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Interview - Les munitions complexes

Mise à jour  : 15/03/2021 - Direction : SIRPA Marine

Sous-chef du bureau Plans et programmes de l’état-major de la Marine, le contre-amiral Éric Malbrunot dresse un panorama des munitions complexes qui équipent les bâtiments et aéronefs de la Marine. Il revient sur les avantages stratégiques qu’elles confèrent à notre pays dans un contexte mondial marqué par le retour de l’usage de la force.

COLS BLEUS : Qu’appelle-t-on munition complexe ?

CONTRE-AMIRAL ÉRIC MALBRUNOT : Une munition complexe tire son nom du niveau de technicité nécessaire à sa performance et à son fonctionnement. Dans les munitions complexes, on trouve les missiles et les torpilles qui, pour leur navigation, leur guidage et leur capacité à pénétrer les défenses adverses, mettent en œuvre des équipements de haute technologie (autodirecteurs, centrales inertielles, systèmes antibrouillage, systèmes de liaison, etc.).

C. B. : Quels sont les grands types de munitions complexes mises en œuvre par la Marine ?

CA É. M. : Pour la défense anti-aérienne, les missiles Aster (15 et 30) équipent les frégates de premier rang et le porte-avions. La grande famille Exocet (MM, SM, AM)1 œuvre dans la lutte antinavire. Ces missiles ont été utilisés avec succès dans différents conflits (Malouines, Iran-Irak). Concernant les frappes dans la profondeur, le SCALP tiré depuis les Rafale Marine catapultés du porte-avions Charles de Gaulle a été le précurseur. L’utilisation du missile de croisière naval (MdCN) – depuis les frégates multi-missions (FREMM) et désormais depuis des sous-marins de type Suffren – a marqué l’entrée de la France dans le club très fermé des nations dotées de telles armes. Enfin, les torpilles lourdes constituent l’arme anti-sous-marine des sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) et des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE), ainsi que leur principale arme offensive contre des bâtiments de surface.

C. B. : Quels avantages stratégiques confèrent-elles ?

CA É. M. : Les munitions complexes sont dédiées à l’engagement dans le « haut du spectre ». Elles offrent à la Marine l’avantage contre des adversaires de premier rang capables de restreindre sa liberté d’action dans des espaces aéromaritimes de plus en plus contestés. Dans le cadre d’opérations d’entrée en premier, elles permettent d’emporter le combat en mer pour ensuite frapper dans la profondeur des terres avec nos chasseurs. Citons, par exemple, les torpilles embarquées sur les sous-marins français, qui sont filoguidées. Ce système permet au sous-marin de guider l’arme et d’attaquer un navire ennemi situé à une distance initialement incompatible avec la portée des senseurs de la torpille. Notre aptitude à l’entrée en premier est portée in fine par la performance de nos armes.

C. B. : Comment la France se situe-t-elle par rapport aux grandes puissances navales et aux marines émergentes ?

CA É. M. : Le développement accéléré de nouvelles armes antinavires supersoniques, voire hypersoniques, par les Russes et les Chinois, vient défier la supériorité occidentale en mer. D’autres producteurs de missiles antinavires apparaissent aussi, comme l’Inde, la Turquie ou le Japon. Dans ce contexte, l’avantage technologique fort que possède la Marine nationale, grâce à ses systèmes de défense constitués de missiles Aster ou grâce à l’arrivée du MM40 bloc 3C2, tend à s’éroder. Pour la lutte anti-sous-marine, l’augmentation du nombre de sous-marins, à propulsion nucléaire ou non, doit être mise en regard de l’excellence des moyens de détection français. Cette capacité à traquer des sous-marins à très grande distance compense, pour le moment, les développements de nos compétiteurs dans le domaine des torpilles. Elle est le produit de la cohérence de notre base industrielle et technologique de défense.

C. B. : En quoi sont-elles indispensables au combat naval de demain ?

CA É. M. : Avec le retour des logiques de puissance et de rapports de force entre États, le développement et la prolifération de missiles antinavires se sont accélérés. Face à des adversaires qui se réarment, la Marine devra continuer à disposer d’armements lui permettant de conserver l’avantage. Dans le combat naval, la capacité de nos missiles antinavires à pénétrer des systèmes de défense de plus en plus performants fera la différence. De même, l’allonge en distance et la discrétion offerte par la nouvelle torpille lourde permettront aux nouveaux SNA de type Suffren d’attaquer des frégates modernes tout en restant en dehors de leurs zones de détection. Enfin, face aux nouvelles armes furtives et hyper véloces que cherchent à développer nos adversaires, les performances de nos systèmes de missiles anti-aériens garantiront à nos navires la possibilité d’opérer dans les espaces les plus contestés.

C. B. : Comment se dessine le futur des munitions complexes ?

CA É. M. : Le programme FMAN/FMC3, en coopération avec les Britanniques, vise à remplacer l’Exocet et le SCALP à l’horizon 2030. Deux schémas sont envisagés pour assurer les missions de pénétration de haute performance : un missile supersonique très manœuvrant, pour passer les défenses ennemies, ou un missile furtif subsonique, plus difficilement détectable et disposant d’une plus grande portée. Pour les missiles Aster, leur évolution avec l’arrivée de l’Aster 30 B1NT permettra d’accroître leur domaine d’emploi pour faire face à l’évolution des performances en vitesse et en altitude des missiles adverses. Au-delà de la décennie 2030, la France étudie, avec d’autres nations de l’Union européenne, la possibilité de développer un missile capable d’intercepter des menaces balistiques à très haute altitude : c’est le projet TWISTER4. Les munitions complexes seront ainsi renouvelées pour garantir à la Marine nationale son statut de marine de premier rang capable de défendre les intérêts de la France sur, sous et depuis toutes les mers.

1 Mer-mer, sous-mer-mer et air-mer.

2 L’autodirecteur cohérent du MM40 B3C lui permettra de se protéger contre les tactiques de leurrage les plus modernes.

3 Futur missile antinavires / Futur missile de croisière.

4 Timely Warning and Interception with Space-based TheatER surveillance.


Sources : Marine nationale
Droits : Ministère des armées