Accueil | Marine | Magazine | Passion marine | Océan Indien - La France, puissance de stabilité | Interview - La France, État de l’océan Indien Marine ... Océan Indien - La France, puissance de stabilité | Interview - La France, État de l’océan Indien

Interview - La France, État de l’océan Indien

Mise à jour  : 12/05/2021 - Direction : SIRPA Marine

Commandant de la zone maritime océan Indien (ALINDIEN) et commandant interarmées des forces françaises stationnées aux Émirats arabes unis (COMFOR EAU), le contre-amiral Jacques Fayard revient sur la place singulière de la France dans cette région stratégique du monde.

COLS BLEUS : Amiral, pourriez-vous nous présenter votre zone maritime ?

Contre-amiral JACQUES FAYARD : En tant que commandant de la zone maritime océan Indien, ma zone de responsabilité s’étend d’ouest en est, de la sortie sud du canal de Suez jusqu’à l’ouvert du détroit de Malacca et aux limites occidentales des eaux de la Birmanie, de l’Indonésie et de l’Australie. Elle comprend notamment les détroits stratégiques de Bab-el-Mandeb et d’Ormuz. Elle jouxte, d’une part, la zone maritime du sud de l’océan Indien (COMSUP FAZSOI), qui englobe La Réunion, Mayotte, les îles Éparses, le canal du Mozambique et les Terres australes et antarctiques françaises, et, d’autre part, la zone maritime du Pacifique (ALPACI). Concrètement, en tant que commandant de zone maritime (CZM), j’exerce le contrôle opérationnel des moyens aéronavals français qui y sont déployés, que ce soit depuis la métropole ou depuis La Réunion. En parallèle à cette fonction purement militaire, j’assure également, dans un cadre interministériel, les fonctions de représentant de l’action de l’État en mer en océan Indien.

Au cœur de la maritimisation de nos économies, la zone maritime océan Indien (ZMOI) est aujourd’hui le lieu de passage de 25 % du trafic maritime mondial. Elle se caractérise par des flux énergétiques (pétrole et gaz) en provenance des pays producteurs et exportateurs du Golfe à destination principalement de l’Asie (82 % du pétrole et 56 % du gaz), ainsi que par des flux de marchandises et de biens en provenance d’Asie et à destination de l’Europe. De nombreux tankers et porte-conteneurs français transitent ainsi en ZMOI chaque jour.

Dans le golfe Arabo-Persique, la stabilité régionale est fragile en raison des tensions opposant les États-Unis et l’Iran. Afin de défendre leurs intérêts économiques tout en évitant une dégradation sécuritaire, les pays occidentaux y maintiennent une forte présence militaire, en coopération avec leurs partenaires régionaux. La sécurité autour de la péninsule arabique repose sur la maîtrise des tensions avec l’Iran, la neutralisation de la menace représentée par les groupes terroristes et la résolution du conflit au Yémen opposant la coalition arabe aux houthis.

La ZMOI est, par ailleurs, l’un des terrains d’expression de la confrontation des stratégies de puissance chinoise et américaine. Elle est à ce titre partie intégrante de la stratégie indopacifique du ministère des Armées.

C. B. : Quelles sont les principales menaces et fractures de cette zone ?

CA J. F. : Cet espace océanique représente un intérêt stratégique pour notre pays, riverain de l’océan Indien, avec plus d’un million de ressortissants et, de façon plus large, pour l’Europe, notamment en matière d’approvisionnements. Il doit être protégé contre de nombreuses menaces, en particulier celles qui pèsent sur la sûreté maritime et sur la liberté de navigation. C’est d’ailleurs dans ce cadre qu’en février 2020 a été lancée par 8 pays européens l’initiative EMASoH (European led Maritime Awareness in the Strait of Hormuz). Son pilier militaire, l’opération AGENOR, dont j’assure le commandement au niveau opératif, est contrôlé depuis Abou Dabi par un état-major tactique multinational. AGENOR assure depuis maintenant plus d’un an une présence navale européenne permanente dans le golfe Arabo-Persique, le détroit d’Ormuz et le golfe d’Oman. Elle vise à obtenir une appréciation autonome de la situation, à faire baisser les tensions nées de l’antagonisme entre les États-Unis et l’Iran et à sécuriser le trafic maritime marchand.

Dans cet espace océanique, des côtes de Makran à la corne de l’Afrique ou au canal du Mozambique, la lutte contre les trafics illicites (armes, drogues, êtres humains...), qui concourent au financement du terrorisme et de la criminalité organisée, fait également partie de nos missions quotidiennes. La lutte contre le trafic de narcotiques est réalisée en national tasking ou dans le cadre de la Combined Task Force 150, coalition de 33 pays, basée à Bahreïn. Les bâtiments français, placés sous le contrôle opérationnel d’ALINDIEN, ont réalisé depuis le début de l’année 2021 des saisies records.

