Accueil | Air | Dossiers | Éloignement en Opex : témoignages d’aviateurs Air ... Dossiers | Éloignement en Opex : témoignages d’aviateurs

Éloignement en Opex : témoignages d’aviateurs

Mise à jour  : 09/06/2011 - Direction : Armée de l'Air et de l'Espace

Le 28 avril 2011, la rédaction du magazine d’Air Actualités lançait un appel à témoins sur la page officielle facebook de l’armée de l’air ainsi que sur le réseau interne de l’institution. De nombreux aviateurs de tous les horizons ont ainsi répondu avec bon sens et sensibilité, faisant connaître leurs trucs et astuces pour mieux supporter l’éloignement lors d’une opération extérieure (Opex). Témoignages dans leur intégralité.

Adjudant-chef C. : donner du rythme à l’Opex

« Lors d’une opération extérieure, l’éloignement et la privation de l’environnement familial et social est la chose la plus difficile à supporter, surtout si le détachement se prolonge plus de quatre mois. Pour ma part, tous mes détachements ont été rythmés par des dates, quelle que soit leur importance : jour férié, prévision de sortie ou de visite, échéance de travail, anniversaire ou une mission particulière… L’important est de focaliser mon esprit sur ces petites dates rapprochées de quelques jours à une semaine, et surtout pas sur celle de mon retour en métropole. Elle est souvent incertaine et son retard, même de quelques jours, peut déstabiliser le militaire ainsi que sa famille. Avec cette formule et les moyens de communication actuels pour rester en contact régulièrement avec sa famille, le détachement arrivera à sa fin tranquillement. »

Caporal-chef B. : être inventif et prévoyant

« Maman de deux garçons de dix et huit ans, je suis partie six mois et demi au Tadjikistan, à Douchanbé. Avant mon détachement, j’ai essayé d’impliquer mes petits garçons de multiples façons. D’une part, j’ai confectionné un petit journal pour chacun d’entre eux, avec en première page une photo de nous et un message personnalisé. Je les ai ensuite décorés avec plein de stickers et leur ai demandé d’y mettre tout ce qui leur passait par la tête, d’y faire des dessins ou d’inscrire leurs pensées des bons comme des mauvais jours, d’y coller les tickets de leurs sorties au cinéma ou aux spectacles avec l'école. Ainsi, à mon retour, j’ai pu lire chaque journal avec attention et savoir ce qu'ils avaient vécu de leur côté. Certaines pensées pleines de tristesse et de manque m'ont vraiment tirées les larmes aux yeux! Avant mon départ, j’ai également pris contact avec leurs maîtresses pour leur expliquer la situation en leur proposant qu’elles fassent réaliser à mes fils un exposé sur « maman en mission ». Ils ont ainsi pu en parler, expliquer à leurs camarades mon travail en visualisant sur une carte le lieu de mon détachement. Ils ont été fiers de moi, d’expliquer que leur maman militaire est partie très loin pour faire son travail. Cela les a beaucoup aidés à supporter mon absence. Je leur ai aussi expliqué que nous mettions en place des actions pour aider les enfants tadjiks, dont ils me demandaient très souvent des nouvelles. J'ai même organisé des échanges de dessins, de textes traduits et de bracelets en perles entre l’école de mes fils et une école locale.

Environ un mois après mon arrivée à Douchanbé, j'ai pu obtenir une connexion Internet pour communiquer avec ma famille. Les « retrouvailles via le net » furent pleines d'émotions ! Nous nous connections deux à trois fois par semaine et ils me téléphonaient le week-end. De plus, je leur envoyais régulièrement des lettres. Ça les rendait très heureux d’avoir chacun leur courrier rien que pour eux !

