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Impression 3D, changement de paradigme pour le soutien opérationnel

Mise à jour  : 11/01/2022

Impression 3D, changement de paradigme ? C’est l’une des questions posées lors du Forum innovation défense 2021. Quatre intervenants issus des mondes académique, industriel et opérationnel ont partagé leurs réflexions à ce sujet. Tous ont en commun d’avoir rejoint le nouveau pôle d’innovation GAI4A (Groupement, Académies, Industries, Ingénieurs d’Île-de-France pour l’innovation au profit de l’armée de Terre) dont l’ambition est de conjuguer les compétences des acteurs civils et militaires, pour faire émerger des projets d’innovation dans le domaine des équipements terrestres et aéroterrestres. Condensé de table ronde.

Comment l’impression 3D permet-elle de préserver le maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (MCO-T) à un niveau suffisant pour assurer la continuité des opérations et des missions essentielles ? Pour le soutien opérationnel aux unités déployées, l’armée de Terre dépend de deux capacités majeures : la capacité de réparation et la capacité d’approvisionnement en pièces de rechange. Pour ces deux moyens, l’impression 3D représente un intérêt important permettant de gagner en autonomie et surtout en réactivité.

Le colonel Olivier, chargé de mission Innovation du MCO-T à la Structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT), explique sa vision stratégique de l'usage de l’impression 3D qui apparaît comme une des solutions permettant de répondre aux 6 besoins du MCO-T.

« Le recours à la fabrication additive pour le MCO-T vise à renforcer et à accélérer les capacités de réparation et d’approvisionnement jusqu’aux échelons de soutien tactiques. À ce jour, les applications potentielles sont les suivantes :

  1. Restaurer la disponibilité technique, et donc la capacité d’emploi d’un véhicule, grâce à la production de pièces en mini-série au plus près du besoin ;
  2. Réduire l’empreinte logistique ainsi que les flux, liés aux stocks d’approvisionnement, en opérations en particulier ;
  3. Conserver une capacité à fabriquer des pièces qui ne seraient plus produites pour cause de perte de maîtrise technique, d’obsolescence, de défaut fournisseur ou de matières premières… ;
  4. Alléger la masse du matériel tout en bénéficiant des propriétés de solidité des nouveaux matériaux 3D ;
  5. Adapter, au besoin re-concevoir, des pièces pour satisfaire un besoin des utilisateurs ou fournir des outils pédagogiques, par exemple des "éclatés" de moteur dédiés à la formation des maintenanciers ;
  6. Faire face à une éventuelle rupture de stock ou une importante consommation de pièces de rechange, par exemple, en cas d’engagement de haute intensité ».

Depuis 2019, deux opérations, avec le déploiement d’imprimantes 3D, ont été effectuées au Mali et au Tchad, pour tester la capacité à produire des pièces en Opex, le nouveau modèle économique et les outils associés.

« Après avoir évalué la capacité à produire des mini-séries en situation opérationnelle, la SIMMT a implanté à l’école du matériel de Bourges une capacité de production de masse avec 63 imprimantes 3D qui ont produit plus de 60 000 pièces en 4 mois au plus fort de la crise sanitaire, précise le colonel Olivier. Aujourd’hui, elle teste une production en mode décentralisé en ayant déployé ces imprimantes au sein des régiments (RMAT) et bases de soutien du Matériel (BSMAT). »

Faire évoluer la relation État/industrie

Les intervenants expriment à plusieurs reprises le besoin de favoriser les échanges au sein du triptyque armée de Terre - DGA - industriels pour répondre aux enjeux de la maintenance industrielle et opérationnelle et préparer le combat de haute intensité grâce aux procédés de fabrication additive.

Selon le colonel Olivier, « notre rôle n’est pas de fabriquer des pièces à la place de nos partenaires industriels, mais de le faire avec eux, tant au profit de la maintenance industrielle en métropole pour la régénération du matériel que celui de la maintenance opérationnelle en charge de restaurer au plus vite la disponibilité sur les théâtres d’opérations ».

Pourtant, l’impression 3D est appliquée à des matériels qui n’ont pas toujours été conçus pour être maintenus, au moins en partie, avec cette technologie.

D’après Alexis Mabile, directeur de l’innovation et de la transformation digitale chez Nexter, « l’intégration des pièces imprimées en 3D dans les programmes d’armement est souhaitée et souhaitable. Cela nécessite un alignement à la fois de l’industriel (autorité de conception), de la DGA (autorité technique) et des forces (autorité d’emploi). Il faut mesurer les risques et les opportunités ensemble et apprendre sur ces nouveaux procédés ».

L’industriel conçoit, la DGA qualifie et l’armée de Terre adopte.

Une opinion partagée par le colonel Olivier qui précise qu’il s’agit d’une « opportunité stratégique renforcée par la conjoncture actuelle. D’ici 2030, nous renouvellerons quasiment l’ensemble des matériels terrestres majeurs grâce au programme Scorpion et c’est un moment à ne pas manquer pour se pencher sur la capacité de la fabrication additive susceptible d’être intégrée aux stratégies de soutien de ces équipements ».

