La nécessité de former des navigants aux techniques d'essais avait déjà été clairement ressentie au CEMA de Villacoublay, mais la guerre avait ajourné beaucoup de projets d'évolutions...
1945. Il n'est donc pas étonnant que, dès sa création en 1945, le CEV ait décidé d'entamer la formation de " formateurs " aux techniques et procédures d'essais en vol. Mais si l'objectif était facile à définir, la tâche à mener était plus ardue : passer du qualitatif subjectif au quantitatif méthodique consistait à remettre en cause toute une culture développée depuis 1911 par chaque industriel et par chaque pilote. Il suffit, pour s'en persuader, de se reporter à ce que le pilote pressenti pour devenir le premier instructeur (ancien moniteur à Salon de Provence), écrivait il y a quelques années dans le bulletin de l'amicale des anciens des essais en vol :
"... Mais avant, il fallait que j'apprenne par moi-même l'ABC des essais en vol. Lorsque l'on s'installa a Brétigny, nous ne disposions que d'un Caudron 690 et d'un Dewoitine 520. Reprenant les anciennes méthodes d'avant guerre, on avait installé sur ces deux avions tout un réseau de ficelles pour mesurer le déplacement des commandes. Le manche était coiffé d'un énorme peson pour mesurer les efforts. Le relevé des différents paramètres de vol se faisait par lecture directe des instruments.
C'est avec ces moyens limités et aidés des conseils du commandant Housset que commença notre apprentissage. Pour nous donner quelques idées des essais, M. Cambois nous avait prêté son livre traitant des qualités de vol des avions. Je ne sais pas si vous l'avez lu, mais la deuxième partie concernant la démonstration mathématique est d'une clarté évidente... Des équations à étages dans une main, l'autre tirant les ficelles, il suffisait tout simplement de mettre la théorie en pratique.
C'est là que nous avons senti l'énorme fossé qui séparait le coté intellectuel du coté manuel du problème. On a beau être doué, avoir des qualités poussées d'autodidacte, rien ne vaut le concours de bons professeurs.
Nous eûmes à surmonter bien des difficultés et notre expérience solitaire confirma, s'il en était besoin, la nécessité de créer une école PN...
Après avoir dégrossi les premiers problèmes, l'école PN fut créée dans une des baraques en bois installées sur le terrain même...
En réalité, le premier stage de l'école PN fut un stage de mise au point au cours duquel directeur, professeurs et élèves apprirent leur métier ensemble... "
Tous ceux qui ont eu la chance d'avoir des professeurs pour apprendre ce métier passionnant peuvent mesurer le travail fourni par ces pionniers, mais aussi l'exaltation que pouvait procurer cette période de découvertes.
En 1946, l'école organise son premier stage, répétition générale où chacun met ses connaissances et son expérience dans le berceau du nouveau-né afin de lui préparer le bel avenir que l'on connaît.
Au stage 1947, la promotion s'étoffe, avec dix stagiaires, dont les deux premiers expérimentateurs.
Le stage 1948 comprend quinze stagiaires, dont les deux premiers ingénieurs, et les trois premiers mécaniciens. Pour la première fois, on peut former une équipe d'essais complète. La même année sortent les trois premiers pilotes de réception avion.
Au troisième stage, toutes les professions des essais d'avions sont mises en place, à l'exception des mécaniciens de réception qui sont arrivés en 1950, et des pilotes d'avion légers qui sont arrivés en 1957.
En 1953, l'arrêté du 2 janvier reconnaît la particularité " essais ", des titres et licences du personnel navigant. Cela donne lieu à régularisation de la situation des équipages d'essais en activité, par des stages accélérés et des tests groupés qui seront organisés jusqu'en 1956 (c'est pour ce motif que les brevets des spécialités " avion " délivrés par l'EPNER commencent au numéro 101, l'attribution des numéros de brevets dans l'ordre logique des promotions n'apparaissant qu'après cette date). La même année, l'école accueille les premiers stagiaires étrangers, avec une équipe espagnole composée d'un pilote, d'un ingénieur, et d'un expérimentateur.
En 1955, le décret n°55-890 du 26 Juin, institue l'école du personnel navigant d'essais et de réception. Ce décret, toujours d'actualité, donne un statut à l'école et aux personnels qu'elle forme.
Il est très important dans la mesure où l'école se trouve reconnue par les autorités civiles et militaires comme étant l'organisme national d'enseignement des essais en vol, et où sa vocation internationale est clairement affichée.
En 1958, l'école forme les deux premiers pilotes d'essais d'hélicoptères, ainsi que quatre pilotes de réception. Toutes les composantes de l'école sont maintenant en place, à l'instar de ses sœurs aînées de Boscombe-Down (Grande-Bretagne), Edwards et Patuxent-River (Etats-Unis).
Ce résumé de douze années en quelques lignes pourrait laisser supposer qu'elles se sont écoulées sans difficulté notable... Mais en se souvenant des conditions de départ, on peut supposer qu'il y eut quelques problèmes d'intendance. En effet...
