L'action de la Marine pendant le Premier Empire est bien souvent réduite à la bataille de Trafalgar. Toutefois, des marins ont bel et bien été au coeur de l'empire : il s'agit de ceux de la garde impériale. Constitués en bataillon en vue de l'invasion de l'Angleterre, ces marins ont combattu sur mer et sur terre. Ils étaient surnommés par les autres corps de la grande armée " les bons à tout faire ". Napoléon 1er a dit d'eux : " on les a trouvés, au besoin, matelots, soldats, artilleurs, pontonniers, tout ! "
Lorsque, en 1799, la garde du directoire est transformée en garde consulaire, elle ne comprend pas de marin. Mais Bonaparte, alors Premier consul, envisage d'envahir l'Angleterre et décide de créer un corps spécial de matelots pour transporter outre-Manche son état-major et sa garde. Le 30 fructidor an XI (27 septembre 1803) paraît l'arrêté fixant le mode de recrutement de cette unité baptisée « bataillon des matelots de la garde consulaire » et placée sous le commandement du capitaine de vaisseau Daugier. À sa création son effectif théorique est fixé à 737 hommes répartis entre une Etat major et cinq équipages, divisés chacun en cinq escouades de 29 hommes. Le 29 juillet 1804, la garde consulaire devient garde impériale, et le bataillon celui des marins de la garde impériale.
Une création au pas de charge
Une lettre du 23 septembre 1803, adressée au ministre de la Marine, entérine la naissance de cette unité : " Le Premier consul désire, citoyen ministre, que vous preniez les dispositions suivantes :
Dans les cinq jours de la réception de vos ordres, les préfets maritimes désigneront les marins qui doivent entrer dans le bataillon et dans les vingt-quatre heures qui suivront, ces matelots seront dirigés sur Paris. À leur arrivée, ils seront casernés à Courbevoie. "
Fin décembre 1803, le bataillon est complet. En janvier 1804, il reçoit l'ordre de prendre possession de barges de débarquement en cours d'achèvement dans tous les ports des façades de l'Atlantiques et de la Manche pour les convoyer à Boulogne-sur-Mer.
Le transit s'effectue par petit groupe et à vue de la terre. L'ennemi rôde le long des côtes et n'hésite pas à frapper dès que possible. Ce fut, par exemple, le cas au large de Wimereux et de Dieppe : des barges sont attaquées par des frégates anglaises mais les marins de la garde parviennent à chaque fois à les repousser. Le 13 thermidor an XII (1er août 1804), une division navale anglaise franchit l'embouchure de la Seine pour bombarder le Havre. Des marins du bataillon de la garde y rassemblaient des chaloupes canonnières construites à Paris et au Havre pour rallier Boulogne. Le capitaine de frégate Baste, commandant du 3e équipage, prend la tête de 30 chaloupes et effectue une sortie qui force les Anglais à battre en retraite. Au cours de l'affrontement, le brick anglais Locust sera démâté par les tirs des chaloupes et n'échappera à l'abordage que grâce au vent qui le repoussera vers le large.
Combattre à terre
Avec l'abandon de l'invasion de l'Angleterre, le bataillon est réaffecté à d'autres missions. Il participe au siège, puis à la prise de Dantzig, en 1807. Après cette campagne en Allemagne, il est envoyé en Espagne et cantonné à Madrid. En mai 1808, le général Dupont reçoit l'ordre de rallier, avec 9580 hommes, la ville de Cadix. Le bataillon des marins de la garde se joint à lui. Il a pour mission d'aller renforcer les équipages de la flottille française qui s'y est réfugiée depuis la bataille de Trafalgar.
Dès son entrée en Andalousie, le général doit faire face à une guérilla qui harcèle ses troupes. Plus largement, c'est la région toute entière qui se soulève ; plusieurs armées d'un effectif total de 50 000 hommes sont levées. Après avoir pris d'assaut Cordoue, Dupont, à cours de ravitaillement et menacé d'encerclement, doit battre en retraite. Il est poursuivi par les 20 000 hommes du général Castaños. Arrivé à Bailén, il tombe face à 30 000 Espagnols commandés par les généraux Reding et Coupigny et tente de les bousculer. Placés en réserve au début de la bataille, les marins sont appelés en 1ère ligne pour percer le centre de l'armée ennemie. Ils se forment en ligne de bataille au coeur du dispositif français. Ils chargeront à trois reprises et perdront un tiers de leurs effectifs. Après neuf heures de combat, Dupont capitule. Les marins sont faits prisonniers et incarcérés, tout d'abord à Rota, puis sur des bâtiments désarmés au mouillage dans le port de Cadix, les fameux pontons de sinistre mémoire. Sous-alimentés, beaucoup y trouveront la mort. Les survivants sont déportés sur l'île déserte de Cabrera, aux Baléares, considérée par certains historiens comme le premier camp de concentration de l'Histoire.
Un destin intimement lié à celui de l'Empereur
Après la bataille de Bailén, première défaite napoléonienne, le bataillon des marins de la garde est donc décimé. Il faudra attendre septembre 1810 pour qu'il soit reconstitué avec un effectif de 1136 hommes répartis en huit compagnies. Deux sont envoyées au Portugal et participeront à la bataille de Fuentes de Oñoro, une à Brest, une autre à Anvers et deux sur des bâtiments de premier rang à Toulon. Les deux dernières participeront à la campagne de Russie. Enfin, 60 marins, évadés des pontons participeront au siège de Cadix mené par le Maréchal Victor de 1810 à 1812.
Les compagnies envoyées en Russie serviront comme pontonniers et canonniers. Ces hommes s'illustreront notamment à la bataille de la Bérézina. Sur les 282 marins engagés, seuls 85 en reviendront. Reconstitué rapidement, le bataillon participera à la campagne d'Allemagne de 1813, puis à celle de France, en 1814. Vingt-et-un marins accompagneront l'Empereur en exil sur l'île d'Elbe. Au cours des cent jours, le bataillon compte 150 hommes. Ces derniers participent à la campagne de Belgique et s'illustrent en prenant d'assaut le pont de Charleroi, avant que les Prussiens ne le fassent sauter. Ils participent à la bataille de Waterloo en tant qu'artilleurs. Après la seconde abdication de Napoléon, le bataillon est dissous par ordonnance royale du 10 août 1815.
Les marins du bataillon de la garde impériale ont combattu en mer, à terre et sur tous les théâtres d'opération de l'Empire. Une première pour des marins! Cent ans plus tard, ceux de l'amiral Ronarc'h s'illustreront eux aussi en Belgique, à Dixmude.
Philippe Brichaut
Sources : Bataillon des marins de la garde, docteur Eugène Lomier.
Imprimerie E. Lefevre, juin 1905.
Extrait du Cols Bleus N°3087 - Juin 2020 - Sur le pont ! Fiers de nos marins
Sources : Marine nationale
Droits : Ministère des armées