Si la piraterie dans la zone est actuellement contenue, ses causes n’ont pas disparu pour autant et la vigilance dans certaines zones spécifiques reste de mise. Enfin, nous restons attentifs aux enjeux liés au pillage des ressources naturelles : activités de pêche illégale et exploitation des sous-sols, par exemple.

C. B. : Pouvez-vous décrire la présence française dans cette zone particulière ?

CA J. F. : La France possède des liens étroits avec les Émirats arabes unis depuis les années 1970. Le premier accord de défense entre nos deux pays a été signé en 1995. Les forces françaises aux Émirats arabes unis (FFEAU) sont déployées de manière permanente depuis 2009, après la signature d’un nouvel accord intergouvernemental. L’état-major interarmées (EMIA) s’est installé sur le site de la base navale à Al Salam Camp (Camp de la Paix) à partir de 2010, à l’issue du débarquement à terre de l’état-major d’ALINDIEN, embarqué jusqu’alors sur un BCR. À cette présence permanente des FFEAU, viennent s’ajouter de nombreux déploiements réguliers de moyens aériens, navals ou terrestres.

Côté Marine, le premier semestre 2021 est extrêmement riche, avec la présence du groupe aéronaval (GAN) pendant une grande partie de sa mission opérationnelle Clemenceau 21. Le GAN opère depuis le golfe Arabo-Persique dans le cadre de l’opération coalisée Inherent Resolve (OIR) de lutte contre le terrorisme djihadiste en Syrie et en Irak. Assumant à cette occasion le commandement tactique de la TF 50 américaine, il démontre également notre parfaite interopérabilité avec les moyens aéronavals américains et notre volonté commune de défendre la liberté de navigation dans les espaces maritimes internationaux.

Au même moment, la mission Jeanne d’Arc est présente en ZMOI dans le cadre de son déploiement vers la zone Asie-Pacifique. Ce déploiement opérationnel de longue durée d’un groupe amphibie poursuit un triple objectif : former les futures générations d’officiers, déployer des capacités opérationnelles dans des zones d’intérêt stratégique et renforcer l’interopérabilité et la coopération au travers de nombreux exercices avec nos partenaires dans la région, comme La Pérouse 21.

Le premier semestre est également marqué par le déploiement du groupe de guerre des mines dans le golfe Arabo-Persique et le golfe d’Oman, qui permet d’assurer la surveillance des ports, des voies d’accès et des zones d’intérêt, en lien avec nos partenaires dans la zone.

Outre ces déploiements réguliers, la France est également présente de manière permanente au sein des centres de fusion d’informations maritimes de New Delhi, Singapour et Madagascar, grâce à un réseau d’officiers de liaison. Le partage et la fusion d’informations maritime permettent de renforcer la sécurité globale et de mieux appréhender en commun les défis auxquels la ZMOI est confrontée. La France, puissance maritime de premier plan, met en œuvre une politique de coopération régionale maritime coordonnée en matière de Maritime Domain Awareness.

Enfin, la France est membre à part entière de l’IONS (Indian Ocean Naval Symposium) dont elle assurera la présidence pour deux ans à compter de l’été 2021.

C. B. : Enfin, ALINDIEN comprend un fort volet « Relations Internationales ». En quoi consiste-t-il ?

CA J. F. : La zone de responsabilité permanente (ZRP) d’ALINDIEN COMFOR EAU comprend 14 pays : Émirats arabes unis, Oman, Qatar, Arabie saoudite, Bahreïn, Koweït, Jordanie, Irak, Iran, Pakistan, Inde, Maldives, Sri Lanka et Bangladesh. Je me rends régulièrement dans la plupart de ces pays pour y représenter le chef d’état-major des Armées, promouvoir la politique de défense de notre pays et animer les relations militaires bilatérales, en lien avec les attachés de défense en poste. Les FFEAU sont en effet en capacité de fournir des effecteurs dans le cadre des partenariats militaires opérationnels, notamment sous la forme de détachements d’instruction opérationnelle variés (montagne, blindés, artillerie, IED, NRBC...).

Parmi ces 14 pays, les Émirats arabes unis et l’Inde occupent une place stratégique à part. Je ne reviens pas sur la relation particulière avec les EAU, qui accueillent les forces françaises en permanence sur leur territoire dans le cadre des accords de défense. Concernant l’Inde, les liens bilatéraux continuent de se renforcer depuis le lancement du partenariat stratégique en 1998. Le volet naval de notre coopération militaire est sans doute le plus emblématique et le plus abouti, autour notamment des exercices bilatéraux Varuna, dont le dernier a eu lieu avec le GAN fin avril. 


Sources : Marine nationale
Droits : Ministère des armées