Développés afin de limiter, de réduire, ou d’interdire l’emploi de certaines armes, en particulier dans les années 1990, plusieurs accords politiques et juridiques, basés sur l’engagement volontaire des Etats, constituent ce que l’on appelle communément les instruments de maîtrise des armements. Au sein du ministère de la Défense et des Anciens combattants, une division de l’état-major des armées est spécifiquement dédiée à la négociation et au suivi de ces accords.
Quel est le rôle de la division « maîtrise des armements » de l’Etat-major des armées ?
Nous avons principalement pour rôle d’élaborer et de défendre les positions de la Défense, en matière de limitation, de réduction et de contrôle des armements, en concertation avec l’ensemble des instances impliquées dans ces questions et en appui du ministère des Affaires Etrangères et Européennes. Ces positions sont débattues au sein de grands organismes internationaux : l’ONU, l’OSCE, l’OTAN et l’Union européenne. Concrètement, nous avons également la responsabilité, pour la défense, de la mise en œuvre les traités existants et de la vérification de la bonne application des outils qu’ils mettent en place, tout en s’assurant de l’impact que ceux-ci peuvent avoir sur les capacités des armées. La finalité étant de préserver la paix et de sécurité dans le monde, en promouvant notamment la transparence et la confiance entre les Etats.
Quels sont les principaux traités qui encadrent la maîtrise des armements conventionnels ?
Les instruments qui encadrent la maîtrise des armements et le désarmement conventionnels sont nombreux. Il existe tout d’abord trois instruments spécifiques à la sécurité en Europe, élaborés sous égide de l’OSCE et mis en place à la fin de la guerre froide. Il s’agit du traité sur les Forces Conventionnelles en Europe, du Document de Vienne et du traité « Ciel ouvert » (voir encadré ci-contre, ndlr). Par ailleurs, les accords de Dayton, signés en 1995, ont mis fin aux combats interethniques en Bosnie-Herzégovine et instauré un programme de désarmement dans cette région. Parallèlement, plusieurs accords ont été signés sous égide de l’ONU, parmi lesquels la convention portant sur l’interdiction et la restriction de certaines armes classiques (CCW), de 1980, les dispositions régissant la lutte contre la dissémination d’armes légères et de petit calibre, de 2001, et un traité sur le commerce des armes, en cours de négociation. Enfin, citons les conventions d’Ottawa sur les mines anti-personnel et d’Oslo sur les armes à sous-munitions, qui échappent aux grandes organisations internationales et sont le résultat de ce que l’on appelle la « nouvelle diplomatie », promue par les Organisations non gouvernementales et certains Etat qui ont fait du « désarmement humanitaire » un axe de leur politique étrangère.
Quel est plus spécifiquement l’intérêt de l’instrument « Ciel ouvert » ?
Ce traité est unique, car il constitue à la fois un instrument politique, diplomatique, et militaire. Il instaure un régime de contrôle des armements et des forces armées, grâce au libre survol des Etats qui sont parties au traité et sur une zone qui s’étend de Vancouver à Vladivostok : presque tout l’hémisphère Nord peut ainsi être survolé et observé ! Le traité « Ciel ouvert » est donc particulièrement efficace pour instaurer sécurité et confiance, sur le continent européen, car ouvrir son espace aérien et autoriser la prise de vue est l’acte qui traduit la plus grande marque d’ouverture et de transparence dont il est possible de faire preuve : la zone survolée est immense et tout ou presque est visible depuis le ciel.
Est-il toujours pertinent face au contexte actuel, tant d’un point de vue stratégique que technique ?
D’un point de vue géostratégique, un conflit de grande ampleur en Europe est peu probable aujourd’hui. Néanmoins, la crise géorgienne de 2008 nous a rappelé qu’un risque de conflit régional existe toujours et qu’il est impératif de garder des relations de confiance avec nos partenaires. A ce titre, le traité « Ciel ouvert » est tout à fait adapté. Il participe de façon majeure à la confiance et à la transparence. Fort de cette efficacité, il pourrait même être envisagé de l’élargir à de nouveaux partenaires issus, par exemple, du voisinage méditerranéen. D’un point de vue technique, les instruments d’observation doivent évoluer, en particulier vers la technique numérique. Nous cherchons ainsi à développer un système de prise de vues numériques, en partenariat avec d’autres nations, qui devrait être opérationnel en 2015. Il nous apportera une plus grande rapidité de traitement de l’image ainsi qu’un coût de fonctionnement bien inférieur à celui de l’argentique.
A la fin de la guerre froide, l’Europe s’est dotée d’outils en faveur de la maîtrise des armements et du désarmement. L’objectif était alors de maintenir un équilibre militaire et de développer des relations de confiance entre les pays situés sur un vaste territoire, s’étendant de l’Atlantique à l’Oural, pour au final contribuer ainsi à la sécurité dans l’espace européen. Ce système est constitué de trois instruments, qui reposent sur la libre participation des Etats qui y sont associés.
