International - La France, au cœur de la coopération

Cols bleus : Quels sont les principaux enjeux diplomatiques et maritimes de la zone Asie-Pacifique ?
Capitaine de corvette Brieux : C’est une zone très militarisée avec de nombreux foyers de crise, touchant des États puissants (Japon, Corée du Sud, Vietnam...), voire nucléaires (États-Unis, Chine, Russie, Corée du Nord...). La compétition pour les zones de pêche, la montée des eaux, les litiges maritimes, le risque nucléaire nord-coréen, les entraves à la liberté de navigation, sont des menaces pour la stabilité régionale. Le Pacifique est aussi le centre de la rivalité sino-américaine, pressentie par certains comme « la nouvelle Guerre froide ». Les ambitions chinoises viennent contester la traditionnelle prééminence des États-Unis, qui en retour développent une stratégie de containment global, en essayant d’y associer leurs alliés.

CB : En quoi la présence française dans la région est-elle unique ?
CC B : La France est le seul pays à la fois d’Europe et du Pacifique, de par ses communautés d’outre-mer de Nouvelle-Calédonie, de Wallis et Futuna, et de Polynésie française, qui totalisent plus de 550 000 habitants et une ZEE de près de 7 millions de km2. Elle est aussi seule à maintenir une présence militaire permanente – FANC et FAPF – et à déployer régulièrement des bâtiments et aéronefs dans toute la zone, aussi bien en provenance de la métropole que du Pacifique.

CB : Quelles relations entretenons-nous avec nos partenaires dans la zone et les autres nations riveraines ?
CC B : Coopération et coordination avec nos partenaires sont essentiels à 15 000 km de la métropole, avec des moyens taillés au plus juste, sur un théâtre qui couvre un tiers du globe. La France participe à la quasi totalité des réunions et exercices multilatéraux et maintient des contacts bilatéraux (visites d’autorité, escales...) aussi réguliers que possible avec tous les pays riverains, de nos partenaires majeurs (États-Unis, Australie, Japon...) à nos voisins insulaires (Kiribati, Îles Cook, Samoa...) souvent dotés de simples forces de police. Avec les premiers nous menons des interactions du haut du spectre ; avec les seconds des coopérations HADR⁽¹⁾ (Humanitarian Assistance and Disaster Relief) et de sécurité maritime. Alpaci développe aussi un partenariat avec la région militaire sud chinoise, pour normaliser nos relations. Une activité aussi dense est facilitée par une coordination ciblée entre FAPF et FANC.

CB : Quelles sont les initiatives majeures sur lesquelles la France se positionne pour défendre ses intérêts et le droit international ?
CC B : Pour défendre la liberté de circulation, ses bâtiments transitent régulièrement dans les zones de tensions territoriales (mer de Chine méridionale…). En soutien des sanctions des Nations unies envers la Corée du Nord, elle déploie bâtiments et aéronefs en mer de Chine orientale. En aide aux pays insulaires du Pacifique, la France est signataire de l’accord FRANZ⁽²⁾ et membre du Pacific QUAD (surveillance des zones de pêche). Elle participe aussi à la lutte contre le narcotrafic et son officier de liaison au centre IFC (Information fusion centre) de Singapour contribue par ailleurs à la défense de la sécurité maritime en Asie du Sud-Est.

⁽¹⁾ Assistance aux populations après une catastrophe naturelle.
L’accord FRANZ est un accord tripartite (France, Australie, Nouvelle-Zélande) de coopération signé le 22 décembre 1992 pour coordonner et rationaliser l’aide civile et militaire aux États et territoires du Pacifique insulaire victimes de catastrophes naturelles.

⁽²⁾ L’accord FRANZ est un accord tripartite (France, Australie, Nouvelle-Zélande) de coopération signé le 22 décembre 1992 pour coordonner et rationaliser l’aide civile et militaire aux États et territoires du Pacifique insulaire victimes de catastrophes naturelles.

