Sylvain Tesson : « Le plus court chemin qui mène à vous-même vous conduit d’abord autour du monde »
À l’occasion de la publication de son dernier ouvrage, « La panthère des neiges », le plus médiatique des écrivains de Marine a accordé un entretien à ColsBleus.fr. Avec le photographe animalier Vincent Munier, ce voyageur boulimique a cette fois choisi les sommets du Tibet pour tenter d’observer une bête qu’il croyait disparue. Une nouvelle ode aux vertus du grand large couronnée par le prestigieux prix Renaudot.
Il est difficile de déterminer à quel genre littéraire appartient votre livre. Un roman d’aventure ? Un récit de voyage ? Une médiation poétique ?
C’est un compliment que vous me faites. La classification c’est le début de la mort. Quand on vous classe on vous met dans un bocal de formol. Je dirais que c’est le récit d’une expérience physique, sensuelle et intérieure : un « journal de marche » pour reprendre une expression militaire. Voilà une classification qui n’existe pas et qui me plaît.
Pour avoir le privilège d’observer une panthère des neiges, vous devez vous soumettre à une discipline nouvelle : l’affût, qui réclame immobilité et patience…
En fait, l’affût n’implique pas l’immobilité totale. D’abord on suit une piste, comme le font les enfants qui jouent aux signes de piste. Et une fois qu’on a détecté sur la possible présence d’un animal, là on prend un poste d’observation et on tient l’affût. Ça n’est donc pas un renoncement absolu au mouvement mais c’est vrai qu’il y a la convocation d’un certain nombre de vertus que je n’avais jamais pratiquées dans ma vie : l‘attente, l’immobilité, l’espérance, le silence et l’acceptation.
Après avoir couru le monde en infatigable globe-trotter, l’observation des bêtes vous entraîne cette fois vers une quête intérieure ?
Il est vrai que le fait de se dissimuler derrière un rocher, d’attendre qu’une bête arrive et de rester pendant des heures en balayant l’horizon de sa jumelle, par une sorte d’effet inverse on vient vers soi. Et en soi. Mais l’affût et la marche ne sont pas opposables. Dans la marche au long cours comme dans la contemplation du monde, même si l’une appartient à la mobilité intégrale et l’autre à l’immobilité végétale, c’est le même rapport au temps apprivoisé et à soi-même. Il y a une antinomie de modalité physique mais l’usage du monde est en fait le même. Pour la marche et pour l’affût, il faut faire allégeance réelle à la nature et au temps qui passe sauf qu’on utilise deux véhicules différents.
Qu’avez-vous appris de la contemplation de la panthère des neiges ?
Une chose que j’ai également apprise en lisant Pascal et saint Augustin et qui consiste à dire que le plus court chemin qui mène à vous-même vous conduit d’abord autour du monde. Ces trois apparitions de la panthère ont convoqué en moi des souvenirs que j’avais enfouis. Comme des images de femmes défuntes qui revenaient à mon esprit. C’est une juxtaposition d’images. C’est la phrase de Pascal dans les Pensées « tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais pas déjà trouvé ». Il reprend en fait le livre X des Confessions de saint Augustin : « Ô beauté je t’ai cherchée au dehors de moi alors que tu étais au-dedans ». La contemplation des bêtes vous ramène à vous-même. À ce que vous avez oublié, à ce que vous avez négligé ou renoncé dans votre vie.
Dans un autre ouvrage, vous avez écrit que le motif d’un voyage est généralement déterminé au cours du voyage précédent. Le Tibet vous a-t-il inspiré un nouveau départ ?
J’ai envie de gagner des zones encore plus désolées que le Tibet. D’ailleurs, je pars en janvier prochain pour une expédition d’escalade du massif du Fitzroy en Patagonie argentine. Dans la limite de mes possibilités je grimperai trois pics qui portent le nom de Mermoz, Guillaumet et St Exupéry en hommage à l’épopée de l’aéropostale en Argentine. On est à la rencontre de la géographie, du sport extrême et de l’Histoire.
Grégoire Chaumeil
La Panthère des neiges, de Sylvain Tesson, Gallimard
Sources : Marine nationale
Droits : Ministère des armées