Accueil | Terre | Actu Terre | Bataille de la Somme : « pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien » ? Terre ... Actu Terre | Bataille de la Somme : « pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien » ?

Bataille de la Somme : « pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien » ?

Mise à jour  : 12/10/2018

Si Verdun, en 1916, occupe essentiellement les troupes françaises contre les Allemands, la Somme est d’abord le théâtre de l’engagement des Britanniques et de leurs alliés du Commonwealth. La citation de Shakespeare dans le titre n’est donc pas seulement illustrative ; du bruit il y en a par l’emploi massif et inédit à cette échelle de l’artillerie lourde et de la fureur, par le nombre des pertes.

Une reconsidération des ambitions françaises

Lorsque, le 1er juillet 1916, l’offensive alliée de la Somme débute, les Allemands ont entamé depuis le 21 février une manœuvre de choc au nord-est de Verdun. Joffre maintient son projet d’attaque alliée en Picardie. Les objectifs initiaux de Joffre et de Douglas Haig, à la tête du corps expéditionnaire britannique, sont orientés par l’idée d’une victoire significative, voire décisive, sur les empires centraux. Mais, avec le péril désormais de la percée allemande en Meuse, ces ambitions réduisent à « dégager Verdun par une attaque dirigée sur une autre partie du front », comme s’y résigne le chef des armées françaises.

La réduction du front, à seulement 12 kilomètres au lieu des 45 d’abord planifiés, confère la prééminence aux Britanniques. À leurs yeux, au contraire de ce que pense dorénavant Joffre, ce mouvement doit être « the Great Push ». Le champ de bataille choisi se situe entre Bapaume et Péronne à l’est d’Amiens.

L’usage massif de l’artillerie lourde

Du côté français, le groupe d’armées du nord (GAN) est commandé par Ferdinand Foch. L’artillerie totalise un nombre impressionnant de pièces : 700 de campagne, 732 lourdes, dont 122 d’artillerie lourde à grande puissance (ALGP). Le groupe d’armées Haig, à l’image de la diversité du Commonwealth, est appuyé par près de 900 pièces de campagne et 467 pièces lourdes. La 2e armée du général Fritz von Below doit faire face avec seulement le tiers de la puissance de feu des Franco-britanniques. Ils ne peuvent pas non plus compter sur la maîtrise du ciel puisque l’aviation allemande (Luftstreitkräfte) ne dispose que de moins de 130 appareils quand les Alliés peuvent en faire voler 300.

La première vague d’infanterie britannique passe les parapets des tranchées à 7h30. Ces hommes, des volontaires, sont encore peu, voire pas du tout, aguerris aux aspects du combat sur le front ouest. La veille, Haig se félicitait encore de leur moral splendide. Leur assaut est précédé par une intense préparation d’artillerie durant une semaine et des explosions de mines. Mais ce déferlement d’obus a un vice, comme l’écrit Jean-Baptiste Duroselle dans La Grande Guerre des Français, car « jamais […] les Allemands n’ont été prévenus si longtemps à l’avance de la zone où ils devaient faire venir leurs réserves ». Qui plus est le génie allemand réalise des ouvrages profonds et solides dans ce plateau picard au sous-sol crayeux, propice au creusement de profondes et solides galeries dans lesquelles les fantassins peuvent efficacement se protéger de l’« orage d’acier » de plus de 1,7 million d’obus qui s’abattent sur eux durant six jours, ce que décrit Ernst Junger dans ses Carnets de guerre : « L’image de ce paysage est inoubliable pour celui qui l’a vu […]. Désormais, plus rien à voir, mais strictement plus rien ».

Une « guerre d’usure »

Pour ces raisons, la première ligne britannique qui s’avance se retrouve rapidement sous le feu des mitrailleuses allemandes et, à son tour, sous une pluie d’obus, notamment les troupes massées dans les tranchées de regroupement. Les pertes sont rapidement énormes, comparables aux journées les plus meurtrières d’août 1914 pour l’armée française, puisque près de 20 000 soldats, dont 1 000 officiers environ, sont tués en une douzaine d’heures ; 40 000 autres sont blessés ou disparus. Dans les semaines qui suivent, ce sont plus de 50 000 hommes du corps expéditionnaire britannique qui périssent pour quelques kilomètres seulement de terrain conquis. À peine un mois après le début de l’offensive, Haig exprime lui-même ce qui s’apparente déjà à un échec en constatant qu’ « on aurait tort de prévoir que la résistance de l’ennemi sera complètement brisée sans une nouvelle campagne prochaine ». Les combats sur ce front durent ensuite jusqu’à la mi-novembre.

Ces longues semaines de guerre d’usure se caractérisent par l’emploi massif de l’artillerie lourde, le recours plus systématique à l’aviation pour la reconnaissance et l’appui des troupes de ligne. Une des innovations les plus notables reste l’emploi, pour la première fois, des chars britanniques, 32 tanks, le 15 septembre 1916. La plupart sont rapidement détruits alors que d’autres tombent en panne avant même leur entrée en lice.

Une transformation de la manière de combattre

Malgré leur nette infériorité numérique, les Allemands bénéficient d’une alliée inattendue pour paralyser les manœuvres franco-britanniques : la boue. Avec la pluie de l’automne, la poussière irrespirable de l’été se transforme en un bourbier dans lequel hommes et animaux s’enlisent. À la mi-novembre, l’offensive est officiellement arrêtée après plus de 420 000 soldats morts, blessés ou disparus du seul côté britannique. Les Allemands, censés être les vaincus, comptent autant de pertes, mais surtout 40 000 morts et disparus de moins !

Cette bataille de la Somme a marqué une transformation significative des méthodes et de l’ampleur des moyens que le général Fayolle a résumé avec une remarquable lucidité dès le 16 juillet : « Du caractère de la guerre actuelle. Artillerie et débit de munitions… L’art de la guerre a disparu. Moyens mécaniques. De l’importance de l’aviation. Début de la guerre aérienne. L’artillerie allemande aveuglée. De l’inaptitude manœuvrière actuelle des troupes. Elles sont ankylosées par la guerre de tranchées et leur mentalité est déformée ». Il fallut attendre encore presque deux ans pour que la manœuvre, précisément, ne soit plus à l’usure mais à ce mouvement préconisé par le général Fayolle à l’été 1916.


Droits : Armée de Terre 2022