Pouvoir déterminer sa longitude est essentiel pour la navigation. Mais cette mesure, complémentaire de celle de la latitude, est bien plus complexe à réaliser en mer. Au cours du XVIIIe siècle, le calcul de la longitude a fait l’objet d’une compétition scientifique et technologique féroce entre grandes puissances navales, qui s’est soldée par l’avènement des chronomètres de Marine.
Lorsque l’explorateur français Robert Cavelier de La Salle entre dans le golfe du Mexique, une erreur de quelques degrés de latitude et son incapacité à mesurer la longitude vont transformer son expédition en cauchemar. Après cinq mois de mer, le 12 décembre 1684, La Salle, qui rêve de fonder une colonie et de construire un port militaire au cœur des possessions espagnoles de l’Amérique du Nord, ne reconnaît rien de la côte qui apparaît devant lui. Et pour cause. En 1682, lors d’un premier voyage, il avait situé l’embouchure du Mississippi entre le 27e et le 28e degré de latitude Nord, soit un écart de deux degrés environ par rapport à sa position réelle... Pire, ne disposant que d’un sablier, il ignore tout de la longitude à laquelle il se trouve. Depuis le XIe siècle, les navigateurs européens savent déterminer correctement leur latitude, c’est-à-dire repérer le cercle parallèle à l’Équateur sur lequel ils se trouvent, en mesurant la hauteur de l’étoile polaire ou du Soleil au-dessus de l’horizon. En revanche, ils ont les plus grandes difficultés à calculer la longitude, c’est-à-dire leur position sur le globe terrestre, vers l’est ou l’ouest cette fois, par rapport à un méridien d’origine.
L’ÉPINEUX PROBLÈME de la longitude
Si la Terre ne tournait pas sur elle-même, il serait aussi aisé de déterminer la longitude que la latitude, en observant là aussi les mouvements des corps célestes. Mais elle tourne, et un déplacement en longitude se combine par conséquent avec sa rotation, c’est-à-dire avec l’écoulement du temps. La mesure des longitudes implique donc nécessairement des mesures temporelles1. Sur un navire, l’heure locale peut être déterminée en observant le Soleil, même si la mesure n’est pas toujours aisée en mer. Mais comment faire pour savoir quelle est l’heure ailleurs sur Terre au même moment, sur un méridien de référence par exemple ?
Soit on utilise un événement astronomique qui se produit partout en même temps sur la Terre (éclipse de Lune, passage d’un satellite de Jupiter devant sa planète, mouvement de la Lune devant les étoiles fixes...) et pour lequel on connaît à l’avance, grâce aux tables astronomiques, l’heure à laquelle il va être observé sur le méridien de référence ; soit on appareille en emportant avec soi l’heure du méridien d’origine, à l’aide d’un « garde-temps ».
« À la fin du XVIIe et jusqu’au début du XVIIIe siècle, on utilise le Soleil, les étoiles et le mouvement de la Lune comme on le ferait avec une horloge géante dans le ciel pour mesurer la longitude », explique Vincent Bouat-Ferlier, conservateur en chef du patrimoine et directeur scientifique du Musée national de la Marine. En mars 1675, le roi d’Angleterre Charles II désigne John Flamsteed comme Premier astronome royal afin qu’il « s’applique avec le plus grand sérieux et la plus grande diligence à la rectification des tables des mouvements célestes et la position des étoiles fixes de façon que l’on puisse établir la longitude tant désirée des lieux pour perfectionner l’art de la navigation ». « Mais cette observation demeure délicate, explique Vincent Bouat-Ferlier, et chacun s’accorde alors pour reconnaître que seul un chronomètre fiable, un “garde-temps”, est capable de donner aux marins l’heure exacte au méridien d’origine et l’heure au lieu où ils se trouvent en mer, indispensables pour pouvoir déterminer précisément la longitude. »
Course contre la montre