A l'origine des temps, il y avait une baraque en bois, quelques chaises pour s'asseoir et des tables pour écrire, obtenues pour la plupart en prélèvement direct sur la communauté. Le " bâtiment " se situait entre le futur bâtiment Cambois et le hangar Genin, sur le parking véhicules actuel, devant le récent bâtiment du bureau d'études aéronef. Les conditions de vie y étaient presque ascétiques, mais les portes ouvraient sur le parking où était alignée " la flotte " : deux avions !
L'austérité des temps ne peut saper le moral d'hommes qui " en avaient vu d'autres ", et pour certains, qui revenaient de loin. Alors l'ambiance porte parfois aux " canulars " grandioses, aux cérémonies folkloriques, toujours avec le sérieux et l'aplomb nécessaires à ce genre de manifestation : le professionnalisme se reconnaît toujours! Comment cette attitude serait-elle perçue actuellement, compte tenu de l'humour ambiant ?
Il manquait un insigne à l'école : on en invente un. Et pour ne pas être en "déficit d'image ou de communication ", selon le jargon à la mode, on crée le désormais traditionnel (sinon célèbre !) foulard, inspiré de la bande photographique d'enregistreur. On notera que c'est certainement la seule Ecole dont l'insigne soit issu d'un canular.
L'activité est débordante : on forme, on transforme, on fait même de l'école de pilotage. Le fonctionnement est continu, les stages - plus courts qu'à l'heure actuelle - s'enchaînant les uns derrière les autres.
En 1952, le baraquement est détruit par un incendie. L'école s'installe alors dans le Cambois, au premier étage coté Ouest. La pièce numéro 144 sert de salle de conférence, quelques bureaux sont affectés aux expérimentateurs et mécaniciens, près de ceux des cadres et du directeur. Les stagiaires ont le droit de s'asseoir et d'écrire sur des tables installées dans une pièce commune.
Une page était tournée, c'était la première étape Brétignolaise des pérégrinations de l'école vers ses installations actuelles.
Avec le temps, la flotte et l'instrumentation évoluent. L'époque des ficelles, des mètre-rubans de couturière et des pesons à ressort, est en voie de disparition. Les premiers enregistreurs photographiques AI 1 puis AI 3 sont installés, ouvrant une ère nouvelle au développement de méthodes d'essais qui, à des degrés divers, sont toujours d'actualité. Les premiers ouvrages de mécanique du vol appliquée aux essais, et les premiers manuels pratiques d'exécution des essais, paraissent sous le timbre de l'EPNER. Ces ouvrages sont à la base de la plupart de ceux qui existent de nos jours.
La flotte utilisée se compose essentiellement de P47, Ju 88, NC 702, N 1101, Bloch 161, MD 315, SV4, souvent partagés avec d'autres sections, ce qui n'était pas sans poser quelques problèmes.
En 1951, l'école peut disposer d'un Meteor F1, qui amorce le processus irréversible de l'hélice au réacteur. Par la suite I'EPNER volera sur A26, Sipa 11, Breguet 891, Languedoc, NF11, MD 450. En 1952 auront lieu les premiers vols sur l'hélicoptère Bell 47, avec des pilotes d'avions souvent transformés sur hélicoptères aux États-Unis.
En 1956 apparaît de manière formelle la notion de flotte " affectée EPNER ". Cette flotte se compose de 14 appareils: 1 SO 30P (no 44), 3 Meteor Mk 7 (no 776, 997, F1), 1 Meteor NF11 (no 5), 2 NC 701 (no 118, 317), 3 Mystère Il (no l, 2, 5), 1 Ouragan (no 146), 1 SV4 (no 209), 1 CM 170 (no 13, en cours d'année).
A partir de 1958, le bruit du transfert de l'EPNER vers Istres commence à courir. Un an plus tard le Directeur de l'école énonce ses desiderata : bâtiment, équipements... Trois ans plus tard, son successeur mesurait la distance qui sépare les désirs de la réalité.
1962 : Ce déménagement, deuxième étape du parcours de l'école, à débuté en janvier 1962 et dura trois mois. Débarquer avec armes et bagages dans des locaux qui n'étaient pas ceux prévus au départ, va créer bien des difficultés. D'autant que l'annexe d'Istres n'offre pas encore les mêmes possibilités de soutien que l'échelon central de Brétigny. Il faut donc apprendre à vivre loin de la maison mère.
La direction et les élèves s'installent dans le " bâtiment 203 ", du type " mairie de village ", adossé au hangar HM4, en limite de la zone DCE actuelle, à coté du hangar qui abritait le Leduc (ce bâtiment n'existe plus, les deux hangars " protos " de Dassault Aviation ont été construits à son emplacement). Les hangars HM3 et HM4, partagés avec le CEV allemand, servent au logement de la flotte qui n'a pas beaucoup changé, au grand désespoir des directeurs qui attendent avec impatience " un avion avec post combustion ". La section voilures tournantes a beaucoup de mal à survivre: peu ou pas de matériel et encore moins d'instructeurs. Il faut rendre hommage à ceux qui ont malgré tout lutté contre vents et marées.
