« Marin du ciel », engagé comme matelot au milieu des années 80, le capitaine de vaisseau Éric Aymard est devenu pilote de chasse. Il totalise plus de 4 000 heures de vol, 55 missions de combat et 883 appontages, dont 176 de nuit. Après une intense carrière opérationnelle, il est aujourd’hui l’adjoint du général commandant les forces armées en Guyane et commandant de la zone maritime Guyane. Un parcours remarquable, comme la Marine sait en offrir à tous les talents qui la rejoignent, pour peu qu’ils s’en donnent les moyens.
Cols Bleus : Pourquoi avoir choisi d’entrer dans la Marine nationale ?
Capitaine de vaisseau Éric Aymard : Je suis marin dans l’âme, c’était un choix naturel. Mais je dois aussi avouer que le principal élément qui m’y a conduit, c’est la compréhension assez tardive que j’aurais mieux fait de travailler à l’école... C’est une boutade, mais c’est aussi une réalité. Nous étions en 1986, le temps passait et j’avais conscience que je devais faire quelque chose de ma vie. Quelque chose de vrai et qui avait du sens. Mon père était officier de marine et j’avais à la fois de l’attirance pour l’univers marin, une envie de servir et une réelle appétence pour le domaine de l’aéronautique.
Quand j’ai poussé la porte du bureau de recrutement de la Marine, j’ai eu la chance de rencontrer au bon endroit les bonnes personnes qui, avec franchise et réalisme, m’ont prévenu que mon parcours ne serait pas sans difficultés, mais que tout était possible. Elles avaient raison et la suite a été un enchaînement de circonstances positives. Je voulais être pilote et j’ai réussi à le devenir. J’ai franchi les étapes une à une, puis suivi le cours des officiers spécialisés de la Marine en 1990. Une fois toutes mes qualifications tactiques de pilote de chasse obtenues, je me suis tourné vers le métier d’officier d’appontage que j’ai exercé en parallèle ou alternativement avec celui de pilote de porte-avions. Sur le plan opérationnel, j’ai pu prendre part à de nombreuses opérations Balbuzard, Trident, Héraclès Air Indien et Harmattan depuis les porte-avions Clemenceau, Foch et Charles de Gaulle.
J’ai aussi occupé la plupart des postes en flottilles de chasse, dont celui de chef opérations, puis ceux de directeur des officiers d’appontage, de second du groupe aérien embarqué et de commandant d’escadrille. Puis j’ai eu la chance de pouvoir encadrer pendant deux ans les jeunes pilotes en formation au sein de l’US Navy, de 2005 à 2007.
Après avoir été commandant du groupe aérien embarqué (GAé) de 2012 à 2014, j’ai rallié les états-majors centraux où, jusqu’en 2017, j’ai été en charge des études opérationnelles et des doctrines d’emploi aéronavales au sein de l’état-major de la Marine. Enfin, de 2017 à 2019, j’ai occupé le poste de J5 pour le Proche et le Moyen-Orient au Centre de planification et de conduite des opérations de l’état-major des Armées. Une étape particulièrement fascinante au cours de laquelle la notion d’interarmées s’appréhende dans toute sa force et ses capacités.
C. B. : Que diriez-vous à un jeune engagé ?
CV É. A. : Lorsque l’on embrasse une carrière militaire, quels que soient l’institution et le métier choisi, il faut avoir pleinement conscience que tout sera différent. Le monde des Armées est un univers à part entière. Par exemple, ce qui m’animait en tant que pilote de chasse embarquée, ce n’était pas seulement de voler, d’être catapulté et d’apponter, mais de faire tout cela dans un environnement militaire. C’est le côté opérationnel qui m’exaltait. J’aimais piloter, bien sûr, mais ce qui me faisait vibrer, c’était d’effectuer des missions de guerre aux commandes d’un aéronef.
Si je n’avais été qu’un passionné d’aviation, je n’aurais certainement pas suivi la même trajectoire. J’insiste beaucoup sur ce point qui est pour moi déterminant. La force de l’engagement se révèle davantage dans le cadre d’emploi et les motivations de l’exercice de son art ou de ses savoir-faire que dans leur simple mise en œuvre. L’essentiel, je crois, est le sens que l’on donne à ses actes et à ses passions. Dans ce contexte, servir est une forme de don de soi qui apporte d’intenses satisfactions, comme si, enfin, on était à sa juste place et que l’on accomplissait exactement ce pour quoi on était fait.
C’est ce que je souhaite à un jeune engagé : qu’il trouve sa place dans l’institution et qu’il s’y épanouisse en espérant toujours pouvoir aller plus loin.
C. B. : Quels sont les postes qui vous ont le plus marqué ?
CV É. A. : Ils sont nombreux, bien sûr, et c’est très difficile de mettre en avant l’un ou l’autre. Une vie militaire forme un mille-feuilles particulièrement serré et dense. Cependant, on est toujours plus attaché à sa première flottille, en l’occurrence la 11 F, qu’à une autre. Mais c’est avant tout de l’ordre de l’affect. C’est presque irrationnel. Un des moments qui m’ont le plus marqué est celui pendant lequel nous avons travaillé sur la refonte de l’organisation des officiers d’appontage. Avoir eu la possibilité de faire évoluer ce modèle de fonctionnement m’a réellement conforté dans l’envie de rester et de viser plus haut.
C’est le mélange entre l’hyperspécialisation et la responsabilité de superviser l’ultime phase de vol, particulièrement délicate, et d’en garantir la sécurité qui m’a profondément séduit dans le métier d’officier d’appontage. Mais si je devais mettre en avant une phase particulière de ma carrière, je dirais que le poste qui m’a le plus fasciné demeure celui de commandant du GAé. C’est la plus belle des responsabilités que m’ait confiées la Marine. C’est là que j’ai été au plus près des décisions opérationnelles. Mais j’ai aussi été marqué par des missions particulièrement difficiles au Kosovo ou en Afghanistan, par exemple.
C. B. : L’escalier social existe-t-il toujours dans la Marine ?
CV É. A. : Oui, mais je nuancerais cette expression. Cette image d’ascenseur ou d’escalier social a un côté mécanique et normé qui ne correspond pas tout à fait à la réalité. Je préfère parler d’opportunités saisies ou pas, de possibilité ou d’impossibilité de s’inscrire dans une évolution, d’épanouissement ou non dans un milieu ou dans une structure. C’est une sorte d’alchimie qui fait qu’une personne sait quand elle doit s’investir, comme si elle disposait soudain de toute la lucidité nécessaire pour voir tous les chemins ouverts devant elle.
C’est beaucoup plus subtil que de monter une échelle ou d’appuyer simplement sur un bouton. Mais dans cette logique, la réponse est bien oui. Cent fois oui. Je suis foncièrement convaincu que la Marine peut encore et toujours permettre à chacun de prendre les décisions qui offrent une forme d’accomplissement de soi.
Propos recueillis par la rédaction
Sources : Marine nationale
Droits : Ministère des armées