Depuis 2013, la Marine française s’investit aux côtés des marins des États côtiers du golfe de Guinée pour favoriser les échanges entre les marines africaines.
Cette zone est en effet la région du monde la plus touchée par la piraterie et le brigandage. Pour comprendre les racines de l’insécurité maritime dans cette région, Cols bleus a interrogé Thierry Vircoulon qui coordonne l’Observatoire de l’Afrique centrale et australe de l’Ifri.
COLS BLEUS : Quelles sont les principales causes de la piraterie et de l’insécurité maritime dans le golfe de Guinée ?
THIERRY VIRCOULON : C’est un problème qui commence à être ancien et qui renvoie à l’histoire troublée du delta du Niger. La piraterie est toujours une extension de la criminalité à terre, qui se rend compte qu’il y a des opportunités en mer. En l’occurrence, on peut faire remonter l’histoire de la piraterie dans le golfe de Guinée au Mend, le mouvement d’émancipation du delta du Niger, un mouvement rebelle apparu en 2006 au sud du Nigéria. Dans la région pétrolifère nigériane, après des décennies de mécontentement des populations locales qui estimaient ne pas recevoir leur part de la rente pétrolière monopolisée par les élites politiques et les compagnies pétrolières, le Mend a déclaré la guerre à ces compagnies. Après les avoir harcelées à terre (kidnappings, vols de pétrole, etc.), le mouvement rebelle s’est ensuite mis à lancer des attaques contre les bateaux utilisés par les compagnies pétrolières dans le delta du Niger. C’est sur ce terrain que la piraterie s’est développée. Désormais, les gangs de pirates n’ont plus les revendications politiques qu’avait le Mend et sont purement criminels. La racine historique de la piraterie se trouve donc dans le delta du Niger et notamment dans les problèmes de mauvaise gouvernance du secteur pétrolier dans cette région.
C. B. : En quoi la solution d’une réponse militaire internationale à cette insécurité maritime est-elle, selon vous, complexe ?
T. V. : L’architecture régionale de sécurité maritime par les États de la région est toujours en construction depuis le sommet de Yaoundé en 2013. En 2016, la charte de Lomé a déni les principes de coopération pour lutter contre la piraterie sur zone. Mais cette réponse visant à bâtir une coopération régionale de sécurité maritime se heurte au manque de capacités et au manque de priorisation, car tous les pays de la zone ne sont pas touchés de la même façon par la criminalité maritime. L’autre souci fondamental est que cette réponse traite les effets du problème et non les causes. C’est bien de vouloir policer la mer, mais il faut d’abord songer à policer la terre car c’est là que se trouve l’origine du problème. Il faut un vrai travail d’investigation policière sur les gangs qui opèrent dans le delta du Niger, et cela ne relève des compétences d’aucune marine européenne.
C. B. : L’an dernier, le Nigéria est justement devenu le premier État riverain du golfe de Guinée à promulguer une loi anti-piraterie. Quels moyens concrets cela donne-t-il à la justice nigériane ?
T. V. : C’est un outil en plus qui manquait. En effet, un certain nombre d’États ne disposent pas de législation contre la piraterie ou n’ont pas inclus l’acte de piraterie dans leur code pénal. Les bailleurs essaient de faire en sorte que les pays côtiers le fassent et qu’il y ait une forme d’harmonisation de ces législations. Et c’est effectivement bien d’avoir un texte de loi, mais encore faut-il avoir les capacités et la volonté de l’appliquer. Cette question est d’autant plus complexe que ces pays se trouvent dans une sorte de cercle vicieux bien connu des spécialistes de sécurité : la nécessité de protéger les bateaux a donné lieu à un marché de la sécurité. Or, dans un certain nombre d’États, dont le Nigéria, la réglementation oblige à recourir aux services de sécurité du gouvernement (garde-côtes, police, marine…) pour protéger les bateaux des armateurs contre rémunération. Le problème même de la piraterie permet donc de financer ces services de sécurité, ce qui peut
avoir un eet pervers.
C. B. : L’Union européenne va prochainement mettre en pratique son initiative de « présences maritimes coordonnées », reposant sur le principe de l’échange d’informations. La région du golfe de Guinée sera la première à en bénéficier. Selon vous, quels progrès cela pourra-t-il apporter à la zone en matière de sécurité maritime ?
T. V. : Cela fait maintenant plusieurs années que l’Europe a décidé de travailler dans ce secteur. Le projet veut formaliser la coopération entre les marines des pays européens qui sont régulièrement présentes dans la zone. Évidemment, c’est une bonne chose d’échanger des renseignements et de pouvoir coordonner les patrouilles. Le fait d’améliorer la police en mer permettra probablement d’arrêter davantage de pirates et de prévenir un certain nombre d’attaques. Mais il faut s’attendre évidemment à ce que les brigands s’adaptent. On constate en e et une hausse des kidnappings en mer. Cela s’explique par le fait que les pirates ont diversifié leurs crimes: après avoir été à la recherche initialement de pétrole puis de marchandises revendables, ils sont désormais dans une logique d’enlèvements pour empocher des rançons. Cette criminalité s’adapte en fonction des opportunités financières et des mesures de sécurité qui sont prises. Une autre explication est l’augmentation du traffic maritime qui, par définition, crée davantage d’opportunités. Ces milieux criminels sont donc de plus en plus prospères. Il faudrait être en mesure de tracer l’argent pour remonter aux responsables de ces gangs. C’est le travail de police que j’évoquais plus tôt qui permettrait de s’attaquer véritablement aux acteurs de l’insécurité maritime dans le golfe de Guinée. Pour policer la mer, il faut d’abord policer la terre et aborder le problème de l’insécurité maritime sous l’angle de la criminologie.
INFO+
Présences maritimes coordonnées
Ce concept, porté par le Service européen pour l’action extérieure (SEAE) et soutenu par la France, est expérimenté par l’UE pour la première fois cet automne dans le golfe de Guinée. Ce concept a pour objectif d’améliorer la sécurité et la sûreté maritimes en coordonnant les moyens aéronavals des États membres dans des zones maritimes définies, en intensifiant l’échange d’informations entre les marines et en consolidant leur soutien au renforcement des capacités locales, notamment au niveau de la coordination des formations.
Extrait du Cols Bleus N3091 Novembre 2020 - Hydrographie - 300 ans d'opérations
Propos recueillis par l’EV1 Aude BRESSON
Sources : Marine nationale
Droits : Ministère des armées