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« Des marins et des hommes »

Mise à jour  : 08/12/2010 - Direction : SIRPA Marine

Éditeur d’art et écrivain, Christophe Penot est l’auteur d’ouvrages sur la Marine, dont un récent intitulé La Gloire des mousses. Observateur attentif de la vie des marins, illustres ou anonymes, cet homme de Lettres pose un regard forcément éclairant. Explications de textes.

Christophe Penot, vous venez de réaliser un ouvrage dédié aux mousses et à leur école, comment vous est venue l’idée ?

L’idée n’est pas de moi mais du capitaine de vaisseau Bernard Riou. C’était en juin 2008, à l’époque de la sortie des Chevaliers de la mer, livre que j’ai consacré à l’École navale. Bernard Riou allait quitter son rôle de « Veuve » pour prendre le commandement du Centre d’instruction naval de Brest. Parmi ses missions, il y aurait, évidemment, la réouverture de l’École des mousses, celle-ci fermée depuis 1988. « Cette École des mousses a une telle histoire, m’expliqua-t-il. Elle représente tellement la Marine ! Je vois déjà le livre que vous pourriez écrire… » Sur le principe, j’ai immédiatement acquiescé. Moi aussi je voyais déjà le livre que nous pourrions écrire. J’ai servi dans la Marine pendant mon service national. J’ai eu le bonheur de porter le pompon rouge. En clair, j’étais paré !

Comme votre précédent ouvrage, s’agit-il d’un livre d’entretiens faisant la part belle à des témoignages de marins ?

Oui parce que j’aime beaucoup cette formule que j’ai utilisée pour la première fois en 1996, en recueillant la mémoire de Pierre Chany (1922-1996) (NDLR : journaliste sportif considéré comme l'une des meilleures plumes du quotidien L'Équipe). Car mon premier souci est celui-là : recueillir la mémoire d’un homme, pour que sa trace et son savoir ne soient plus jamais effacés. Dans le cas présent, le livre commence par un chapitre historique pour bien replacer cette réouverture dans un contexte plus large qui est celui de l’aventure maritime. Puis le récit laisse place aux entretiens, c’est-à-dire aux hommes. Je pense souvent au mot de Gorki : « L’homme ! C’est magnifique ! Cela sonne fier ! ». Ce mot correspond parfaitement à l’idée que je me fais du marin : un homme avec ses défauts, comme tout le monde, mais qui porte cependant un côté magnifique. Il suffit de songer à Olivier de Kersauson, au vice-amiral d’escadre Olivier Lajous, au contre-amiral Hervé Vautier, au commandant du Belem Yann Cariou : tous entretiennent un rapport puissant, magnifique et fier avec la mer. Ils s’y sont tellement bien frottés qu’ils ont fait des carrières exemplaires, dont on trouve l’écho dans ce livre.

Comment sélectionnez-vous vos interlocuteurs ? Quelles sont les étapes de votre travail d’investigation ?

Pour moi, seul l’intérêt du livre commande. Donc l’idée qui prime est de présenter des grands témoins qui sont à la fois des hommes de caractères et des hommes complémentaires, afin qu’ils apportent tous un éclairage supplémentaire sur l’École des mousses et le métier de marin. Au total, ils sont 18 grands témoins, tous prestigieux, qui répondent tous à des questions différentes. Ce qui permet d’obtenir un livre très profond, avec des réflexions passionnantes sur la vie des hommes et des femmes qui partent en mer dans l’idée de servir la nation qui a quand même donné au monde François-René de Chateaubriand et Jean-Baptiste Corot

Avez-vous rencontré des difficultés dans l’élaboration de cet ouvrage ?

Il n’y a jamais de difficulté, car je travaille toujours en parfaite confiance avec mes interlocuteurs. Je les écoute longuement, dans le souci de les comprendre au mieux, avec leurs aveux et leur non-dits. Dans Les Chevaliers de la mer, l’amiral Forissier posait cette question fondamentale : « Comment deviner la vie des marins, qui est en soi indescriptible ? » Eh bien, de livre en livre, j’essaie justement de rendre ces vies de marin plus compréhensibles, plus perceptibles et plus lumineuses.

