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La Patrouille de France s'envole avec les Jetmen

Mise à jour  : 02/12/2016 - Auteur : Capitaine Karim Djemaï - Direction : Armée de l'Air et de l'Espace

Virtuoses des acrobaties aériennes, les pilotes de la Patrouille de France ont participé à une authentique performance : évoluer aux côtés de trois Jetmen, hommes volants équipés d’ailes rigides turbopropulsées. Récit d’un vol historique déjà inscrit dans la légende de l’aéronautique.

  • Alpha Jetman, le film
  • Histoire d’une rencontre
  • Parole de Jetman
  • Les coulisses du tournage
  • Diaporama photo

Alpha Jetman, le film

Histoire d’une rencontre

En ce mardi 4 octobre 2016, le soleil brille généreusement au-dessus de Saint-Christol, dans le sud de la France. Tout au long de cette magnifique journée automnale, le vent sera quasi nul. Les conditions atmosphériques sont donc idéales pour voler. Cela tombe bien: les pilotes de la Patrouille de France ont rendez-vous dans le ciel avec trois Jetmen, hommes volants munis d’une aile rigide propulsée par quatre mini-réacteurs. Le moment est historique : jamais une formation acrobatique militaire n’a encore volé en patrouille avec des hommes. Alors directeur des équipes de présentation de l’Armée de l’Air, le lieutenant-colonel Arnaud Amberg a joué un rôle crucial dans la préparation et la réalisation de ce vol. Interview. 

Mon colonel, comment l’idée est-elle née de faire voler les Jetmen aux côtés de la Patrouille de France?

Nous avions une estime réciproque. Les Jetmen admirent depuis longtemps les performances de la Patrouille de France (PAF) et, de mon côté, j’avais déjà beaucoup entendu parler d’Yves et de son concept d’aile volante. Nous sommes entrés en contact grâce à une connaissance commune. En l’occurrence, il s’agit de la sergent-chef Laurence Hervé, aviatrice championne du monde de parachutisme. Laurence est amie de longue date de Fred Fugen, un des Jetmen. Nous avons donc correspondu par téléphone à partir du premier semestre 2016. C’est ainsi que la volonté de voler ensemble a germé. 

Est-ce que cela fut difficile à concrétiser?

Une des principales difficultés a été d’obtenir les autorisations de voler ensemble. Du côté de l’Armée de l’Air, les autorités compétentes ont statué assez rapidement. Cela fut un peu plus long pour les Jetmen. Les organisations aéronautiques civiles ont mis davantage de temps pour statuer. Ensuite, il a fallu trouver une date dans nos emplois du temps respectifs, chose peu aisée! Une fois tous les voyants au vert, la phase active de préparation a été relativement courte, trois semaines tout au plus. Rapidement, trois dates ont été cochées dans nos agendas: une première journée consacrée aux vols de familiarisation, suivie du vol en formation le jour J, puis d’une troisième journée utilisable en cas de report.

Comment prépare t-on un vol si spécial?

Rien n’a été laissé au hasard. Nous avons mené plusieurs briefings très détaillés avec l’ensemble des participants. Ce vol comportait de nombreuses problématiques. Il s’agissait tout d’abord de voler ensemble à la même vitesse (145 nœuds, soit 270 km/h). Sachant que les Jetmen évoluaient pas loin de leur vitesse maximale et les Alphajet à une allure aussi réduite que possible. Ensuite, nous devions éviter tout risque de collision. L’anti-abordage est une considération à laquelle les pilotes de la Patrouille de France sont particulièrement sensibles. À longueur d’année, ils réalisent des figures acrobatiques à seulement quelques mètres les uns des autres. Avec son aile turbopropulsée, un Jetman constitue en quelque sorte un aéronef nouveau, avec lequel nous n’avions jamais volé. Nous avons donc procédé de façon empirique. Plusieurs vols d’entraînement ont été réalisés lors de la journée de familiarisation. Tout s’est déroulé en totale sécurité et conformément à ce qui avait été prévu. Nous avons pu nous appuyer sur l’expertise de chacun. Il faut dire qu’avec les pilotes de la PAF et les Jetmen, ce vol réunissait ce qui se fait de mieux dans le monde aéronautique.

Quelles ont été vos impressions après cette série de vols historiques?