L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), créée en 1973 sous l’appellation originelle de « Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe », jusque 1995, est un organisme international mis en place durant la guerre froide.
Basée à Vienne (Autriche), elle regroupe 56 membres, soit l’ensemble des pays du continent européen, quelques pays d’Asie centrale issus de la dissolution de l’Union soviétique, ainsi que deux autres Etats associés : les Etats-Unis et le Canada.
Elle constitue depuis lors un forum d’échanges entre les pays de l’Est et de l’Ouest et s’efforce notamment de prévenir les conflits, d’apaiser les tensions post-conflits, ainsi que de participer à renforcer la stabilité des pays issus de l’ancien bloc soviétique.
Affrété par l’escadron « Franche-Comté » de la base aérienne 123 d’Orléans-Bricy (Loiret), un avion de transport Hercules C-130 fait escale à la base aérienne 110 de Creil (Oise), d’où embarquent une équipe de l’Unité française de vérification (UFV). Avec pour destination finale Kiev, en Ukraine, une vingtaine de militaires - deux chefs de mission et leurs adjoints, un interprète, une équipe technique pour la mise en œuvre des capteurs dont l’appareil est muni et un équipage aéronef -, se prépare à réaliser une mission bien particulière : celle de conduire un vol d’observation dans le ciel ukrainien pour y recueillir des informations sur les forces armées, leur équipement et les activités qu’elles mènent. Cela, avec l’entier consentement de l’Etat observé.
L’Unité française de vérification est un organisme interarmées, dirigé par le colonel Paul Morillon et placé sous le commandement de l’Etat-major des armées, section « maîtrise des armements » (voir interview du lieutenant-colonel Pierre Catto, ndlr). Elle est constituée de trois bureaux, au sein desquels sont affectés une soixantaine de militaires issus des trois armées (Air, Terre, Marine). Le premier est en charge de l’application du traité sur les Forces armées conventionnelles en Europe (FCE) et du document de Vienne (DV99), le second, dit bureau « Ciel ouvert », se charge du traité du même nom qui introduit les vols d’observation internationaux, et le troisième, de l’élimination dans le domaine des armes nucléaire, radiologique, bactériologique et chimique (NRBC). Il existe également une cellule chargé de la prospective, c’est-à-dire d’étudier les améliorations qui pourraient possiblement être apportées aux traités.
C’est donc le bureau « Ciel ouvert », dirigé par le Lieutenant-colonel Pascal Monnet, qui met en œuvre les programmes de vols non-armés sur le territoire des Etats qui sont parties au traité. L’objectif étant de renforcer la compréhension et la confiance mutuelle entre ceux-ci et de participer ainsi à promouvoir ensemble l’ouverture et la transparence dans le domaine militaire. « Il s’agit d’un mécanisme de prévention et de gestion des crises, mis en place pour participer à renforcer la paix sur le continent européen », résume le lieutenant-colonel Nicolas Leroy, chef de la mission.
A l’arrivée, sur la piste d’atterrissage de la base aérienne militaire de Borispol (sud-est de Kiev), c’est avec chaleur que le colonel Yury Andrienko, chef de l’organisme ukrainien de vérification, accompagné des membres de sa propre unité, accueille les membres de l’UFV. Direction, la salle de réunion, pour une première étape qui consiste, globalement, en une présentation du plan de vol établi par la France, pays observateur, et des prévisions météorologiques détaillées par un officier ukrainien.
Le pays observateur détermine en effet seul la trajectoire qu’il souhaite emprunter, dans le respect des protocoles établis par le traité, en termes de matériel employé, de distance ou encore de hauteur de survol. Seuls impératifs, ceux de respecter les quotas de survol qui lui sont attribués chaque année par la Commission consultative Ciel ouvert (CCCO) - la France dispose actuellement d’un quota maximum de 12 missions « actives » et d’autant de missions « passives » -, d’en avertir l’état observé au moins 72h à l’avance et de rendre ses images accessible à tout Etat partie qui en formulerait la demande.
« Au cours de l’année 2011, nous aurons effectué huit missions “actives“ en Russie, en Géorgie, en Bosnie-Herzégovine et en Ukraine. Certaines d’entre elles sont réalisées en coopération avec d’autres pays. Cette année, nous avons ainsi effectué des missions conjointes avec l’Allemagne, l’Espagne, le Canada, la Hongrie, l’Italie et la Croatie. Nous avons enfin réalisé trois missions “passives“, c’est-à-dire que nous avons accueilli des survols d’observation sur le territoire national, qui ont été conduits par la Russie et l’Ukraine », précise le Lieutenant-colonel Nicolas Leroy. Pour cette mission, un officier de l’organisme de vérification polonais, le lieutenant-colonel Jaroslaw Cieciara, s’est d’ailleurs joint à l’équipe française en tant qu’observateur, dans un souci d’échange, de proximité et de partage d’expérience.
