Amateur de grands espaces, infatigable globe-trotteur, ermite à ses heures, l’écrivain Sylvain Tesson, 40 ans, invite au voyage à travers ses œuvres. En juin, il a rejoint le club très fermé des Écrivains de Marine.
Sylvain Tesson n’en revient toujours pas. Depuis l’été dernier, il fait partie de l’association des écrivains de Marine, rejoignant un équipage hétéroclite de personnalités comme Patrick Poivre d’Arvor, Jean Raspail et Michel Déon. Et pourtant, « j’ai surtout arpenté des endroits comme le désert de Gobi ou le Tibet, d’où la mer s’est retirée depuis 25 millions d’années », plaisante cet écrivain au long cours dont l’œuvre littéraire est une invitation au voyage. Plus enclin à courir les chemins que les honneurs, il peut se flatter, à 40 ans, d’une longue bibliographie et de deux récompenses, un prix Goncourt de la nouvelle et un Médicis essai. L’auteur globe-trotteur a donc rejoint ce club très fermé, fondé en 2003, qui réunit une vingtaine d’auteurs s’engageant à « favoriser la propagation et la préservation de la culture et de l’héritage de la mer », selon la convention qui les lie à la Marine nationale. Romanciers, philosophes, essayistes, et même poètes, ont ainsi la possibilité d’embarquer sur les bâtiments gris et de porter l’uniforme. « Il m’a d’abord semblé que c’était un honneur dont je n’étais pas digne », confie le cadet de l’association, désormais capitaine de frégate de la réserve citoyenne. Toutefois, « l’association ne cherche pas des écrivains marins, mais des auteurs qui, par leurs écrits, ont défendu et célébré des vertus correspondant à celles qui entraînent les hommes sur les mers, comme l’appel du large et de nouveaux horizons ».
Il décide de vivre en ermite, pendant six mois...
La décoration intérieure du pied-à-terre parisien de Sylvain Tesson se résume à un étalage anarchique de livres et de souvenirs. Pas d’écran plat ni de chaîne hi-fi, il est de ceux qui ont laissé le progrès sur le bord de la route. Choyant « une vie à coucher dehors », cet inlassable explorateur a fait de l’aventure et de son attirance pour les situations extrêmes son credo. Un tour du monde à bicyclette, une traversée de l’Himalaya, une chevauchée dans les steppes et une longue marche de la Sibérie jusqu’en Inde sur les traces des évadés du goulag, tous ses voyages répondent à une même obsession : parcourir le monde pour défier le temps qui fuit, inexorablement. Mais rien n’y fait. Alors il décide de vivre en ermite, pendant six mois, sur le lac Baïkal, en Sibérie, avec pour tout bagage des cigares, de la vodka et ses chères lectures. « Je voulais vivre une expérience de silence, de solitude, d’espace et de froid qui sont les produits de luxe de demain », répète à l’envi ce géographe de formation. Cette « détention volontaire » donna naissance à un livre à succès : Dans les forêts de Sibérie. Son dernier ouvrage, Sibérie ma chérie, met à nouveau à l’honneur cette région à travers un carnet de voyage.
« Les bateaux sont peuplés de gens très silencieux, mais qui ont beaucoup à dire… »
Cette soif des grandes expéditions, Sylvain Tesson la découvre en mer, jeune mousse à bord du Kéréon. « En un mois, nous avons pêché 48 tonnes de poisson dans les eaux islandaises. C’était une expérience très belle parce que très dure… Depuis, j’adhère à la philosophie de Gaston Bachelard qui estime que c’est le rapport que nous entretenons avec les éléments – l’air, l’eau, le feu, la terre – qui fonde notre existence. » Par la suite, sa route croisera celle de la Marine nationale par trois fois. Ecrivain renommé, il est invité par des pachas pour donner des conférences : sur la Jeanne d’Arc en 2008, sur le Ventôse en 2010 puis sur le sous-marin nucléaire d’attaque Améthyste l’année suivante, expérience à propos de laquelle il raconte avec piquant : « J’ai plongé sous les mers pour évoquer la vie de plein air à l’équipage ». À chaque embarquement, ce sont des rencontres : « C’est connu, les bateaux sont peuplés de gens très silencieux, mais qui ont beaucoup à dire…»
Journaliste indépendant travaillant notamment pour Géo ou Le Figaro Magazine, Sylvain Tesson effectue également plusieurs reportages en Afghanistan, avec les commandos de montagne puis avec le 27e bataillon de chasseurs alpins. « Le domaine militaire m’intéresse surtout pour deux raisons. La première est presque anthropologique : avec cette codification dont les significations sont très anciennes, l’armée est un pur produit de la nature humaine. De plus, il est évident que c’est dans les situations auxquelles un soldat est confronté qu’il se révèle véritablement. La route est un papier de verre qui vous décape l’âme, probablement tout comme l’engagement militaire. » Vu par ses confrères journalistes, Sylvain Tesson est « un homme qui a décidé de prendre ses rêves au sérieux », un « cœur aventureux », un « esprit libre » ou encore un « garçon casse-cou ». Rien que ça. Difficile de définir celui qui écrit : « Qui suis-je ? Un pleutre affolé par le monde, reclus dans une cabane au fond des bois. Un couard qui s’alcoolise en silence pour ne pas risquer d’assister au spectacle de son temps, ni de croiser sa conscience faisant les cent pas sur la grève. »
Sources : Ministère des Armées