Durant la première guerre mondiale, le théâtre maritime européen constitue pour les forces navales françaises le cœur de leur action. Néanmoins, le caractère mondial de la guerre provoque la multiplication des opérations à travers le globe, et la zone caribéenne n’échappe pas à cette situation. Appuyant son action depuis la base navale de Fort-de-France, la France contribue au blocus d’envergure mondial, qui vise les puissances centrales ainsi que la protection des lignes de communication, indispensables à la poursuite du combat sur le Vieux Continent.
Peu nombreuses dans la région caribéenne à la déclaration de guerre, les unités navales allemandes isolées qui s’y trouvent reçoivent pour mission principale d’entraver le commerce allié en mer.
L’Allemagne a anticipé avant la guerre les problématiques de ravitaillement de ses unités éloignées à travers la constitution d’un réseau « d’étapes ». Placées dans des ports neutres, celles-ci doivent permettre d’assurer dès le début des hostilités la liberté d’action des bâtiments de combat allemands.
LA PROTECTION DES LIGNES DE COMMUNICATION
Dans les premiers mois du conflit, l’escadre alliée en charge de la zone caribéenne affecte une part importante de ses ressources à contrer l’action de ces croiseurs isolés. Par leurs patrouilles le long des lignes commerciales, les bâtiments tentent autant de rassurer le commerce en montrant le pavillon que d’empêcher l’accès aux eaux des Caraïbes. Ces opérations pèsent fortement sur l’action navale allemande, dont les bâtiments doivent charbonner régulièrement. L’endiguement des Caraïbes par les Alliés porte ses fruits. Ainsi, le croiseur léger Karlsruhe semble annuler une action éclair sur la Martinique envisagée en août 1914, faute de combustible, et seul un bref combat naval survient le 6 août 1914, entre le Karlsruhe et le croiseur léger britannique Bristol. Le développement de la menace sous-marine met en exergue le manque de coordination navale alliée, observable depuis le début du conflit. Pour tenter de remédier à cette situation, l’Atlantique est divisée en zones dont chaque portion est confiée à une division navale. C’est dans ce cadre qu’en juin 1916 arrive en Martinique la 3e division légère, rapidement relevée pour des raisons logistiques par la 4e division légère, en octobre 1916. Après une faible présence navale au début du conflit, la marine française dispose à présent d’une structure locale de commandement dans la région ainsi que d’une flotte dédiée.
Pour se prémunir de toute action sous-marine adverse en Martinique, les autorités militaires consolident les défenses de Fort-de-France en réorganisant l’artillerie, en disposant des barrages flottants et en patrouillant aux abords de la rade. Le reste des moyens est utilisé pour protéger les routes commerciales.
Néanmoins, malgré leurs opérations sur les côtes de l’Amérique du Nord, les sous-marins allemands ne semblent pas avoir navigué jusqu’aux Antilles. Avec le déclenchement de la guerre sous-marine à outrance dans les premiers mois de 1917, puis l’entrée en guerre des États-Unis le 6 avril 1917, le manque de moyens d’escortes dans l’Atlantique devient criant. Ce besoin entraîne l’utilisation croissante des bâtiments français de la région, rassemblés depuis mai 1917 au sein de la division des Antilles, pour la protection des convois entre les deux façades de l’Atlantique.
UN BLOCUS D’ENVERGURE MONDIALE
Les forces navales du Reich déployées dans les océans sont rapidement réduites lors des premiers mois de la guerre. Faute de protection, les navires de commerce allemands sont contraints de rester dans les pays neutres pour éviter leur perte, comme à Saint-Thomas ou à Cuba. À défaut de pouvoir capturer ou détruire ces navires réfugiés, les forces navales alliées exercent une surveillance régulière des approches de ces pays. L’objectif est notamment d’empêcher que l’importante flotte de commerce allemande soit utilisée pour ravitailler les navires ennemis isolés, et que certains navires puissent s’armer en croiseurs auxiliaires pour tenter de perturber les lignes de ravitaillement.
Avec l’installation de la guerre dans la durée, la problématique des internés perd en importance. Les navires non entretenus deviennent rapidement inaptes à la mer, tandis que les équipages non soldés désertent. Avec l’entréeen guerre des États-Unis et de nombreux pays d’Amérique centrale et du Sud, les derniers navires sont capturés par les pays hôtes.
Faute de pouvoir utiliser leurs propres navires de commerce, les empires centraux tentent de s’approvisionner en utilisant des navires sous pavillon neutre qui font transiter leurs marchandises dans des pays limitrophes. Une partie de ces marchandises, considérée comme militairement utile, relève de la contrebande de guerre.
Avec la généralisation de la propulsion vapeur, la capacité des belligérants à frapper loin de leurs bases dans des délais brefs s’est accrue.
Cette situation conduit les Alliés à mener un blocus éloigné des côtes ennemies et qui s’étend bien au-delà des côtes de l’Europe. Un état de fait renforcé par les progrès techniques et tactiques des sous-marins allemands.
Pour les forces françaises stationnées aux Antilles, la participation au blocus est en conséquence l’une des missions principales. Les bâtiments sur zone exercent cette surveillance par l’arraison- nement et la visite des navires rencontrés.
Il s’agit alors souvent d’un examen minutieux des papiers, tant l’inspection des cargaisons est délicate en mer. En cas de doute, les navires suspects sont déroutés vers un port allié pour une fouille plus approfondie, à l’image du vapeur brésilien Tocantin dérouté à Fort-de-France par le croiseur cuirassé Marseillaise.
Une partie de sa cargaison est saisie et le navire relâché après les conclusions de la Commission de visite des bâtiments suspects du 8 juin 1916. Les ressortissants allemands ou autrichiens capturés dans l’application de ce blocus sont également transférés aux autorités militaires de Martinique.
Au-delà du fait d’être l’une des bases de soutien des opérations menées par la marine française aux Caraïbes, Fort-de-France devient un lieu de détention pour les prisonniers adverses, incarcérés au fort Desaix.
Ainsi, après une faible présence au début du conflit sous commandement britannique, la flotte française est renforcée en 1916 et dotée d’un commandement local.
Elle contribue au besoin vital du maintien actif des lignes de ravitaillement en assurant leur protection. En outre, avec le blocus maritime, la marine limite l’utilisation de la mer par les empires centraux comme voie d’approvisionnement et de communication. Ces deux côtés d’une même médaille composent le “command of the sea” et déterminent l’action de la majeure partie des forces navales alliées.
Lieutenant de vaisseau Clément
Sources : Marine nationale
Droits : Ministère des armées