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Quand la France initiait les expéditions scientifiques - Louis Antoine de Bougainville dans le Pacifique

Mise à jour  : 19/11/2020 - Direction : SIRPA Marine

Habituellement présentée comme le premier tour du monde accompli par un navire sous pavillon du roi de France, la navigation réalisée par Louis Antoine de Bougainville entre 1766 et 1769 est surtout l’annonciatrice des expéditions dans lesquelles la démarche scientifique l’emporte sur l’esprit de conquête. En embarquant un astronome, un botaniste et un cartographe, elle sert de modèle aux futurs voyages de Cook et de Lapérouse.

Si elle constitue bel et bien une opération de prestige à la gloire de Louis XV, la circumnavigation accomplie par la frégate La Boudeuse et la flûte(1)L’Étoile résulte avant tout d’une mission aux motivations bien précises. Il s’agit pour Bougainville de traverser le Pacifique entre le détroit de Magellan et les Philippines avec retour en France par l’océan Indien. Les ordres du roi stipulent notamment de chercher la terre signalée en 1687 par l’Anglais Davis, île susceptible d’offrir une base logistique pour l’exploration des mers australes. Il faudrait aussi découvrir le mirifique continent que l’Espagnol Quiròs prétendait avoir découvert dans les années 1600 : il offrirait en effet une nouvelle terre aux Acadiens chassés du Canada par les Anglais. Enfin, le passage dans les îles indonésiennes permettra de récolter des plantes à épices qui seront acclimatées sur l’île de France (actuelle Maurice). L’astronome Pierre-Antoine Véron est chargé de déterminer la longitude des lieux découverts et l’ingénieur Charles Routier de Romainville de les cartographier ; quant au botaniste Philibert Commerson, il identifiera les plantes à ramener.

Vers Tahiti

Le 26 janvier 1768, La Boudeuse et L’Étoile sortent du détroit de Magellan dont elles ont enrichi la cartographie. Mettant le cap au Nord-Ouest selon les maigres informations dont il dispose, Bougainville guette la terre de Davis, dont on sait aujourd’hui qu’il s’agissait de l’île de Pâques. Il ne la trouve donc pas et, au niveau du tropique du Capricorne, il fait route à l’Ouest en quête de la Grande Terre de Quiròs. La première terre en vue est l’archipel des Tuamotu, qui s’avère impossible à accoster. Lorsqu’enfin apparaissent les reliefs élevés de Tahiti, les deux navires tiennent la mer depuis 68 jours et ont couvert plus de 4 800 milles !

 

Une navigation chaque jour plus délicate

L’apparente liberté de mœurs qu’il découvre à Tahiti conduit Bougainville à baptiser les lieux Nouvelle-Cythère. De cette relâche naît un mythe persistant, alors même que cette escale ne dure pas plus de neuf jours. En effet, les rapports avec les indigènes se détériorent tandis que les fonds coralliens tranchent les câblots de mouillage. L’escale apporte aussi une surprise de taille lorsque les Tahitiens relèvent ce qui semble avoir échappé à tous : le robuste assistant du botaniste Commerson est une femme ! Jeanne Barret va ainsi devenir la première circumnavigatrice de l’Histoire.
Après Tahiti, La Boudeuse et L’Étoile maintiennent le cap à l’Ouest afin de poursuivre la recherche de la Grande Terre de Quiròs. La navigation devient chaque jour plus difficile, au milieu des hauts-fonds sous une chaleur atroce et par des brises inconstantes, tandis que les vivres et l’eau commencent à manquer. De plus, Tahiti se rappelle aux équipages sous la forme du mal de Vénus(2)... Après Samoa et Futuna, Bougainville découvre les îles étendues qu’il baptise Grandes Cyclades (actuel Vanuatu) : ce sont les seules terres que Quiròs a pu aborder ; l’idyllique continent n’existe pas.
Dans la nuit du 4 au 5 juin 1768, sans la veille attentive maintenue sur les deux bâtiments, le voyage s’interromprait brutalement lorsque la mer blanchit devant les deux navires. Ce sont les récifs de la Grande Barrière dont on sait aujourd’hui qu’elle déborde le Nord-Est de l’Australie. Le seul choix possible consiste alors à faire route au Nord pour rejoindre au plus vite un établissement hollandais des Indes orientales, car malgré un rationnement extrême, la disette règne. Or, à l’époque, les cartes françaises ne mentionnent pas le détroit de Torres. La Boudeuse et L’Étoile contournent donc la Nouvelle-Guinée avant de trouver, sur l’île Boéro, un poste hollandais. Si Bougainville peut effectuer un avitaillement suffisant pour rejoindre le grand port de Batavia, il n’est pas question de s’adonner à une cueillette de plantes à épices, tant les Hollandais exercent une surveillance jalouse sur leurs productions. Des Indes néerlandaises, l’expédition ne rapporte donc que les fièvres malignes : les sept hommes qui ne reviennent pas du voyage en auront été victimes.

Le souvenir du bougainvillier

Avec Batavia, la flottille retrouve des eaux connues, et le retour en Europe via l’île de France n’est plus que routine. Quel bilan tirer de ce tour du monde ? La mémoire collective en retient la ramure éclatante du bougainvillier et l’existence d’une île merveilleuse où l’on vivrait d’amour et d’eau fraîche. Les cartes mentionnent le Bougainville’s Reef adroitement évité, et l’île Bougainville dans l’archipel des Salomon. Il faut noter aussi que, malgré la longueur des traversées, on a su contenir le redoutable scorbut. Et surtout ce voyage inaugure une façon nouvelle d’explorer le monde : au nom de la science.

(1) Trois mâts aux voiles carrées apparu à la fin du XVIe siècle, optimisé pour le transport.

(2) Syphillis.

Dominique Le Brun - Écrivain de marine

Extrait du Cols Bleus N°3089 - Août / Septembre 2020 - La France - Nation du Pacifique


Sources : Marine nationale
Droits : Ministère des armées