À la lumière des 18 entretiens menés, que retenez-vous de l’École des mousses ?

Qu’elle est effectivement à la hauteur du titre : La Gloire des mousses. Car il y a une gloire et une leçon dans la condition du mousse : apprendre pour s’améliorer et pour faire de sa vie une œuvre digne. C’est d’ailleurs ce que dit Bernard Giraudeau, le premier des grands témoins que j’ai rencontrés, et qui nous laisse ici un émouvant témoignage. Je sais que s’il était encore parmi nous, il serait très fier de la promotion dont il a été le parrain.

Vos trois derniers ouvrages* s’intéressent à la Marine nationale et ses acteurs que vous fréquentez désormais assidûment. Quelles sont les valeurs du marin selon vous ? Est-il si différent d’un terrien ?

C’est justement l’une des questions que j’ai posées à l’amiral Forissier au cours de notre entretien ! Sa réponse ? « Ce n’est pas l’homme, ce n’est pas le marin ; c’est la mer qui est différente » Une réponse que je complète aujourd’hui avec cette remarque d’Éric Hussenot, le fondateur d’Océanopolis : « L’homme, capable d’araser des montagnes ou capable de marcher sur la lune, ne sait toujours pas mesurer exactement la profondeur de la fosse des Mariannes ! » C’est, à mon sens, parfaitement expliquer la différence qui existe entre la terre et la mer. Et j’imagine que cette différence finit, peu ou prou, par trouver sa traduction dans les êtres. Il y a chez les marins qui écrivent une sensibilité, une mélancolie très personnelle que toute l’œuvre de Pierre Loti illustre abondamment. On trouve aussi cette même sensibilité chez Chateaubriand. Quand il mande à Mme de Staël, dans une phrase parfaitement cadencée : « Savez-vous, illustre dame, qu’il y a un certain oiseau noir qui se montre sur la mer au tempos des orages… », ce n’est évidemment pas l’homme politique qui parle, c’est l’ancien voyageur qui a traversé l’Atlantique, c’est le fils d’un vieil armateur malouin.

Le marin-navigateur Eric Tabarly, le marin-académicien Jean-François Deniau ou le marin-explorateur Paul-Emile Victor, Cols Bleus s’est intéressé pour ce numéro à des marins au destin exceptionnel. Que vous inspirent ces personnages qui ont fréquenté de près ou de loin la Marine nationale ?

J’aime beaucoup le portrait d’Éric Tabarly que sa femme, Jacqueline, a bien voulu tracer dans Les Chevaliers de la mer : « Un yéti, une silhouette mal à l’aise à terre, mais un lion de mer qui s’avérait d’une force et d’une agilité insoupçonnables dès qu’il posait le pied sur un bateau ! » Pour Paul-Emile Victor, ne l’ayant jamais croisé, je parlerai seulement de ses dessins : ils m’ont toujours fait penser à l’œuvre graphique de Saint-Exupéry : beaucoup de poésie, beaucoup de tendresse… J’imagine que cet homme rude s’était apaisé loin de la civilisation. Enfin, j’ai regretté que le temps ne nous permette pas, mon épouse et moi, d’éditer Jean-François Deniau. Nous lui avions proposé d’écrire sur les paysages ligériens. Sa maladie a mis fin à ce projet.

Si vous deviez résumer en un aphorisme, un proverbe ou trois mots le marin et sa condition, quels seraient vos bons mots ?

« Des bateaux et des hommes ». C’est d’ailleurs le nom de la collection que nous lançons avec Michel Bez, autre peintre officiel de la Marine, et c’est pour moi le synonyme de belles promesses. Promesse d’ailleurs, avec la mer. Promesse de rencontres, surtout. Pas plus que je ne me lasse de lire un bon livre, ou de regarder un grand peintre, je ne me lasse jamais d’écouter des marins »

Propos recueillis par Stéphane DUGAST


Sources : © Marine nationale
Droits : Ministère des armées