Le CHODS
Chaque année l’INDOPACOM Chiefs of Defense Conference (CHODS) réunit sous l’égide de l’US INDOPACOM la plupart des chefs d’état-major des armées de la zone indopacifique (dont la Chine, mais sans la Russie, mise à l’écart depuis la crise de Crimée). Plus grand forum mondial de chefs militaires, il permet d’échanger à haut niveau avec des homologues choisis en bilatéral. Ainsi Alpaci, qui représente généralement le Cema français, traite à très haut niveau des problématiques régionales, mais consolide également le statut de la France dans la région.

Le WPNS
Depuis 1988, les réunions menées dans le cadre du Western Pacific Naval Symposium permettent un dialogue et une réflexion entre les marines de la zone. Le CUES (Code for Unplanned Encounters at Sea) qui permet de décrisper les relations entre les marines non alliées (notamment entre bâtiments américains et chinois) est ainsi une création du WPNS. La France est l’un des 21 membres et participe via les FAPF aux cycles biennaux de réunions qui se concluent chaque année paire par un symposium des chefs d’état-major des marines riveraines, auquel participe Alpaci par délégation.

RIMPAC
Avec près de trente nations participantes, Rimpac (Rim of the Pacific) est le plus important exercice naval au monde. Créé en 1971, il est organisé depuis 2010 chaque année paire au large de Hawaii par l’US Navy. Tous les domaines de lutte y sont abordés durant un mois, de la lutte anti-aérienne au sauvetage de sous-marins. La frégate de surveillance Prairial basée à Tahiti participe à chaque édition depuis vingt ans, les contraintes de temps et de distance empêchant le déploiement depuis la France d’une ou plusieurs unités de premier rang qui mettrait en valeur nos équipements les plus performants.

Croix du Sud
Réalisé tous les deux ans et conduit par les FANC, l’exercice interarmées et interalliés Croix du Sud permet aux forces armées des nations du Pacifique Sud de s’entraîner à planifier et conduire, en coopération et dans l’urgence, des opérations de secours à des populations sinistrées d’un des pays de la zone. Cette capacité d’engagement s’est notamment illustrée côté français lors du passage des cyclones Pam au Vanuatu en 2015 et Winston aux Fidji en 2016.

MARARA
Cet exercice est organisé par les FAPF tous les deux ans sur un thème dit HADR. La dernière édition en 2019 en Polynésie a accueilli des officiers – renforts ou observateurs – de dix pays de la région et 900 militaires français issus des trois composantes. À l’instar de l’exercice Croix du Sud des FANC, l’exercice Marara (« poisson volant » en tahitien) est un vecteur de rayonnement régional pour les FAPF. L’édition 2021 devrait accueillir quinze nations et se dérouler aux Îles Cook.

MARTILLO
Environ une fois par an, les FAPF déploient leurs unités vers la façade américaine. À cette occasion, les forces françaises mènent des opérations de lutte contre le narcotrafic en étroite coordination avec les partenaires sud-américains et les organisations américaines dédiées aux trafics illicites. La participation de la frégate Prairial au dispositif « Martillo » en 2019 a ainsi permis la saisie d’importantes quantités de cocaïne.

ECC

Pour contrôler l’application des sanctions de l’ONU sur les approvisionnements stratégiques vers la Corée du Nord (résolution 2375 relative aux manœuvres de transbordements illégaux), la France participe depuis 2018 au dispositif UNSCR/NK/ECC⁽¹⁾ coordonné par la 7e flotte américaine basée au Japon. Avec un volet naval, lors des passages de frégates de surveillance en mer de Chine orientale, et un volet aérien, déploiement ponctuel d’un avion de patrouille maritime Falcon des FAPF sur la base aérienne de l’United Nation Command de Kadena, à Okinawa. Par ces déploiements, la France témoigne de sa volonté de faire appliquer le droit international en lien avec ses partenaires, notamment japonais et américains.
⁽¹⁾ United Nations Security Council Resolution / North Korea / Enforcement Coordination Cell.

Extrait du Cols Bleus N°3089 - Août / Septembre 2020 - La France - Nation du Pacifique