Cependant, une intégration dans les programmes d’armement suppose d’avoir une filière française de l’impression 3D, bien organisée et porteuse, pour participer à une plus grande souveraineté de la France.

Christophe Tournier, professeur des Universités à l’École normale supérieure Paris-Saclay, département de génie mécanique et chercheur au laboratoire LURPA, explique que la filière française de l’impression 3D est en pleine structuration. Celle-ci est indispensable pour garder une indépendance vis-à-vis des autres pays. Il encourage tous les acteurs nationaux à développer cette filière et ajoute que « c’est également avoir des fournisseurs de matières français capables de la stocker et de la délivrer ».

Sécurité, certification et responsabilité, les impacts de l’adoption de l’impression 3D

Dans le monde capacitaire Scorpion où la maîtrise des données est un impératif, comment garantir la sécurité des données de conception et de fabrication ? Tous les intervenants s’accordent à dire qu’il est nécessaire de construire une chaîne de confiance.

Alexis Mabile témoigne du changement apporté par cette transformation de la chaîne d’approvisionnement physique en chaîne numérique. « Cela change le modèle économique de la fabrication de pièces détachées où il faut que chacun soit rétribué à hauteur de sa contribution avec un modèle économique construit de manière partagée avec tous les acteurs de la chaîne de valeur. L’idée est de construire cette communauté de confiance, qui implique les acteurs industriels, les Forces et la DGA ».

Le colonel Olivier explique qu’il faut « tout un écosystème numérique autour des moyens de production 3D, qui garantisse l’intégrité des données et des fichiers imprimables, la traçabilité de la production, la supervision de la production et d’emploi, la capacité d’analyser la plus-value de cette production imprimée en 3D, tout cela jusque sur les théâtres d’opérations les plus éloignés ».

« La confiance est un maître-mot qui a été prononcé plusieurs fois », souligne le général de brigade Claude Chary, officier général en charge du numérique et de la coordination de l’innovation au sein de l’armée de Terre. « Un nouveau modèle économique et une chaîne de confiance numérique sont à mettre en place pour certifier la conformité des pièces. On a une confiance à bâtir en même temps qu’un nouveau modèle économique ».

Il est important de créer cette chaîne de confiance, d’une part en termes de propriété industrielle, car il ne s’agit pas de contrefaire, d’autre part en terme sécuritaire, parce qu’il est primordial que la pièce réponde aux spécifications du concepteur afin de garantir sa qualité, mais surtout la sécurité des utilisateurs.

Bien que la certification du processus d’impression 3D constitue un défi en soi, de par la nature même de la technologie, le colonel Olivier insiste : « le processus de qualification doit absolument être consolidé, car si une pièce de rechange, imprimée pour améliorer la disponibilité du matériel, casse, notamment en opérations, les conséquences peuvent être dramatiques et les responsabilités devront pouvoir être clairement identifiées ».

Christophe Tournier complète en mettant en évidence un point important : « ce sont les procédés et méthodes de fabrication qui garantissent la qualité de la pièce produite. Il faut donc être capable de maîtriser les propriétés physico-chimique, géométrique et mécanique des pièces sans avoir à les détruire pour contrôler leur conformité. »

D’autre part, « il faut améliorer le contrôle en temps réel des pièces que l’on fabrique, pour prendre des décisions sans attendre la fin de l’impression pour voir que la pièce est non conforme. Cela nécessite de développer des modes de simulation, des modèles multiphysiques, des modèles issus d’algorithmes ».

Les bénéfices de l’innovation dans la conception

L’impression 3D permet aussi bien de reproduire des pièces existantes pour réparer du matériel, que de créer de nouvelles pièces optimisées apportant une plus-value opérationnelle.

Alexis Mabile souligne les bénéfices de l’impression 3D par rapport aux procédés traditionnels : « la fabrication additive représente un intérêt opérationnel pour le soutien, mais également pour la performance. En l’utilisant dans les phases de conception initiale ou de re-conception, elle permet de produire des pièces avec des géométries complexes pour alléger la masse des véhicules déjà en service, par exemple. Elle permet ainsi de retrouver une capacité d’évolutivité fonctionnelle. »

Christophe Tournier complète avec la présentation de techniques de conception ou d’optimisation innovantes : « l’optimisation topologique permet de générer des géométries complexes, que les procédés classiques ne sont pas capables de réaliser, pour minimiser la compliance/augmenter la rigidité tout en ayant une contrainte du volume dans l’objectif de réduire la masse. »

Christophe Tournier poursuit avec les bénéfices des structures architecturées : « les structures lattices permettent d’alléger la structure tout en ayant une résistance mécanique, alors que les structures auxetiques ont la particularité d’amortir l’impact pour une potentielle application dans le domaine de la protection. »

L’impression 3D permet de gagner en autonomie stratégique, en réactivité et en résilience.

Le général Chary conclut cette table ronde en soulignant l’importance de « travailler ensemble pour bénéficier des progrès de l’impression 3D, technologie qui apporte un changement de paradigme puisqu’elle change notre chaîne logistique et notre façon de combattre ».


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