Mais le déménagement n'interrompt pratiquement pas les stages, auxquels s'ajoute alors celui destiné à délivrer la qualification essais/réception de vol aux instruments. La vocation internationale de l'École, amorcée avec l'Espagne en 1953, puis avec une équipe Italienne l'année suivante, se confirme progressivement. Au fil des ans, ce seront vingt-quatre pays qui enverront leurs équipages d'essais en formation à l'école.
Les liens avec les autres écoles se tissent également. Ils conduiront à des envois d'élèves français en stage à l'ETPS (GB), ainsi qu'à I'USAFTPS et à l'USNTPS (USA), ces deux pays envoyant réciproquement des stagiaires a l'EPNER. Devenues régulières, ces relations donneront également lieu à des échanges croisés de stagiaires pour les évaluations de fin de stages. Des échanges d'instructeurs sont également envisagés, mais n'ont pas encore été mis en pratique.
En 1966, les premiers Mirage IIIB arrivent à l'École : " l'avion a post combustion " tant attendu est arrivé. Pendant des années, cet avion sera le cheval de bataille de l'École. Il restera jusqu'en 2002 le seul avion supersonique permettant de démontrer les qualités de vol des avions rapides, à commandes de vol hydromécanique, sans aides au pilotage.
En 1968, lorsque l'EPNER déménage une nouvelle fois pour s'installer dans les locaux de la marine et au hangar HM 27, la flotte affectée est convenablement représentative des matériels opérationnels. Elle se compose de 14 avions et 4 hélicoptères : 3 Mirage IIIB, 1 SMB2, 2 CM 170 Fouga Magister, 1 Nord 260, 1 Nord 2502 (la grise), 2 T 33, 2 Nord 3202 (le Canari), 2 UC 45 (la Bichette), 1 Alouette Il, 1 Alouette III, 1 Djinn, 1 Sikorsky.
L'école va travailler dans ces locaux pendant près de quinze ans. Compte tenu de l'éloignement, un détachement du service matériels aériens lui est affecté pour la mise en oeuvre des aéronefs. L'activité de l'atelier d'édition est intense, les machines à écrire crépitent, on nage dans les " stencils ", et la " ronéotype ", ronronne en permanence. L'odeur d'ammoniac de la machine à tirer les plans flotte dans les couloirs... C'est presque une véritable unité qui s'est constituée en marge de l'annexe d'Istres, et l'esprit frondeur national se manifeste parfois !
On y fêta le trentenaire de l'école autour de taureaux à la broche. Cette première remporta un franc succès, et chacun se promit de recommencer.
De réforme en cheval de bois, de crash en sortie de piste, la flotte évolue. Les Nord 2500, Nord 260, T33, tJC 45, CM 170, SM B2, Sikorsky, Djinn... sont remplacés progressivement par des Nord 262, Mystère 20, Alpha Jet, Cap 10, Puma, Dauphin.
Avec le renouvellement de la flotte, arrivent les nouvelles installations d'essais et de mesures. L'enregistreur photographique qui régnait en maître jusqu'alors, est concurrencé par l'enregistreur magnétique. Puis un jour, le directeur de l'école annonce au directeur du CEV qu'il veut " tuer l'HB ",... C'était la fin d'une époque et le début du centre d'exploitation informatique Fourmi, qui va devenir un des fleurons de l'école.
En 1983 l'EPNER déménage encore une fois pour entrer dans le bâtiment neuf, et conçu à son intention, que nous connaissons. C'est presque " Byzance " et l'intendance a suivi.
Les avions de la flotte sont regroupés dans les hangars du CEV. Les hélicoptères sont encore tenus à l'écart, dans le hangar HM4, partagé avec le WTD61 (le CEV allemand). Cette situation prendra fin avec la construction de l'actuel complexe Voilures Tournantes, où les machines de l'école trouveront aisément place.
En 1986, la manifestation du quarantenaire consacre l'école dans ses nouveaux locaux. C'est l'occasion de créer l'association des anciens de l'EPNER. Là encore, chacun à pu juger de l'intérêt que portent les ex-stagiaires a leur école : on attendait 800 à 900 personnes, il en est venu plus de 1100. Débordement complet, mais quelle magnifique journée !
Durant cette période, l'école intègre dans ses cours les nouveaux concepts, les nouvelles technologies, les systèmes... Des aéronefs prêtés ou loués viennent en appui aux cours.
Cette dynamique continuelle est le signe de la bonne santé de l'école et de l'intérêt que le CEV, et plus généralement le monde aéronautique lui portent.
En 1994 , les stagiaires auront volé sur les aéronefs de l'école, mais également sur avion et hélicoptère à stabilité variable pour l'étude des qualités de vol, sur A321, Mirage 2000, Super Puma, Panther... avec des vols d'évaluation sur F16, F18, Tornado, Blackhawk.
Personne n'a protesté."
Extrait de "Le CEV a 50 ans"