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Hommage à Raymond Boudon

Mise à jour  : 24/06/2013 - Direction : IRSEM

Par le professeur Frédéric Ramel, directeur scientifique de l'IRSEM

Il pourra paraître étrange au lecteur de trouver dans la présente lettre de l’IRSEM l’hommage à un sociologue qui n’a pas consacré sa carrière aux enjeux militaires et stratégiques. Certes, l’œuvre de Raymond Boudon est éloignée de la sociologie du fait guerrier. Elle a pour finalité première la construction d’une méthode rigoureuse et scientifique qui peut emprunter aux mathématiques. L’usage de la modélisation et le recours aux enquêtes de grande ampleur participent de cet objectif. Ces choix entendent par là offrir les bases à une véritable sociologie scientifique qui consiste, dans le prolongement des précurseurs du XIXème siècle, à rendre plus ferme le raisonnement sociologique. Autrement dit, la production sociologique de Boudon se situe d’abord et avant tout sur un versant épistémologique. Cette entreprise passe nécessairement par des terrains d’application à l’instar de son travail bien connu sur l’école publié en 1973 : l’Inégalité des chances. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, pendant de très nombreuses années, les enseignements de sociologie trouvaient dans le clivage entre Pierre Bourdieu et Raymond Boudon un cadre structurant pour présenter les manières de connaître en sociologie. Le néo-marxisme ayant pour visée la reconnaissance des phénomènes de domination sociale et de violence symbolique s’oppose à l’individualisme méthodologique qui conçoit le social comme le résultat d’interactions. Ces deux options peuvent d’ailleurs inspirer des programmes de recherche dans le domaine stratégique. En ce qui concerne Boudon, deux perspectives peuvent être envisagées. La première consiste à ne pas négliger la lecture des classiques : Tocqueville, Durkheim et Weber. Boudon a favorisé la fréquentation des textes fondateurs par leur ré-édition et leurs commentaires précis. Son objectif ne relevait pas seulement de l’histoire de la discipline qu’il définissait comme une science à part entière. Il consistait à puiser chez les premiers sociologues une série d’outils, de concepts, d’approches dont l’opérationnalité serait encore d’actualité tout en évaluant leur portée. Dans un sens plus global, cet appel peut être étendu au « passé de l’esprit » - pour reprendre l’expression de Gaston Bachelard – qui irrigue toute forme de pensée, y compris la stratégique. Il ne s’agit pas de faire preuve d’érudition ou de conservation mais de situer la réflexion par rapport à un cadre existant et de le discuter. La deuxième perspective tient à un aspect plus focal de la réflexion menée par Boudon : celle qu’il consacre à la rationalité. Ici, le projet de Boudon vise à dépasser les conceptions schématiques des théories du choix rationnel afin de montrer les relations plus complexes entre valeurs et rationalité, entre valeurs et croyances. Pour lui, la rationalité instrumentale fondée sur le calcul coût-avantage n’épuise pas les formes de rationalité et surtout, ne permet pas d’analyser les croyances (individuelles ou collectives) qui sont subjectives. D’autres rationalités interfèrent sur ces valeurs et ces croyances subjectives. Sa théorie que l’on peut qualifier d’explication cognitiviste de la rationalité a suscité de nombreux débats. La pensée stratégique pourrait s’en inspirer car interroger les conduites rationnelles des acteurs (étatiques ou sociétaux) constitue une nécessité tant pour le stratégiste que pour le stratège.


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