"L’opération Pluto, première opération de soutien pétrolier majeure de l’Histoire, nous rappelle encore la dépendance des forces vis-à- vis des énergies fossiles.”
Les vestiges du pipeline Pluto qui, il y a plus de soixante ans, reliait Cherbourg à l’île de Wight, gisent encore de nos jours, par plusieurs dizaines de mètres de fond, au large des côtes de Normandie. Ce projet hautement stratégique, classé ultra- secret, imaginé en 1942 par Lord Mountbatten, chef des Opérations Combinées, aura, au même titre que les Mulberries d’Arromanches et de Saint-Laurent-sur-Mer, largement contribué à la victoire sur l’occupant. Il aura, sans discontinuer, alimenté les troupes alliées en carburant, tout au long de leur progression depuis les plages de Normandie jusqu’au coeur de l’Allemagne nazie.
Au début du mois d’avril 1942, Geoffrey Lloyd du Pretroleum Warfare Department demande à Lord Mountbatten s’il peut, éventuellement, lui rendre un service. Ce à quoi, Lord Mountbatten lui répond sans hésiter « Pourriez-vous poser un pipeline sous la Manche ? ».
Imaginer une conduite, à la fois flexible et résistante, pouvant supporter la pression et les courants sous-marins, capable d’acheminer d’impressionnantes quantités de carburant sous très haute pression sur des centaines de kilomètres ; tel était le défi que venait de lancer Lord Mountbatten aux ingénieurs britanniques. Malgré l’extrême complexité du problème posé, la réponse ne tarde pas à venir. Le 15 avril 1942, Clifford Hartley, ingénieur en chef à l’Anglo-Iranian Oil Company, propose une solution reposant sur l’utilisation de conduites souples pouvant être posées en quelques jours à la manière des câbles téléphoniques sous-marins. Le 10 mai suivant, un kilomètre de conduite, raccordé à des pompes à haute pression, est testé avec succès sur la rivière Medway. Le projet Pluto est né.
Au matin du 6 juin 1944, le projet Pluto bien que fin prêt ne sera en fait pleinement opérationnel que quelques mois plus tard, après la Bataille de Normandie. Dans les premiers jours suivant le D-Day, des pétroliers positionnés au large des côtes normandes approvisionnent directement les plages à l’aide de deux canalisations de faible diamètre ; une solution temporaire précédant l’ouverture de deux dépôts, situés entre les secteurs américains et anglais, à Port-en-Bessin et à Sainte- Honorine des Pertes, quelques semaines plus tard.
Entre le 13 et le 21 août 1944, deux oléoducs PLUTO sont déployés entre l’île de Wight et Querqueville, à l’ouest de Cherbourg. Chaque jour, jusqu’à la fin des hostilités et en fonction de l’avancée des troupes alliées, plus de 4 000 000 de litres de carburant seront acheminés, au travers des conduites de 15 cm de diamètre, vers des centres de stockage établis à proximité de La Haye du Puits, Lessay, Saint-Lô, Vire, Domfront, Alençon, Chartres, Dourdan et Châlons- sur-Marne.
Le 8 mai 1945, l’Allemagne capitule. Pluto continue à fonctionner encore quelques mois avant d’être démantelé. Tous les éléments pouvant être récupérés sont démontés entre 1946 et 1949. Seuls subsistent, encore de nos jours, quelques rares vestiges éparpillés ça et là et des stèles commémoratives, dont la plaque apposée en 1958 à Shanklin et le monument du port pétrolier érigé en 2004 à Port-en-Bessin, qui rappellent aux touristes de passage l’histoire de ce formidable exploit technologique.