La seconde étape se traduit naturellement par une procédure d’inspection de la conformité des dispositifs employés (aéronef, nacelle, capteurs), par la partie observée, qui doivent bénéficier d’une certification spécifique. La qualité des images doit au final simplement permettre d’identifier les principaux équipements militaires, d’où une résolution limitée à 30cm.
La troisième étape, c’est le vol d’observation lui-même, qui durera cinq heures pour cette mission. L’aéronef employé est, pour ce faire, équipé d’une nacelle « Samson », dont l’exploitation (et les coûts) est partagée par huit autres pays : outre la France, l’Espagne, l’Italie, le Canada, la Belgique, le Portugal, la Grèce, les Pays-Bas et le Luxembourg. Il s’agit d’un système de reconnaissance avionique composée de capteurs dotés de caméras panoramiques, à images et vidéo, d’analyseurs infrarouges et d’un radar, permettant un emploi et des prises de vues de jour comme de nuit.
La mission s’achèvera une fois les images développées, sur place, ou bien au sein de l’atelier photo-caméra qui dépend de la Section Ciel ouvert (SCO). Dirigée par le lieutenant Laurent Valcalda, avec son adjoint le major Jean-Marc Wouters, et installée sur la base aérienne 123 d’Orléans-Bricy, c’est également la SCO qui fourni les spécialistes de la mise en œuvre de la nacelle et du recueil des images en vol.
Investi depuis les prémices de l’instauration de ce mécanisme, au début des années 1990, le responsable de l’atelier photo-caméra de la SCO, l’adjudant-chef Dominique Dufau, explique qu’« il existait une certaine défiance, au tout début. Mais, après dix ans, on arrive bien à se comprendre. D’un point de vue technique, nous avons su nous adapter et sommes l’un des seuls pays à collaborer sans difficulté avec les Russes et les Ukrainiens.
« Néanmoins, toujours d’un point de vue technique, nous nous situons à un tournant, car les capteurs argentiques et le support d’enregistrement (c’est-à-dire les films), tendent à disparaître progressivement et il va nous falloir les remplacer », ajoute l’adjudant Jérôme Frèrejean, spécialiste photographe de la SCO.
D’un point de vue politico-militaire, des évolutions du traité sont aussi à l’étude face à l’évolution du contexte stratégique européen. Il est question d’élargir ses prérogatives à des aspects civils, dans le domaine de la prévention et de la gestion des catastrophes naturelles ou industrielles, ou bien d’y associer d’autres pays du voisinage méditerranéen. Le concept d’observation aérienne militaire remonte en effet à 1955, lorsque le président américain, Dwight Eisenhower propose un tel projet à son homologue soviétique, Nikolaï Boulganine, lors du sommet de Genève. C’est le président Georges Bush qui relance cette idée en 1989. Signé le 24 mars 1992, ratifié par 34 Etats parties (dont les Etats-Unis en 1993 et la Russie en 2001), il est finalement entré en vigueur le 1er janvier 2002.
Selon le capitaine Antoine Thomas, adjoint au chef de la mission, « si le contexte a évolué depuis la fin de la guerre froide, cet outil reste adapté, puisqu’il permet de maintenir des relations étroites et de confiance avec nos partenaires, dans un souci de prévention. Le fait même d’y être associé et d’y participer activement constitue un acte diplomatique fort, puisqu’il atteste que chacun n’a rien à se reprocher et contribue à instaurer et à maintenir collectivement la paix en Europe », rappelle-t-il.
« J’ajoute que ces missions de vérification et de contrôle, à travers le libre survol de l’espace aérien, sont aussi représentatives de la singularité de l’outil aérien. Outre le fait que la force aérienne soit capable d’infliger des destructions d’une ampleur dissuasive, tout en limitant les risques et dommages grâce à sa vitesse, sa capacité de feu et sa précision de frappe, comme cela a été mis en exergue lors de l’opération en Libye, la reconnaissance aérienne est un outil efficace au service de la communauté internationale et de la paix », termine le colonel Mouloud Bradaïa, adjoint au chef de l’UFV.
Conclu pour une durée illimitée, le traité Ciel ouvert réuni actuellement 34 Etats parties :
l’Allemagne, le Belarus, la Belgique, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, le Canada, la Croatie, le Danemark, l’Espagne, l’Estonie, les Etats-Unis, la Finlande, la France, la Géorgie, la Grèce, la Hongrie, l’Islande, l’Italie, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, la Norvège, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la Roumanie, le Royaume-Uni, la Russie, la Slovaquie, la Slovénie, la Suède, la République Tchèque, la Turquie et l’Ukraine.
D’autres Etats peuvent s’y joindre. Actuellement, il compte d’ailleurs un autre pays signataire, le Kirghizstan, mais qui ne l’a pas encore ratifié, ainsi qu’un pays candidat, Chypre, dont la candidature est toujours en examen par la Commission consultative Ciel ouvert (CCCO).
Source : Ministère des Armées