Mon retour a été aussi éprouvant émotionnellement que mon départ. Nous ne leur avions pas dit qu’ils venaient me chercher sur la base afin de ne pas les décevoir en cas de changement de date. Nous leur avions fait croire qu'ils venaient chercher une amie qui est également militaire. L’instant où nos regards se sont croisés est l’un de mes plus beaux souvenirs. J’étais tellement heureuse de pouvoir enfin les sentir, les toucher et les embrasser. Rien que d’en parler me donne de nouveau les larmes aux yeux ! »

Lieutenant-colonel C. : être appliqué

« Mes souvenirs d’opex datent d’une époque où le téléphone mobile et Internet commençaient à peine à émerger. Mes enfants étaient petits et nous avions des rendez-vous téléphoniques à heure et jour fixes. Cela cadençait notre temps. Faute de mail, j’écrivais beaucoup en enrichissant les courriers de photos et de dessins pour rendre la lecture plus accessible à mes petits apprentis lecteurs. De plus, j'ai toujours tenu un journal où les événements de mon opex et de la vie familiale étaient consignés. Je veillais à rentrer avec des albums photos bien rangés pour raconter plus facilement mon séjour et faire oublier l’absence. Aujourd’hui, ma fille, désormais devenue adulte, a d’ailleurs choisi un métier qui lui permet d'écrire et de voyager. »

Sergent F. : comprendre et accepter

« Mon conjoint et moi sommes tous deux aviateurs au sein d'une unité opérationnelle. J’occupe un poste que l'on pourrait qualifier de « sédentaire » alors que mon conjoint, lui, est appelé à servir en opérations extérieures au moins une fois dans l'année. Comment supporter l'éloignement? Il faut d’abord savoir que l'on ne s'y fait pas et que chaque départ en mission est un véritable déchirement. Il faut l'accepter et essayer de vivre avec. En ce qui me concerne, je me fixe des objectifs pendant les mois d'absence de mon conjoint. Par exemple, l'année dernière, je me suis lancée dans la préparation d'un marathon ! C’était un véritable challenge personnel sur lequel je me suis concentrée pendant des mois. Malgré tout, l'éloignement reste difficile à gérer et je ne peux pas m'empêcher de fixer le calendrier en me disant que le temps passe lentement. Côté communication, nous évitons de nous téléphoner tous les jours et nous utilisons les outils d’Internet (messagerie instantanée, webcam…). Durant la discussion, il faut être conscient que ceux qui partent en Opex, particulièrement en Afghanistan, ne sont pas forcément autorisés à raconter tout ce qu’ils y font. Il ne faut donc pas se poser trop de questions et essayer de profiter de l’instant. La difficulté de l'opération en Afghanistan réside également dans l'inquiétude et le stress de savoir son conjoint sur un théâtre de guerre. Malheureusement sur ce point, je n'ai pas trouvé de solution... Il faut seulement faire confiance et se laisser porter car on ne peut pas tout contrôler. »

Colonel P. : s’occuper l’esprit

« Lors de mes deux détachements de quatre mois au Tchad, je me suis constamment occupé pour faire passer le temps libre. J’allais faire mes courses dans les commerces d’artisanat local pour ramener des cadeaux à tous les membres de ma famille, ma femme, mes enfants, mes parents, ou mes frères et sœurs. Avec la perspective de cette activité agréable et récurrente en tête, je passais facilement d’une semaine à l’autre, d’autant plus lors des commandes de bijoux, qui nécessitent de retourner plusieurs fois voir l’artisan tout au long de la fabrication. L’activité sportive constitue également un bon moyen de maintenir son esprit positif et en forme, encore faut-il que le site du détachement s’y prête. Enfin, entretenir une bonne ambiance de camaraderie est essentiel, en organisant, par exemple, des sorties touristiques ou sportives en groupe. Cela forge d’excellents souvenirs, pour longtemps ! »

Sergent B. : penser à la vidéo

« Je suis partie six mois en opérations en Afghanistan en 2010. Un conseil ? En plus des photos de famille emportées dans ses bagages, n’hésitez pas à emmener des vidéos. Cela donne un aspect plus réel que le papier, en donnant à entendre la voix des gens que l’on aime. De plus, l'image et le son sont de meilleures qualités que sur Internet, lorsqu’on a la chance d'avoir suffisamment de débit pour utiliser une webcam! Je n’avais pas pensé à emporter des vidéos lors de ce détachement, or je suis sûre que cela m’aurait fait du bien au moral! »

