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Le père de Sherlock Holmes navigua avant d’écrire - Arthur Conan Doyle, médecin à la mer

Mise à jour  : 01/04/2021 - Direction : SIRPA Marine

À l’origine, Conan Doyle ne se destinait pas à l’écriture : il fit des études de médecine. C’est d’ailleurs pour financer l’installation de son cabinet qu’en 1880-1881, il embarqua comme chirurgien sur un baleinier dans l’océan Arctique, puis comme médecin d’un cargo mixte sur la côte occidentale d’Afrique. Ces expériences aventureuses lui ont inspiré un passionnant volume de nouvelles à mystère : Les contes de la haute mer.

Si ses parents sont assez aisés pour l’envoyer à l’université, le jeune Arthur Conan Doyle ne peut compter que sur lui-même pour se faire une situation. C’est donc la perspective d’empocher une solde confortable qui l’amène à remplacer au pied levé un camarade de cours qui a signé son engagement comme chirurgien sur un baleinier, mais qui, au dernier moment, se découvre terrifié à l’idée d’affronter la banquise. Envisage-t-il alors l’exploitation littéraire d’un voyage aussi aventureux qu’exotique ? Conan Doyle s’en défendra toujours, même si ses carnets constituent un authentique travail de reporter.

Sur ses vieux jours, en revanche, le romancier reprendra ces écrits pour rédiger ses mémoires, et c’est un bonheur d’y découvrir des descriptions aussi justes que pleines de poésie : « Dans les régions arctiques, on a le sentiment d’être dans un autre monde, sentiment si particulier que, pour les avoir connues une fois, on en reste à jamais hanté. Il vient pour une bonne part de ce que le jour y est sans fin. La nuit, la lumière demeure, mais d’une teinte plus orangée, d’un éclat plus sourd ; encore cette différence n’est-elle pas très sensible. »

La rugosité de la vie à bord

On en appréciera aussi le caractère documentaire, car, en 1880, la chasse à la baleine ne se pratique pas encore au canon, mais au harpon depuis une baleinière menée à l’aviron. Le jeune Arthur découvre ainsi une société moins policée que celle qu’il a connue à l’université : « … si un des rameurs se prend par malheur le pied dans une boucle, il se trouve enlevé si brusquement que ses camarades ne le voient pour ainsi dire pas disparaître, et ce serait sacrifier la baleine en pure perte que de couper le filin, car déjà le malheureux est englouti à des centaines de brasses de profondeur. — Laisse donc ! criait le harponneur à un homme qui avait tiré son couteau en pareille circonstance. La baleine consolera la veuve. » Cette rude ambiance inspirera Le capitaine de l’Étoile-Polaire, terrible histoire d’un capitaine qui, par folie, laisse son baleinier se prendre dans les glaces.

Chirurgien du Hope puis médecin du Mayumba

Après avoir navigué entre le Groenland, le Spitzberg et les îles Féroé, le jeune Arthur est de retour en Écosse en août 1880. À peine débarqué, il reprend ses études et, au printemps 1881, ayant obtenu les diplômes de bachelier en médecine et de maître en chirurgie, il peut exercer. Mais il ne dispose pas encore des moyens suffisants pour ouvrir un cabinet. Il sollicite donc un embarquement, cette fois à bord de paquebots. L’African Steam Navigation Company l’engage ainsi comme médecin du cargo mixte Mayumba qui assure une ligne régulière sur les côtes d’Afrique occidentale. Avec Liverpool pour port d’attache, il rejoint l’Afrique via Madère et les Canaries puis cabote jusqu’au Cameroun en transportant des cargaisons diverses. Sur le chemin du retour, il charge ici et là de l’huile de palme et de l’ivoire, retrouvant l’Écosse au terme d’un voyage de trois mois.

De l’Afrique à Sherlock Holmes

D’escale en escale, le jeune médecin mesure les horreurs de la vie en Afrique équatoriale à la fin du XIXe siècle. Dans ses mémoires, il raconte : « C’était vraiment un lieu terrible dans le début des années 1880, et cela explique pourquoi le désespoir dans lequel ils vivaient amenaient les blancs à prendre avec l’alcool des libertés que jamais ils n’auraient osé s’autoriser dans une contrée plus salubre. Un an de séjour semblait y constituer la limite de l’endurance humaine. » De fait, c’est un miracle si Conan Doyle en revient puisque, à l’escale de Lagos (Nigeria) le voici soudainement terrassé par une attaque de fièvre qui le laisse inconscient pendant plusieurs jours, avant d’en sortir épuisé mais sauf. Avait-il envisagé une carrière sous les tropiques ? Il déchante : « L’Afrique finit par devenir pour moi synonyme de mort.

Il m’apparut que l’homme blanc, avec ses besoins et ses habitudes, y était un intrus qui jamais n’y trouverait sa place ; et que l’immense continent brun le tuait comme on écrase une punaise. Dans mon journal de voyage, je lis : « ... Mieux vaut vivre d’aumônes en Angleterre, qu’être riche en ces lieux épouvantables. »». On sait maintenant d’où provient l’authenticité de la nouvelle policière Le Diable de la tonnellerie, qui évoque les mystérieux crimes commis dans une exploitation d’huile de palme. En janvier 1882 comme il débarque du Mayumba, Arthur Conan Doyle ouvre un cabinet médical à Portsmouth. Bien sûr, les premiers clients sont rares, aussi le jeune médecin trompe l’ennui en écrivant des histoires. Et cinq ans plus tard, le public fait la connaissance de Sherlock Holmes.

Texte : Dominique Le Brun, écrivain de Marine
Infographie : Fiona Morisse / MN


Sources : Marine nationale
Droits : Ministère des armées