Tous les participants ont eu la même sensation: celle d’avoir eu la chance de vivre un moment unique. Nous avions tous l’impression d’avoir contribué à écrire un chapitre de l’histoire aéronautique. Le fait de se retrouver en vol, à bord d’un avion de chasse, et d’apercevoir à travers le cockpit des êtres humains, c’est magique!

Parole de Jetman

Propulsée par quatre mini-réacteurs, l’aile volante des Jetmen a été élaborée par le Suisse Yves Rossy, ancien pilote de chasse et pilote de ligne. Vincent Reffet et Fred Fugen, parachutistes français champions du monde de leur discipline, le Freefly, à plusieurs reprises, ont aujourd’hui intégré le cercle fermé de ces hommes volants. Pour ce vol, les trois Jetmen étaient harnachés aux portes d’hélicoptères, avant d’être largués à 1500 m d’altitude, puis d’être rejoints en vol par les huit Alphajet de la PAF. Yves Rossy nous présente ici, dans les grandes lignes, le fonctionnement de son aile volante.

Yves Rossy, comment avez-vous eu l’idée de créer cette aile volante?

Cela a été un processus naturel. Durant toute ma vie, j’ai poursuivi le même rêve: celui de voler librement, un peu à la manière d’un oiseau. À 13 ans, j’ai eu un premier flash, en assistant à une démonstration de la patrouille acrobatique suisse pendant un meeting aérien. J’ai tout de suite su que c’était ce que je voulais faire. Et je suis donc devenu pilote de chasse. Puis à 30 ans, j’ai eu une seconde grande révélation en découvrant la chute libre. Dès mes premiers sauts, j’ai immédiatement éprouvé une sensation géniale. En position de dérive, j’ai eu l’impression de voler, d’être plongé complètement dans l’élément aérien. J’ai voulu prolonger cette sensation éphémère (une minute de chute libre tout au plus) en développant une aile volante permettant de rester en l’air plus longtemps. Je voulais absolument garder les émotions liées à la pureté de voler. J’ai d’abord été capable de planer et de tenir à l’horizontal à l’aide d’une aile poussée par deux réacteurs. Puis, j’ai pu me déplacer à la verticale en passant à quatre moteurs. Au total, ce processus aura pris une vingtaine d’années!

S’il fallait présenter les caractéristiques principales de l’aile Jetman, que diriez-vous?

L’aile est de conception très simple. De forme delta, elle est composée de matériaux composites. Sa capacité d’emport est d’environ 30 litres de carburant et de 6 litres de fumigène. Sous cette aile sont fixés quatre réacteurs. L’ensemble est commandé par une mini-manette des gaz reliée à la main du Jetman. Le but recherché est de voler avec son propre corps. C’est fondamental: on ne pilote pas, on vole! Le Jetman, c’est vraiment un homme qui vole avec une aile fixée sur le dos. Pour tourner à droite, il suffit de regarder dans la direction dans laquelle on souhaite aller et l’aile suit le mouvement. L’aile est vraiment très performante. Ça pousse fort! Nous avons un rapport poids-puissance équivalent environ à 1 (160 kg de poussée pour un poids total de 165 kg). Nous avons d’ailleurs récemment battu un record d’altitude, en atteignant 5200 mètres en moins de 6 minutes.

Comment avez-vous élaboré ce vol spécial avec la PAF?

La préparation s’est faite étape par étape, de manière très minutieuse. Notre coordination a été optimale. Dès notre première rencontre avec les pilotes de la Patrouille, je me suis rendu compte que nous étions exactement sur la même longueur d’ondes. Mon passé de pilote militaire a été, à mon sens, très utile. Nous parlons le même langage, empreint de la même rigueur. Quel bonheur de travailler avec de tels professionnels! Et quelle gratification d’avoir pu obtenir leurs retours positifs! Ce vol a vraiment été extraordinaire. Tous les éléments étaient réunis. Je pense que l’Être supérieur, Celui qui veille sur les hommes et que j’aime appeler «Le grand oiseau», a réuni tous les éléments pour que ce vol se passe aussi bien!

Vous avez récemment été rejoint par deux parachutistes français. À quand remontre votre collaboration?

J’ai rencontré Vincent Reffet en 2009, lors d’un entraînement en Espagne. J’arrivais à un moment où mon concept d’aile volante était bien abouti. À 50 ans passés, je voulais explorer de nouvelles choses. Je commençais à être un peu lassé de voler seul et je voulais aussi savoir si l’aile Jetman était facilement transposable à quelqu’un d’autre. Vincent a été le premier à l’essayer, puis Fred Fugen, son acolyte de toujours, nous a rejoints à Dubaï depuis deux ans. Ce sont de très grands parachutistes et, ensemble, nous continuons à explorer le champ des possibilités ouvertes à un Jetman.