Commandant F. : anticiper les communications pour mieux les gérer

« Lors de ma dernière Opex, alors que j’étais jeune maman d’un bébé de huit mois, j’ai anticipé le risque d’être déstabilisée par les communications avec ma famille. Je pensais qu’il n’était pas bon pour le moral de recevoir un appel téléphonique de mon conjoint n’importe quand, ou encore moins du courrier avec des photos de la vie douce et chaleureuse qu’ils vivent en métropole. Il fallait que je sois apte psychologiquement à recevoir ces informations au risque de renforcer un léger sentiment de déprime qui survient parfois lorsqu’on est loin de ses proches. Inversement, appeler mon conjoint à un moment durant lequel il était très occupé, ou lorsque mon enfant était moins joyeux, aurait pu nous ébranler. Il fallait à tout prix éviter de lui faire ressentir la difficulté de l’éloignement et de « craquer » au téléphone. Nous avons donc opté pour une solution d’échange Internet via un site personnel. De cette façon, je pouvais aller consulter les dernières photos mises en ligne de mon bébé au moment où je me sentais apte à les recevoir. Ce système a également l'avantage de continuer d'exister dans le temps pour voir et revoir les images, autant que nécessaire. Nous échangions également beaucoup par SMS, moyen qui permet également de différer l'information. Ce système a été très efficace, et nous a permis, d'un côté comme de l'autre, de garder un contact bien présent, tout en se préservant du risque de débordement émotionnel. Évidemment, nous nous téléphonions aussi un peu, mais de façon programmée et peu souvent.

De mon côté, je n'ai parlé à personne de ma vie privée, que mes collègues proches connaissaient par ailleurs, pour éviter les questions qui drainent immanquablement de l'émotion. Je remercie grandement mes collègues du détachement d'avoir eu l'intelligence de n'avoir jamais abordé le sujet, jusqu'à ce que je le fasse. »

Adjudant B. : s’enregistrer pour partager son quotidien

« Durant mon détachement de décembre 1990 à mars 1991 pendant la guerre du Golfe, sur la base d'Al-Ahsa en Arabie Saoudite, la distribution hebdomadaire du courrier représentait notre « bouée » extérieure. La famille, parfois même des oncles ou des tantes éloignés, se sentait solidaire avec les militaires envoyés au milieu du désert. Ils nous le signifiaient en envoyant un petit mot, quelques revues, des livres et même des spécialités gastronomiques régionales. Pour joindre nos proches, nous disposions du téléphone. Il fallait cependant prendre son tour jusque tard dans la nuit pour pouvoir passer un coup de fil de cinq petites minutes, chronomètre en main, assis devant l'une des trois caisses en bois transformées en cabine téléphoniques. Dire "bonjour" et se préparer doucement à dire "à bientôt" semblait déjà prendre la moitié du temps disponible! Rassurer ma fiancée en espérant que les sirènes d'alerte resteraient muettes pendant ce court laps de temps me laissait toujours un goût d’insatisfaction. J’ai donc trouvé un autre moyen pour communiquer : je me suis acheté un enregistreur ainsi que quelques cassettes au foyer de la base. Et voilà comment, pendant mes pauses, je me suis mis à arpenter les allées de notre camp de toiles ou les dunes en bord de piste. Micro en main ou accroché à ma veste de treillis, je parlais pendant de longues minutes, et m’autorisais même des silences pour laisser les bruits extérieurs se fixer sur la bande. Celle qui deviendrait mon épouse quelques années plus tard faisait de même de son côté et nous nous envoyions les cassettes. Parler ainsi faisait du bien à l’un comme à l'autre et nous a aidé à mieux supporter l'éloignement. Je possède toujours les enregistrements, il faudrait que je les réécoute un jour… »

Dossier coordonné par le ltt Marianne Jeune


Sources : Armée de l'air
Droits : Armée de l'air