La mémoire de la Grande Guerre se concentre surtout sur le front occidental, laissant dans l’ombre d’autres théâtres d’opérations. Parmi eux, le front d’Orient, où 350 000 Français ont combattu, et dont 70 000 d’entre eux ne sont pas revenus.
En février 1915, Français et Britanniques envoient un corps expéditionnaire en Orient pour rouvrir les Dardanelles par l’action combinée d’une flotte et d’un débarquement de troupes en avril à Gallipoli, péninsule formant la rive européenne du détroit. C’est un échec cuisant. Les troupes sont évacuées pour être débarquées en urgence à partir d’octobre à Salonique, en Grèce, afin de porter secours à l’armée serbe qui s’écroule après une offensive austro-allemande et bulgare, mais elles ne peuvent stopper l’avancée de l’ennemi. Le front se stabilise aux frontières de la Grèce, encore neutre (elle n’entre officiellement en guerre contre les puissances centrales que le 3 juillet 1917). Acculé, le corps expéditionnaire fortifie la région de Salonique. Ses hommes réalisent près de leurs camps des plantations, ce qui leur vaudra le sobriquet méprisant de « jardiniers de Salonique » par Georges Clemenceau, qui ne cesse de fustiger ce front qu’il juge inutile. Les poilus du front occidental considèrent d’ailleurs que les soldats qui y sont déployés sont des embusqués. Mieux vaut être sous le soleil de la Grèce que dans la Somme ! Et pourtant. Chaleur écrasante l’été, froid glacial l’hiver, eau rare et polluée... Le scorbut, la dysenterie ou encore le typhus et le paludisme, qui sévissent dans les plaines marécageuses de Salonique, font des ravages. Le manque d’hommes, de matériel et de ravitaillement fragilisent les positions alliées. Malgré la mise en place d’un commandement interallié, la défense des intérêts nationaux – français, anglais, italiens, serbes ou encore grecs – entraîne une certaine inertie dans le commandement.
Le front demeure figé durant 1916 et 1917, malgré plusieurs offensives. C’est pourtant sur ce front de 500 kilomètres, qui va de la mer Adriatique à la mer égée, que va se dérouler l’une des percées les plus spectaculaires de la guerre. Les Bulgares, qui tiennent la majorité du front après que la plupart des troupes allemandes eurent été transférées sur le front occidental en vue des offensives du printemps 1918, sont épuisés et las de la guerre. Le général Franchet d’Espèrey, nommé commandant des armées alliées d’Orient (AAO), fortes de 650 000 hommes en juin 1918, veut percer les défenses bulgares pour prendre la vallée du Vardar où convergent les communications des deux armées bulgares. Le 15 septembre 1918, les troupes serbes et françaises attaquent au centre du front par les montagnes macédoniennes tandis que les Britanniques et les Grecs doivent lancer une offensive secondaire plus à l’est. La quasi-absence de routes dans ces montagnes empêche cependant de relier les différents secteurs entre eux. Une percée en un endroit serait donc impossible à contenir.
Sans char et avec peu d’aviation, l’infanterie et la cavalerie se retrouvent au cœur des opérations. Les affrontements pour la conquête des positions ennemies prennent la forme de coups de main. On est loin des affrontements de masse du front occidental. « Nos soldats avaient à escalader des séries de mamelons difformes, de crêtes pelées, de pics aux pentes abruptes couvertes d’organisations bien étudiées. Les Bulgares se défendaient avec une extrême violence », relate le général Jouinot-Gambetta, qui commande une brigade de cavalerie d’Afrique du Nord composée de spahis et de chasseurs d’Afrique. Les troupes franco-serbes progressent bien plus vite que prévu et arrivent à rompre le front le 20 septembre, au prix d’âpres combats dans des conditions extrêmes. La prise de Gradsko, sur le fleuve Vardar, et de Prilep le 23, mettent les Bulgares en déroute. Leurs deux armées sont scindées en deux le lendemain avec la destruction progressive des ponts du Vardar. Franchet d’Espérey veut que ses hommes s’enfoncent « […] audacieusement à l’intérieur du dispositif, marcher sans trêve jusqu’à l’extrême limite des forces des hommes et des chevaux […]» La brigade de cavalerie du général Jouinot-Gambetta se lance dans une chevauchée à travers les montagnes sans aucune carte ni soutien armé et logistique. Les cavaliers parcourent 80 kilomètres sans donner signe de vie et atteignent Usküb (aujourd’hui Skopje, la capitale macédonienne) le 29 septembre, qu’ils prennent par surprise lors de la dernière charge de l’histoire de la cavalerie française.
Un armistice est signé le jour même à Salonique avec la Bulgarie. Les AAO ont progressé de 130 kilomètres en deux semaines mais 15 000 soldats alliés sont tombés. Les armées serbes et françaises se dirigent ensuite vers la Serbie. Les Austro-Allemands ne peuvent contenir cette marche victorieuse. De leur côté, les Britanniques marchent sur Istanbul et font capituler l’Empire ottoman le 30 octobre. Le Danube est atteint le 21 octobre tandis que Belgrade est libéré le 1er novembre. L’Autriche rend les armes le 3 novembre, suivie de la Hongrie le 13. Si l’armée d’Orient est dissoute en décembre 1918, les derniers poilus rentrent en France en mars 1919, dans l’indifférence générale, après plusieurs mois de luttes en Roumanie pour contenir la menace bolchevique. Ces oubliés ont pourtant à eux seuls entraîné la défaite de la Bulgarie, de l’Autriche, de la Hongrie et de l’Empire ottoman. C’est beaucoup pour des jardiniers.
L'essentiel
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Sources : Ministère des armées
Droits : Ministère des armées