« Commander, c’est pratiquer son métier avec en tête, en permanence, la notion de victoire »
Déploiement opérationnel de longue durée, la mission Jeanne d’Arc permet de former les futurs officiers de la Marine. Cette année, de février à juillet, le porte-hélicoptères amphibie Tonnerre et la frégate type La Fayette Surcouf, embarquant l’école d’application, ont navigué jusqu’en mer de Chine. Leur participation à des opérations comme la CTF 150 ou à des exercices d’ampleur comme La Pérouse ou ARC21 ont été autant d’occasions pour les officiers-élèves (OE) de s’immerger au cœur des missions de la Marine.
Cols Bleus : Quelques semaines après votre retour, quel bilan dressez-vous de l’édition 2021 de la mission Jeanne d’Arc ?
CV Arnaud Tranchant : Pour moi, le bilan est très positif car nous avons su relever les nombreux défis qui étaient les nôtres en 2021. Le premier était le maintien d’un nombre important d’officiers à former, avec l’exigence de ne pas baisser en qualité. Le deuxième consistait à conduire un déploiement expéditionnaire lointain, avec ce que cela imposait de préparation et d’implication des OE dans les différentes zones. Le troisième, c’est que nous avons dû relever ces deux premiers défis dans un contexte sanitaire qui pouvait entraîner un effet de coupure vis-à-vis du monde sur lequel nous devions pourtant ouvrir les OE. Il était effectivement nécessaire de les former sur les zones d’opération dans lesquelles ils pourront être prochainement déployés. Je pense que la mission que nous avons réussi à bâtir et conduire a su répondre à ces attendus. Premièrement parce que nos opérations, nos navigations et les échanges que nous avons malgré tout réussi à mettre en place ont permis aux OE qui sont allés jusqu’au Japon de découvrir les différentes facettes du monde, parfois en conduisant des opérations, notamment dans le domaine de l’entrave au narcotrafic en mer d’Arabie. Ensuite parce que, de l’océan Indien à la mer de Chine orientale, nous avons su nous appuyer sur la diversité des zones traversées et leurs contraintes opérationnelles et logistiques pour dispenser aux OE, quelle que soit leur filière, une formation de qualité. Enfin parce que tout cela a soudé une promotion d’officiers très solide, qui a été confrontée à un certain nombre de difficultés et qui a su les surmonter. Le principal motif de satisfaction est donc d’avoir atteint tous nos objectifs, qui étaient ambitieux cette année, voire de les avoir dépassés dans certains domaines, tout cela sous contrainte.
C. B. : Pour vous, qu’est-ce que commander ? Comment le transmettre à un jeune officier ?
CV A. T. : Ce que j’ai essayé de leur transmettre, c’est qu’un officier doit avant tout mobiliser par l’envie de gagner. Commander, c’est atteindre ses objectifs opérationnels, c’est l’emporter sur l’adversaire, sur les difficultés ; c’est pratiquer son métier avec en tête, en permanence, la notion de victoire. C’est cela qui donne l’élan et l’envie de mobiliser les autres, mais aussi l’exigence de beaucoup travailler pour préparer, s’entraîner puis agir en opérations. La première chose que j’ai voulu leur donner, c’est donc cette culture de la gagne ! La seconde chose que j’ai tenté de partager avec eux, c’est la passion de commander des hommes et des femmes. Je voulais qu’ils sentent que c’est exigeant d’être placé à la tête d’un équipage ou d’une équipe, mais qu’on en retire beaucoup de richesse humaine. On l’a vu au cours de cette mission : quand on crée une vie d’équipage, des relations fraternelles entre marins, on en ressort aussi riche sur le plan humain qu’en allant à la rencontre de populations lointaines. Pour résumer, les deux choses que j’ai essayé de leur donner, de manière directe ou indirecte, c’est donc la culture de la gagne et l’esprit d’équipage.
C. B. : Comment insuffler à deux équipages opérationnels le désir de transmettre et de se transformer en instructeurs le temps d’une mission ?
CV A. T. : C’est une mission qui est mal connue dans la Marine par ceux qui ne l’ont pas vécue. D’emblée, on a rappelé aux deux équipages qu’il y a peu d’armées, d’institutions ou d’entreprises qui confient à des équipes la responsabilité de former leurs futurs chefs. Cette année, une fois de plus, sur le Tonnerre comme sur le Surcouf, il y avait des matelots entrés dans la Marine six mois auparavant, des seconds maîtres avec deux ans d’expérience, des officiers mariniers supérieurs témoignant de 25 à 30 ans d’ancienneté, à qui on a confié des jeunes officiers avec la mission de leur dispenser des savoir-faire et de leur donner les codes de notre mode de vie en équipage, sans jamais s’adresser à eux comme à des élèves mais toujours comme à leurs chefs de demain. C’est une responsabilité importante dont les deux équipages se sont approprié le sérieux tout au long de la mission. La Jeanne est souvent réduite à une mission de découverte et de représentation ; c’est un format qui est désuet. Aujourd’hui, la Jeanne, c’est avant tout des opérations – l’édition 2021 l’a confirmé – et c’est ensuite cette responsabilité du marin qui forme son futur chef. Parmi tout ce qui existe en matière de fabrique de chefs, je pense que la Marine peut être très fière de ce développement interne des compétences de ses futurs chefs.
C. B. : À l’heure où se développent les formations à distance et sur simulateurs, pourquoi ce type de mission reste-t-il incontournable, selon vous ?
CV A. T. : La simulation était utilisée sur le Tonnerre, notamment dans les travaux pratiques que l’on faisait faire aux OE. Mais il y a trois choses qu’elle ne peut pas remplacer. La première, c’est l’acquisition de compétences par la sensibilité qu’on a de la réalité dans la conduite d’une manœuvre, d’une réparation, d’une séquence tactique... En pratique réelle, l’officier a certes le droit de se tromper mais dans un environnement où le danger est bien présent. Un OE pourra, par exemple, mécaniser sa manœuvre de présentation pour ravitaillement en simulateur, mais il ne la mécanisera jamais aussi bien que lorsqu’il est aux commandes d’un bâtiment qui fait 20 000 tonnes et qu’il doit se présenter à 35 mètres d’une FLF. La deuxième chose que la simulation ne peut remplacer, c’est la découverte du monde et des théâtres d’opérations. On peut suivre autant de conférences que l’on veut à l’école navale sur la mer de Chine méridionale ou la géopolitique de l’océan Indien, il n’y a pas mieux que d’aller faire une patrouille en mer de Chine, d’être marqué par une frégate chinoise ou survolé par un avion de patrouille maritime japonais ou américain pour comprendre ces théâtres. Enfin, la troisième chose que la simulation ne pourra jamais remplacer, c’est la vie de marin. Tous ceux qui naviguent sont d’accord pour dire qu’au bout de quatre mois dans un bateau, les comportements changent, chacun doit s’adapter, ça devient plus difficile et il faut s’organiser pour durer. C’est notre métier, on le sait et on sait le faire, mais on en est d’autant plus conscient qu’on l’a soi-même vécu. Je pense que le fait de vivre cette expérience lointaine sur la Jeanne, avant d’arriver dans les unités, participe à la force morale de nos officiers et ça, la simulation ne pourrait pas le leur apporter.
Sources : Marine nationale
Droits : Ministère des armées