Du 1er bataillon de fusiliers marins commandos (BFMC), on connaît l’action lors du Débarquement et de la campagne de Normandie. Mais on limite trop souvent l’histoire de cette unité à ce seul fait d’armes. Pourtant, son rôle dans la campagne des Pays-Bas et notamment la prise de l’île de Walcheren à l’automne de l’année 1944 fut plus qu’un symbole : une mission déterminante pour la poursuite de la guerre et de la victoire alliée.
Au lendemain de la campagne de Normandie, le 1er BFMC est une unité éprouvée, à la fois physiquement et moralement, et ses effectifs en pâtissent. Si le nombre 177 – du jour J – est un symbole, il ne saurait représenter à lui seul l’histoire des bérets verts français de 1942 à 1945. À la veille de cette nouvelle campagne, beaucoup des 177 ne sont plus là. Sur les 106 commandos qui débarqueront à Flessingue, il ne restera que 95 d’entre eux, les 82 autres ayant été soit tués, soit débarqués de façon volontaire ou contrainte, soit toujours en convalescence. La fatigue morale et physique, consécutive à la bataille de Normandie, pèse sur ces hommes. L’aumônier René de Naurois écrit : « J’avais eu une longue conversation à l’infirmerie, avec le Dr Kennedy : quelques-uns de nos hommes étaient à bout de forces. Je me relevais mal moi-même d’une sorte de fatigue qui tournait à la dépression. […] Je reste frappé, […] en reprenant mes carnets de cette époque, de voir ce que pouvait faire sur nous une fatigue accumulée depuis des mois et qui nous atteignait jusqu’à l’âme. » Des burn-out toucheront d’ailleurs certains commandos durant la campagne des Pays-Bas et conduiront à leur évacuation.
LA DÉTERMINANTE BATAILLE DE L’ESCAUT
Curieusement négligée par l’historiographie de la libération de l’Europe, la campagne pour la libération de l’estuaire de l’Escaut fut pourtant déterminante dans la victoire alliée. À l’heure où le front s’éloigne dangereusement des côtes normandes, étirant toujours plus ses lignes d’approvisionnement, il devient urgent pour les Alliés de s’emparer d’installations portuaires. Miraculeusement pris intact, le 4 septembre, le port d’Anvers, deuxième port d’Europe et troisième du monde, véritable poumon qui pourrait apporter aux Alliés tout l’approvisionnement nécessaire, est inexploitable en raison du contrôle de l’estuaire de l’Escaut par des forces allemandes puissamment retranchées. À la n du mois d’octobre, au terme d’une difficile campagne des troupes canadiennes et polonaises, seule l’île de Walcheren, située à l’embouchure, résiste encore.
Walcheren est considérée par l’état-major allié comme le secteur le plus fortifié d’Europe. S’en emparer s’annonce donc particulièrement périlleux. Pour faciliter sa prise en limitant les déplacements et l’approvisionnement de l’adversaire, les digues du littoral sont bombardées et percées par la Royal Air Force, entraînant l’inondation de l’île à l’exception des dunes à son pourtour.
Un double débarquement doit ensuite permettre de réduire les forces ennemies.
L’ASSAUT CONTRE L’ÎLE DE WALCHEREN
Le 1er novembre 1944, à partir de 5 h 45, les hommes du Commando n° 4, avec en leur sein les 106 Français, débarquent sur le site codé Uncle Beach, sur le littoral de la cité portuaire de Flessingue. L’affaire est rondement menée. Les commandos s’emparent rapidement de la tête de pont et pénètrent dans la ville. Les combats de rue s’engagent, farouches et meurtriers. Cinq commandos français y laisseront la vie. Il faut attendre le 3 novembre pour obtenir la reddition des derniers défenseurs de Flessingue. Pendant ce temps, le reste de la 4e brigade du Special Service, formée de Royal Marines Commandos britanniques et de commandos belges, norvégiens, néerlandais et d’Allemands antinazis, a débarqué à Westkapelle, au nord de l’île. La jonction est effectuée avec le Commando n° 4, venu de Flessingue, au soir du 3 novembre. Enfin, le 8 novembre, après un ultime assaut contre Vrouwenpolder, le Commando n° 4 obtient la capitulation des dernières forces allemandes de l’île. Le lendemain, le général Eisenhower en personne, chef suprême des forces alliées, publie un communiqué dans lequel il considère cette opération « comme l’une des plus audacieuses et des plus braves de cette guerre. » Les rudes combats menés par les Alliés sur le Rhin et dans les Ardennes dans les semaines suivantes n’auraient pu réussir sans l’ouverture d’Anvers. Hitler lui-même, bien conscient de l’importance de ce port, en fera le premier objectif de ses troupes lors de la contre-attaque des Ardennes.
LES RAIDS OUBLIÉS DE 1945
La prise de l’île de Walcheren ne marque pas la n de la campagne des Pays-Bas pour les commandos français. Stationnés au Beveland du Nord, ils doivent assurer la défense du littoral autour de Colijnsplaat. Ce rude hiver, loin des secteurs du front où tout se joue, et la frustration de ne pas prendre part à l’invasion de l’Allemagne sont durement ressentis par des hommes venus aux commandos pour participer aux missions les plus périlleuses. Les trois raids menés contre les forces allemandes retranchées sur l’île de Schouwen entre janvier et mars 1945 peinent à faire oublier ce sentiment d’abandon et d’inutilité.
UNE AMÈRE SORTIE DE GUERRE
C’est donc aux Pays-Bas que l’annonce de la capitulation sans condition de l’Allemagne parvient aux commandos français. Ce jour de victoire pour les Alliés est aussi un jour de deuil pour le 1er BFMC : Camille Allard, ultime victime du conflit chez les bérets verts, saute sur une mine ce 8 mai 1945. L’annonce de la fin des combats n’est pas accueillie avec une joie débordante. Les lettres parvenues jusqu’à nous en témoignent. Guy Hattu écrit ainsi à sa mère : « Personnellement, nous sommes furieux, cette guerre finit pour nous en queue de poisson. Nous n’avions jamais envisagé qu’elle puisse se terminer autrement qu’à la suite d’une marche victorieuse à travers l’Allemagne. Nous maudissons le sort. C’est ainsi que nous finissons la guerre ! Comment cette fin peut-elle nous laisser aussi indifférents… Peut-être parce que nous imaginons dans toute l’Europe une allégresse superficielle, des distractions sans nom, auxquelles nous ne pouvons participer. Si absurde que cela puisse paraître, ce sont les militaires qui gagnent la guerre et ce sont les civils qui s’en réjouissent... »
BENJAMIN MASSIEU AUTEUR DU LIVRE :
COMMANDO KIEFFER LA CAMPAGNE OUBLIÉE PAYS-BAS 1944-1945
Sources : Marine nationale
Droits : Ministère des armées