Accueil | Marine | Magazine | Planète mer | Vendée Globe 2020 - La Marine dans la course Marine ... Planète mer | Vendée Globe 2020 - La Marine dans la course

Vendée Globe 2020 - La Marine dans la course

Mise à jour  : 03/02/2021 - Direction : SIRPA Marine

Dimanche 6 décembre, l’image est partout et elle fait même la une du journal de 20 heures. On y voit Kevin Escoffier, en combinaison de survie, sauter dans une mer agitée depuis le monocoque Yes We Cam! pour rejoindre une embarcation déployée par la Marine nationale. Dans le même temps, son compère et sauveteur Jean Le Cam filme la scène.

En arrière-plan, on aperçoit la silhouette de la frégate de surveillance Nivôse. Quelques jours plus tôt, elle participait encore à une mission de souveraineté devant les îles Kerguelen. C’est à ce moment-là que le capitaine de vaisseau Frédéric Barbe est sollicité par le commandant supérieur des forces armées en zone sud de l’océan Indien : est-il en mesure de récupérer le naufragé Kevin Escoffier ?

Le Pacha prévient : « C’est possible, mais la route sera longue car je suis dans le sens inverse de la circulation générale des dépressions ». L’ordre est donné. La mission implique de faire route au nord-ouest sur plus de 1 000 nautiques pour se porter au-devant du monocoque Yes We Cam! Aussitôt, le bâtiment de combat appareille avec la contrainte suivante : trouver un point de convergence, le plus proche possible, donnant la possibilité d’effectuer un transbordement. « Cela a demandé beaucoup de préparation pour viser un rayon de rendez-vous. Au fil de nos avancées respectives, ce rayon a diminué jusqu’à aboutir à un point. »

Pendant quatre jours, le Nivôse et son équipage affrontent des creux supérieurs à 6 mètres, caractéristiques des redoutables « 40e rugissants ». Les organismes sont soumis à rude épreuve et le bâtiment subit quelques avaries. « Ma préoccupation était de ne rien casser et de donner des périodes de répit à l’équipage, en réduisant l’allure lors des repas ou pendant la nuit, afin qu’il reste lucide jusqu’au bout de l’opération. Tout le monde voulait rentrer avec Kevin, mais il fallait être aussi prêt à annuler le transfert si le risque se révélait trop important. C’est une histoire d’équipage », confesse le Pacha. Ainsi le commandant et l’ensemble des marins gardent le cap de la mission : « Durant le transit, nous avons procédé à des essais de mise à l’eau du semi rigide, en faisant face à la houle et en virant sur 150° afin de lisser le plan d’eau ».

Rejoindre Yes We Cam! était le premier objectif, mais après l’avoir atteint, il a fallu assurer la sécurité du transbordement entre une frégate longue de 94 mètres et un IMOCA dont la vitesse dépend du vent. Le 6 décembre, au petit matin, la frégate entre en contact radar, visuel puis radio avec Yes, We Cam! Une demi-heure plus tard, elle met en œuvre la manœuvre, répétée les jours précédents, pour mettre son embarcation à l’eau. En quelques instants, le navigateur Kevin Escoffier est pris en charge. Le reste appartient aux images.

Le 8 décembre, à bord du Nivôse

Entretien avec le skipper naufragé Kevin Escoffier

COLS BLEUS : Expliquez-nous comment s’est déroulé le naufrage de votre monocoque.

KEVIN ESCOFFIER : J’étais encore dans l’océan Atlantique sud et je me dirigeais vers une zone où j’allais rencontrer jusqu’à 6 mètres de creux avec un vent de 35 noeuds. Je m’étais préparé à cela, j’avais pris deux ris sur ma grand-voile et laissé juste un foc sur l’avant. Les rafales de vent se sont rapidement engouffrées dans mes voiles, la mer est devenue très verticale. Puis, au lieu de ressortir d’une vague, l’étrave s’est cassée et je l’ai vue se replier à 90°. À ce moment-là, j’ai vu l’eau entrer dans le bateau comme si on avait ouvert les vannes d’un barrage. J’ai vite réagi, j’ai enfilé ma combinaison de survie, j’ai à peine eu le temps de prendre une balise de positionnement satellite, mon radeau de survie et j’ai été emporté par une vague.

C. B. : Que se passe-t-il dans la tête d’un marin sur un radeau de sauvetage ?

K. E. : Sur le coup, j’ai trouvé la scène surréaliste car à aucun moment je n’avais imaginé que le bateau pouvait se couper en deux. J’ai pensé à ma femme, j’ai espéré qu’elle avait eu le temps de retirer ma fille de l’école parce que c’est une course extrêmement médiatisée. Et c’est drôle, parce que justement elle est allée directement la chercher lorsqu’elle a appris la nouvelle. Dans le radeau, j’ai essayé d’être le moins dans l’eau possible. J’étais sûr qu’on allait me retrouver. Je m’imaginais ce qui pouvait m’arriver de pire et je mettais en place tous les moyens pour lutter contre ça.

C. B. : Quels conseils donneriez-vous à un naufragé au milieu de l’océan ?

K. E. : Il faut être confiant et positif. Si on a un bon mental, on met en place les mesures qui permettent de tenir le plus longtemps possible. Si vous n’êtes pas confiant, votre cerveau projettera des choses négatives, et vous lâcherez. Vous arrêterez d’éponger et vous consommerez très rapidement la nourriture et l’eau. J’étais très optimiste, à aucun moment je me suis dit que j’allais mourir.

C. B. : Vous êtes actuellement à bord du Nivôse. Quel est le lien entre un marin de la Marine nationale et un skipper ?

K. E. : Le lien est très simple : tous les ans, à chaque course, nous avons des briefings sécurité avec les marins de la Flottille 24F basée à Lann-Bihoué. Ils nous expliquent, par exemple, quel est le moyen le plus efficace pour être détecté à l’eau. Aujourd’hui, c’est la Marine nationale qui vient me ramener à terre.

C. B. : Qu’est-ce qui vous plaît le plus à bord du Nivôse ?

K. E. : Le confort par rapport à mon IMOCA. La douche est confortable et on y mange très bien ! C’est un bateau avec une belle âme. Avant les courses en solitaire, j’ai eu l’occasion de faire des courses en équipage et la raison pour laquelle on tenait c’était que nous avions un objectif commun qui était celui de la victoire. Ici, le commandement soude les hommes mais la mission en elle-même les unit car tout le monde va dans le même sens. Cette vie à bord est un épisode très fort de ma vie.


Sources : Marine nationale
Droits : Ministère des armées