Pour les scientifiques comme pour les grandes puissances navales, commence alors une véritable course de vitesse pour trouver enfin une solution définitive au problème du calcul de la longitude. Les premières horloges suscitent de grands espoirs, mais leur mécanisme reste trop dépendant des mouvements des navires. Avec l’apparition des premières horloges équipées d’un balancier à ressort spiral, la mesure des longitudes devient plus précise. Mais, là encore, leur fiabilité déçoit et l’escadre britannique qui revient de Méditerranée en fait cruellement les frais en 1707. Le pilote du navire de tête, qui navigue à l’estime dans un épais brouillard, est persuadé de se trouver au milieu dans la Manche, alors qu’il vient en fait d’atteindre les îles Scilly, situées à 45 km au large de la Cornouaille. En quelques minutes, tout bascule. Quatre navires heurtent la côte et 2 000 hommes périssent. Une catastrophe de plus liée à la longitude qui conduit le parlement britannique à voter sept ans plus tard le fameux Longitude Act, assorti d’une forte récompense offerte à quiconque trouverait le moyen de la mesurer précisément. C’est chose faite en 1736, quand l’horloger anglais John Harrison sort son chronomètre à longitude, qui ne prend qu’un retard de 5 secondes sur 9 semaines en mer. Un exploit technologique. « À partir de 1767, les horlogers français Le Roy et Ferdinand Berthoud proposent à leur tour des chronomètres très performants, poursuit Vincent Bouat-Ferlier. Ces instruments, dont des exemplaires réalisés par Berthoud et Breguet seront exposés dans la partie dédiée aux arts de la navigation du nouveau musée de la Marine, apportent une fiabilité extraordinaire et permettent aux marins de définir la longitude avec une précision jusqu’alors jamais atteinte. »
Le MÉRIDIEN britannique
Seul problème : à quel méridien se fier, autrement dit que choisir comme méridien de référence ? Jusqu’à la fin du XIXe siècle, en effet, chaque pays calcule les longitudes à partir d’une référence qui lui est propre. Ainsi, la France utilise le méridien de l’Observatoire de Paris, l’Italie celui de Naples, l’Angleterre celui de Greenwich, la Suède celui de Stockholm et les Espagnols celui de Ferro... En 1884, après une violente passe d’armes entre la France et le Royaume-Uni, la convention internationale de Washington finit par faire adopter le méridien de Greenwich, situé à environ 2°20’14” à l’ouest de celui de Paris, comme méridien zéro. Il est également convenu que la longitude sera désormais mesurée dans deux directions depuis le méridien d’origine, « la longitude Est étant positive, la longitude Ouest négative ». Peu à peu, la précision des chronomètres a donc fini par triompher de la longitude.
Aujourd’hui, des horloges atomiques permettent de synchroniser tout le système de mesure du temps et le GPS est devenu le moyen le plus précis de se positionner en longitude et latitude sur terre et sur mer.
Pourtant, si les chronomètres ont désormais quitté le bureau de la chambre du commandant et ne servent plus à définir la position du navire, ils n’ont pas dit leur dernier mot. Bien au contraire. Avec l’essor de la plongée militaire et de la généralisation du recycleur, les montres ont retrouvé un usage aussi tactique qu’opérationnel.
Collaboration HORLOGÈRE
Cette longue histoire a conduit la Marine nationale à collaborer avec des marques horlogères pour proposer une série de garde-temps officiels destinés aux professionnels du monde maritime. Dans un souci d’excellence, la conception de ces montres a été confiée à Yema et à Tudor. Deux marques qui, en renouant avec la mémoire navale, rappellent les véritables enjeux de la mesure du temps. Baptisée Pelagos FXD, la montre Tudor a été développée sur la base d’un cahier de spécifications élaboré avec des nageurs de combat de la Marine nationale. Prolongeant une relation avec la Marine débutée en 1956, ce modèle propose notamment une fonction dédiée à la navigation subaquatique, ainsi qu’un design optimisé pour un usage professionnel extrême. Chez Yema, la Navygraf se décline en quatre versions différentes, disponibles en quartz et automatique. Un modèle, en édition limitée à 1 000 exemplaires, est aussi proposé avec une fonction GMT. Par ailleurs, une version 34 mm est devenue la première montre pour femme de la Marine nationale.
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La rédaction
1 Voir Le Ciel dans la tête, une histoire de l’astronomie, Alain Giraud-Ruby.
Les coordonnées géographiques
Latitude et longitude permettent de repérer un point à la surface de la Terre. La latitude est l’angle formé entre la verticale d’un lieu et le plan de l’Équateur. Tous les points situés à une latitude donnée se trouvent sur le même parallèle. Des points de longitude donnée se trouvent sur un même méridien. Leur longitude est alors l’angle formé entre le plan du méridien et le plan du méridien de Greenwich, pris comme référence.
Sources : Marine nationale
Droits : Ministère des armées