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SOUS-MARINIER À BORD DU REDOUTABLE - LE QUARTIER-MAÎTRE PIERRE GAUTIER RACONTE

Mise à jour  : 20/11/2020 - Direction : SIRPA Marine

Il y a tout juste 50 ans, Le Redoutable plongeait pour la première fois en Manche avec en son cœur, l’énergie nucléaire.

La classe du Redoutable : d’une génération à l’autre
En atteste son « carnet de plongée », Pierre Gautier a passé deux ans sous la mer. 17 000 heures selon des états de service comptabilisés sur papier jauni. Junon, Flore, Agosta, Rubis… Pierre a posé son sac dans une dizaine de vaisseaux noirs de la Marine. « Que voulez-vous savoir ? » interroge, soucieux, ce retraité du pays lyonnais. « Il évoque rarement son passé de sous-marinier », préviennent ses proches. Tout bien considéré, Pierre accepte de se replonger dans le chapelet de ses souvenirs qu’il égrène méthodiquement. Ce matin de 1969, le premier des sous-marins nucléaires a pris de l’embonpoint. Dans sa nef d’acier, le cœur du Redoutable bat depuis peu. L’Homme et l’Atome s’apprêtent à faire une incursion commune sous la mer : « Il y avait peu de volontaires pour embarquer », reconnaît Pierre.

Du haut de ses 21 ans, Pierre a des chevrons rouges de quartier-maître et déjà plusieurs années de service à bord des premiers sous-marins diesel. Une photo montre le sous-marinier, hirsute : « C’était peu avant le lancement du Redoutable. J’étais fasciné par le chantier de ce nouveau submersible dont les journaux se faisaient régulièrement l’écho. » Mais Le Redoutable aurait dû s’appeler L’Obstiné. Sa construction fut péniblement commencée à la fin des années 1950, puis abandonnée. Qui se souvient que les premiers plans de cette technologie de pointe ont été dessinés au crayon ? Avec l’arrivée annoncée du Redoutable, « nous étions impatients » se souvient Pierre : « La France pourrait bientôt parler d’égal à égal avec les plus grandes puissances mondiales. Mais la naissance d’une nouvelle génération de submersible dont Le Redoutable était la tête de série a naturellement piqué la curiosité. À l’époque, il n’était d’ailleurs pas rare de surprendre des chalutiers-espions soviétiques qui venaient régulièrement nous épier dans les eaux territoriales françaises. »

Silence et lumière artificielle. Pour qui aime courir les routes, la vie de sous-marinier ressemble à un sacerdoce. « Comme le reste de l’équipage, j’ai vu plusieurs médecins qui évaluaient notre capacité à subir de longues périodes de plongée. Mais je n’avais aucune appréhension. J’ai été sélectionné. J’ai eu de la chance », veut croire Pierre.

Première plongée
Le Redoutable se dérobe. À bord, le quartier-maître Gautier découvre un univers d’une complexité étourdissante. Le temps a fait une brusque accélération dans ce cigare de 128 m de long. « Affecté à l’entretien de la distribution électrique et du compartiment réacteur, j’étais abasourdi. Une usine de production d’oxygène, une centrale inertielle… toutes ces nouvelles installations et leurs automatismes tranchaient avec le travail laborieux auquel nous contraignaient les sous-marins diesel. » Les essais sont couronnés de succès. Mais les sous-mariniers sont fébriles. Superstitieux, les marins ne veulent pas que le ciel réserve à cette orgueilleuse créature le même sort qu’à la tour de Babel. Parole d’ingénieur, la propulsion atomique du submersible lui permet de faire cinq fois le tour du monde.

 « En 1971, nous avons plongé pour une sortie en mer qui devait définitivement qualifier le sous-marin. Les essais, interminables, avaient mis notre patience à rude épreuve. » Une guerre froide se joue sous la surface. Et les premiers tours d’hélices du Redoutable en plongée emportent une centaine d’âmes et quatre missiles dépourvus de têtes nucléaires.

« Aussitôt en mer, nous avons fait plusieurs exercices de procédure de tirs. Le givre apparaissait sur les collecteurs d’eau au pont machine inférieur du sous-marin. J’ai su plus tard que nous naviguions dans les eaux froides de Norvège, à proximité des îles Féroé. » Douche, bannette individuelle et atmosphère régénérée, non sans une certaine satisfaction, Pierre savoure le confort du Redoutable : « Pour la première fois, nous n’avions plus besoin de faire surface pour renouveler l’atmosphère du bord. Tapis dans les profondeurs, nous jouissions enfin d’un sentiment d’invulnérabilité. »

Retour à terre
Pierre et l’équipage du Redoutable regagnent la base de l’île Longue après une absence d’une soixantaine de jours. En milieu d’après-midi, les hommes sont libérés de leurs obligations presque aussitôt, trop heureux de regagner leurs foyers. Mais dès le lendemain l’état-major est en alerte. « Plusieurs membres d’équipage ont fait un malaise. Sans gravité. L’explication était simple : pour la première fois de l’histoire de la marine française, des sous-mariniers s’étaient soumis sans interruption à une vie confinée en espace clos. Le retour au tumulte de la ville et à son agitation avait perturbé l’équilibre de certains d’entre nous. » Dès lors, les retours du Redoutable se feront la nuit, pour permettre à l’équipage de prendre du repos. Aujourd’hui encore, Pierre assure se souvenir parfaitement des moindres replis du ventre du Redoutable. Et on le croit volontiers. Confidentialité oblige, le quartier-maître Gautier ne saura jamais où ses patrouilles l’ont mené. Sa famille non plus. Mais Pierre aura sans doute enlevé plusieurs tours du monde à l’horizon trop étroit d’une coursive.

Extrait du Cols Bleus N°3088 - Juilet 2020 - De Gaulle et la Marine - Des FNFL à la Marine du XXIe siècle


Sources : Marine nationale
Droits : Ministère des armées