départ des soldats australiens vers le front européen, Jean-Yves Le Drian, alors ministre de la Défense, croit aux chances de la France dans le projet australien d’acquisition de nouveaux sous-marins. Dès lors, la France, consciente de l’opportunité stratégique que représente un renforcement de la relation bilatérale, fait l’effort diplomatique nécessaire. Quelques semaines après, François Hollande se déplace en Australie, faisant de cette visite la première d’un président français. Après de multiples échanges et visites croisés, Canberra fait de Naval Group le constructeur de ses douze futurs sous-marins, de classe Attack. Le « contrat du siècle » lie dorénavant la France et l’Australie dans une coopération stratégique d’au moins 50 ans. 

L’intensification des relations franco-australiennes est foncièrement portée par les rencontres commémoratives de la Grande Guerre, ravivant la fraternité qui s’était construite sur les champs de bataille de Fromelles, de Pozières et de Villers-Bretonneux. La coopération franco-australienne se densifie en se prévalant d’une réalité opérationnelle en Indopacifique. Si le groupe Jeanne d’Arc a fait escale en mai 2016 sur la côte ouest australienne, celui de 2020 aurait dû prendre part à l’exercice Croix du Sud 2020 en Nouvelle-Calédonie, visant à améliorer l’interopérabilité d’importantes forces militaires régionales, dont l’Australie. Malgré l’annulation de l’exercice en raison de la crise sanitaire, la volonté opérationnelle n’a pas été enrayée. Ainsi, la Royal Australian Navy a collaboré en novembre 2020 avec le sous-marin nucléaire d’attaque Émeraude déployé en Indopacifique et le dernier exercice ARC 21, conduit en mer de Chine orientale, a contribué au renforcement de l’interopérabilité des marines américaine, japonaise, française et australienne dans le bassin asiatique. 

Si la France, bien que présente en Indopacifique par ses territoires et espaces maritimes ultra-marins, s’appuie sur le pivot occidental australien pour s’amarrer plus profondément à la région, le Royaume-Uni, récemment doté de l’atout diplomatique et stratégique d’un porte-avions, ambitionne également une telle stratégie à l’égard de son ancienne colonie. D’ailleurs, le britannique BAE System a été choisi pour fournir, dès 2022, les futures frégates australiennes de classe Hunter.

LV Fabien JACQUET
auteur du livre L’essor d’un continent, géopolitique de l’Australie


Sources : Marine nationale
Droits : Ministère des armées