Contre-amiral Emmanuel Slaars, directeur de l’exercice Polaris 21
Cols bleus : Amiral, comment Polaris 21 a-t-il été préparé ?
CA E. S. : L’ambition de Polaris 21, portée par le chef d’état-major de la Marine et singulièrement l’objectif d’en faire un entraînement à la fois multimilieux et multichamps, désignait l’état-major de la force aéromaritime française de réaction rapide (FRMARFOR) pour l’organiser. En quelques mois seulement, c’est un très petit noyau de marins de FRMARFOR qui a réussi ce tour de force, parfaitement appuyé par les quatre autorités organiques, CECMED3 et CECLANT4.
C. B. : Quels étaient les objectifs du scénario ?
CA E. S. : Polaris 21 opposait deux forces aéromaritimes conventionnelles, de puissance comparable mais disposant de moyens différenciés, engagées dans une phase de contestation donnant rapidement lieu à un affrontement de haute intensité. À ce très haut niveau d’ambition, le réalisme et la crédibilité du scénario sont essentiels pour représenter les situations que nous sommes susceptibles de rencontrer dès aujourd’hui sur les théâtres d’opérations et ainsi motiver tous les acteurs, des commandants des Task Forces jusqu’au plus jeune matelot, soldat ou aviateur.
Nous avons donc organisé une phase d’affrontement de six jours, essentiellement en Méditerranée occidentale, avec la volonté de laisser la plus grande liberté tactique aux deux Task Forces. En outre, le ravitaillement, les stocks de munitions ou encore les conséquences des coups encaissés ont tous été joués dans les conditions les plus proches possibles de la réalité.
C. B. : Comment se déroule la conduite d’un tel exercice ?
CA E. S. : Seules les premières heures du scénario étaient fixées, et nous avons été uniquement guidés par la volonté de plonger les unités dans les réalités du « brouillard de la guerre » et les exigences du milieu aéromaritime. En la matière, nous avons composé avec une vraie météo de novembre.
J’ai pu m’appuyer sur un état-major embarqué à bord du porte-hélicoptères amphibie Tonnerre, ce qui nous a permis d’être dans le tempo des deux Task Forces. Réparti en une vingtaine de cellules, il comprenait une dizaine d’experts des différents milieux venant de tous les horizons de la Marine et des autres armées. Notre mission était de suivre la situation des deux forces en temps réel pour en orienter les actions et surtout pour assurer la sécurité des interactions, en maîtrisant le niveau de risques, notamment dans les milieux aérien, sous-marin et cyber.
3. Commandant de la zone maritime Méditerranée.
4. Commandant de la zone maritime Atlantique.
Un exercice pour asseoir la crédibilité de la Marine
Contre-amiral Christophe Cluzel, COM FRMARFOR et commandant le groupe aéronaval
Cols bleus : Amiral, quel bilan tirez-vous de Polaris 21 ?
CA C. C. : Polaris 21 illustre l’ambition de la Marine nationale de se préparer aux affrontements de demain. Nous avons réussi à nous plonger dans les conditions ultra-réalistes du combat de haute intensité, parfaitement restituées grâce à la densité (le nombre et la qualité) des moyens engagés, mais également l’intégration dans le scénario de tous les nouveaux milieux et champs de conflictualité.
C’est un exercice qui est exigeant, que nous avons d’ailleurs tous vécu comme une opération. Et c’est cette exigence qui a permis de développer la force morale de nos équipages, d’innover tactiquement et de penser la guerre de demain. C’est aussi un exercice qui nous crédibilise, vis-à-vis de nos partenaires comme de nos compétiteurs.
Je ne pouvais rien espérer de mieux en préparation au prochain déploiement du groupe aéronaval qui débutera en février prochain.
C. B. : En quoi Polaris 21 est-il inédit ?
CA C. C. : Polaris 21 est l’exercice le plus complet que la Marine nationale ait conduit jusqu’à présent et fixe une nouvelle norme dans la préparation de nos armées aux engagements futurs. Pour la première fois, deux forces aéromaritimes puissantes et aux capacités à peu près équivalentes ont manœuvré et se sont affrontées pendant une durée significative dans tous les milieux et champs de conflictualité. C’est un modèle qui a séduit nos alliés, et je pense que les exercices de cette ambition vont se multiplier dans les années à venir.
Plus que la densité des participants, assez remarquable, le réalisme de Polaris 21 est ce qui me semble le plus inédit. Nous avons vécu l’incertitude, la fulgurance, la violence, la complexité, dans un épais brouillard et dans des conditions très dégradées, que ce soit en raison de la météo ou de la perte de nos communications satellites. Malgré cela, nous nous sommes attachés à synchroniser nos actions dans les champs matériels et immatériels. Nous n’avions jamais vécu une telle intensité, un tel tempo. Polaris, c’est vraiment un changement de braquet.
Kraken : se préparer aux assauts vers la terre
Se préparer aux opérations spéciales en haute mer et de la mer vers la terre, tel est l’objectif de l’exercice Kraken qui réunit, tous les deux ans, différentes composantes des forces spéciales de la Marine, de l’armée de Terre, de l’armée de l’Air et de l’Espace, mais aussi du service de Santé. Il met notamment en scène des assauts, lancés depuis un bâtiment de la Marine, dont l’objectif est de capturer un cadre d’une organisation terroriste. Des opérations de neutralisation d’objectifs, de destruction d’installations de surveillance côtière et de surveillance de bâtiments sensibles peuvent aussi être intégrées au scénario.
La dernière édition a pris une dimension particulière puisqu’elle s’est déroulée, courant novembre 2021, au large de Toulon et en préambule de Polaris 21, pour faciliter l’intervention des forces aéronavales amphibies. L’objectif était de façonner à leur avantage l’environnement dans lequel elles allaient ensuite évoluer. Outre les commandos Marine, plusieurs bâtiments ont pris part à l’édition 2021 : le porte-hélicoptères amphibie Tonnerre, la frégate multi-missions Provence, le bâtiment de commandement et de ravitaillement Marne et le bâtiment de soutien et d’assistance métropolitain Loire. Des hélicoptères des forces spéciales de l’armée de Terre ont également participé à l’exercice.
En route pour Clemenceau 22 !
L’exercice Polaris 21 est entré dans le cadre de la préparation opérationnelle du groupe aéronaval (GAN) en vue de son principal déploiement de l’année : Clemenceau 22. Engagé depuis début février, le GAN, constitué autour du porte-avions Charles de Gaulle, aura pour objectif la projection de puissance sur l’ensemble du bassin méditerranéen et en mer Noire. Il prendra part notamment à l’opération Chammal, volet français de l’opération Inherent Resolve (OIR), dont l’objectif est d’empêcher Daech de reconstituer ses capacités. Ainsi, la mission Clemenceau 22, prévue pour durer plus de deux mois, confirme le haut niveau d’engagement de la Marine dans la poursuite de la lutte contre le terrorisme djihadiste. Clemenceau 22 permettra également à la France d’affirmer sa détermination à défendre ses intérêts stratégiques et ceux de ses partenaires, européens en particulier, ainsi que son attachement à la liberté de navigation.
Sources : Marine nationale
Droits : Ministère des armées