Lorsque vous étiez pilote de chasse, avez-vous eu l’occasion de voler aux côtés de Français?

Durant ma carrière militaire, j’ai pu voler sur de nombreux appareils: Pilatus P3 et PC-7, Vampire, Hawker Hunter, F5 et Mirage III, avion avec lequel j’ai fini en beauté. J’ai adoré cet avion de chasse de conception française: une machine de toute beauté, dotée d’une aile delta d’une élégance incomparable. Lorsque j’étais instructeur, j’ai eu l’occasion d’accueillir des pilotes français en échange. Je me souviens de leurs impressions lorsque nous volions ensemble dans les Alpes. Nous leur en mettions plein la vue! Nous avions l’habitude de voler en fond de vallée, très bas et très vite, de passer les crêtes sur le dos. Le vol en montagne, c’était notre spécialité! Ce sont des souvenirs extraordinaires, partagés entre pilotes.

Les coulisses du tournage

Spécialisée dans les prises de vues aériennes, la société de production Airborne Films était chargée d’immortaliser ce moment unique. Le très expérimenté réalisateur Éric Magnan devait coordonner un imposant dispositif composé d’une trentaine de capteurs photo et vidéo. Entretien. 

Comment avez-vous été associé à cette aventure?

J’ai eu l’honneur d’être contacté directement par le lieutenant-colonel Arnaud Amberg, directeur des équipes de présentation de l’Armée de l’Air. Nous avions déjà eu l’occasion de travailler ensemble par le passé. En effet, le 27 janvier dernier, Airborne Films avait réalisé une vidéo lors d’un vol commun entre la PAF et le dernier 747 d’Air France, avion emblématique de l’histoire de l’aéronautique civile. Ce vol s’était particulièrement bien passé et la vidéo avait rencontré un gros succès. Nous démarrions donc à partir de bases solides. 

Comment avez-vous procédé pour réaliser cette vidéo?

Les prises de vues aéronautiques demandent une très grande rigueur. Aucune place n’est laissée à l’improvisation. Pour ce vol, tout a démarré par un premier échange avec les participants, afin de comprendre l’ensemble de leurs contraintes. À partir de cela, j’ai ensuite pris le temps d’imaginer les plans et de réaliser des story-boards techniques que j’ai transmis aux pilotes concernés. Le vol s’est construit ainsi, au gré de nos échanges successifs. Étant donné qu’il s’agissait d’une grande première, nous avons progressé de façon empirique, en effectuant quatre vols d’entraînement. Nous nous sommes aussi volontairement limités à des plans simples, à cause du court temps de vol et des problématiques liées à la sécurité. Ainsi, tout s’est déroulé exactement comme prévu. J’étais personnellement à bord d’un Extra 330 de l’équipe de voltige de l’Armée de l’Air. J’avais déjà utilisé ce vecteur pour le vol du 747 d’Air France. L’Extra 330 se prête parfaitement aux images prises par-dessus, en vol dos, à faible vitesse. Deux autres opérateurs d’Airborne Films avaient pris place à bord d’Alphajet. Nous avions également disposé des caméras au sol, dans les hélicoptères, ainsi que sur les Jetmen. Au total, cela représentait une trentaine de caméras à coordonner. 

Quel souvenir gardez-vous de ce tournage?

Durant ma carrière, j’ai eu la chance de faire beaucoup de vols marquants, notamment avec l’Armée de l’Air. Mais ce vol-là reste spécial ! Nous avons tous partagé une même émotion. Voir un homme voler à grande vitesse, se dirigeant au sein d’une formation simplement à l’aide de sa tête et de ses mains, c’est complètement dingue ! J’avais beau être totalement concentré sur les prises de vue, je n’ai pas pu m’empêcher de me dire que ce que j’étais en train de filmer était irréel. C’est la première fois que cela m’arrive. J’ai vraiment été bluffé par la rapidité, la précision et la stabilité des Jetmen. Ce n’est pas tous les jours qu’on a l’occasion de participer à une grande première aéronautique. Ce fut une grande aventure!

Diaporama photo


Source : Armée de l'Air et de l'Espace
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