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Hommage à Kenneth Waltz

Mise à jour  : 24/06/2013 - Direction : IRSEM

Par Frédéric Ramel, directeur scientifique de l'IRSEM

 

Lors du congrès de l’International Studies Association tenu à la Nouvelle-Orléans en 2010, Kenneth Waltz s’était vu remettre un prix pour l’ensemble de son œuvre. Hasard des circonstances (ou plutôt choix délibéré des organisateurs), cette réception eut lieu dans un salon nommé « Napoléon » pendant que Joseph Nye (dans la salle « Versailles » attenante) dissertait sur le soft-power. Cette reconnaissance académique allait de soi pour une société savante américaine telle que l’ISA. Mais elle peut aussi être partagée par des universitaires étrangers quand bien même ils ne souscrivent pas à la posture théorique de Waltz ou contestent les emprunts à certains auteurs francophones tels Rousseau ou Durkheim - malheureusement trop schématiques – auxquels le célèbre théoricien procéda. Il est impossible de résumer en quelques lignes l’apport de Waltz à l’étude des relations internationales. La portée de ces travaux, notamment Theory of International Politics inspirée des principes de l’économie en tant que science sociale la plus « rigoureuse », fut conséquente à partir de la fin des années 1970. Elle constitua un pôle à partir desquels toute une nouvelle génération de Réalistes se créa. La critique sévère de Waltz à l’égard des réalistes classiques a pu générer des réactions en termes de programmes de recherche, qui, aujourd’hui, explique le regain d’intérêt pour ne pas dire la redécouverte de Morgenthau ou même d’Aron.

  Mais les chercheurs en études stratégiques définies dans un sens strict, à savoir le recours à la force armée, ne peuvent pas échapper à Waltz. Ils le rencontrent à un moment ou à un autre. De sa réflexion sur la stabilité du système international à sa conception rationaliste de l’arme nucléaire qui l’amène à défendre la thèse stabilisatrice de la prolifération (le fameux « more be better »), Waltz offre une cohérence à son raisonnement en plaçant la guerre au cœur de ses préoccupations scientifiques. Il s’agit d’un choix qui s’expose à la critique en raison de son caractère stato-centré mais aussi son allergie à l’égard d’une conception plus coopérative des relations internationales. La guerre qu’il pense correspond à un affrontement entre Etats dans la droite ligne des conceptions modernes. Or, la scène stratégique s’est enrichie et oblige à prendre en considération l’intervention de nouveaux acteurs. Toutefois, un élément mérite d’être souligné pour tout spécialiste des études stratégiques. Waltz se situe d’abord et avant tout sur le registre de la recherche fondamentale. Sa thèse de doctorat Man, the State and War (publiée en 1959), est un ouvrage de philosophie des relations internationales. Sans le passage par la philosophie, Waltz n’aurait pas pu proposer de telles innovations sur le plan théorique. Certes, le réalisme défensif qu’il en tire présente une dimension prédictive– fortement nuancée par Waltz lui-même – qui aboutit parfois à des interprétations discutables, notamment son analyse de l’Otan, vouée à se dissoudre  avec la fin de la guerre froide. Toutefois, cet itinéraire interpelle le chercheur contemporain. Une thèse d’une telle profondeur est-elle encore possible aujourd’hui, que ce soit aux Etats-Unis ou ailleurs (les conditions de production de la recherche inviteraient plutôt au scepticisme) ? Une réponse affirmative est toutefois requise afin de ne pas uniformiser la production doctorale. Au-delà des résultats et des prises de positions théoriques que Waltz a produit et diffusé dans le champ des relations internationales, deux enseignements peuvent être tirés de son travail : l’appel à l’innovation d’une part, et la nécessité de penser la guerre d’autre part. Nombre d’universitaires ne partagent pas les prédicats de la théorie waltzienne. Mais ils ne peuvent que rendre hommage à ce double effort qui incarne, au-delà des querelles de chapelle théoriques, le cœur de la réflexion en Relations internationales.


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