Par Ilan Greilsammer, professeur de science politique à l’Université Bar-Ilan (Israël)
Disons-le franchement : aujourd’hui, les Israéliens sont surtout intéressés par la politique des Etats-Unis au Moyen-Orient, et beaucoup moins par la politique de la France et de l’Europe. Telle est l’évolution inéluctable qui s’est produite depuis la guerre des six-jours, lorsque le général de Gaulle a tourné le dos à Israël et donné une inflexion pro-arabe à la politique étrangère de la France, suivi peu après par les autres pays de la Communauté puis de l’Union, quoique à des degrés divers. En même temps que l’Europe se positionnait de façon critique à l’égard des politiques israéliennes (occupation des territoires palestiniens, colonisation, interventions armées au Liban, à Gaza, etc.), les Etats-Unis d’Amérique prenaient la place qu’avait occupé la France dans les années cinquante, celle d’allié privilégié d’Israël. Depuis lors, cette aide n’a cessé de s’intensifier, atteignant sur le plan matériel trois milliards de dollars en aide civile et militaire. Il est certain que l’Etat d’Israël est devenu extrêmement dépendant des Etats-Unis et que les inflexions réelles ou éventuelles de la politique de Washington est le premier sujet de préoccupation des Israéliens. D’autre part, le sentiment profond des habitants de l’Etat juif, tel qu’il se reflète dans les medias et les déclarations des hommes politiques, est que l’Europe traverse une crise grave, politique, économique et sociale et que les Européens ont très peu de temps, de disponibilité et d’énergie pour intervenir de quelque façon que ce soit dans les affaires moyen-orientales. L’impuissance des Européens face à la tragédie syrienne et à la progression des Iraniens vers l’arme nucléaire confirme, du point de vue israélien, le diagnostic très pessimiste quand à l’avenir de l’Europe et quant à son poids dans les affaires de la région.
Ceci étant, un très net changement s’est produit avec la présidence de Nicolas Sarkozy, et ce changement positif se poursuit sous la présidence de François Hollande. Contrairement à Jacques Chirac, dont les démêlés avec l’establishment israélien sont bien connus et qui ne jouissait pas d’une grande popularité en Israël-pour employer un euphémisme- les présidents Sarkozy et Hollande bénéficient en Israël d’un grand capital de confiance. Sous leur direction, la France est redevenue aux yeux de la population un « ami d’Israël ». C’est très important, étant donné la très nette tendance des Israéliens de ne rien écouter de ceux qu’ils considèrent, à tort ou à raison, comme hostiles à leur pays, le monde étant divisé en noir et blanc entre « amis » et « ennemis ». Malgré les critiques de la France à l’égard des politiques inchangées d’Israël, le ton et la forme se sont transformés, et c’est très important en ce qui concerne la possibilité pour la France de jouer un rôle dans un éventuel processus de paix (actuellement au point mort).
Aujourd’hui, la France et certains Etats de l’Union européenne (au premier rang desquels l’Allemagne d’Angela Merkel, très populaire en Israël) sont « acceptés » par les Israéliens comme « autorisés » à participer au processus de paix israélo-palestinien en raison de leur relative neutralité et de l’absence d’animosité de leurs dirigeants envers l’Etat juif. Tout est néanmoins relatif. Encore une fois, c’est vers Washington que les Israéliens tournent leurs regards et c’est à Washington que revient, encore et toujours, la première place dans un éventuel rapprochement des points de vue de Jérusalem et de Ramallah qui, peut-être, mènera à un quelconque accord. Mais la présence des pays européens « amis » aux côtés des Etats-Unis est vue d’un œil favorable, même si elle n’est pas considérée comme vraiment indispensable. Jusqu’il y a peu, l’Union européenne était surtout considérée comme un garant économique riche d’un processus de paix géré par les Etats-Unis : les Européens donneraient la « carotte » économique, sous forme d’avantages divers, qui pousseraient et inciteraient les parties à faire des concessions et à aller de l’avant. Avec la crise économique, ce rôle de garant est beaucoup moins évident.
Aujourd’hui, le principal sujet de préoccupation des Israéliens n’est malheureusement pas la question palestinienne, sur laquelle tout semble avoir été dit, mais la question du nucléaire iranien. Il ne fait aucun doute que Jérusalem se réjouit des positions de principe très fermes prises par certains pays européens, dont la France, contre la politique nucléaire de Téhéran. Cela conforte beaucoup d’Israéliens quant à l’amitié et la compréhension de l’Europe à leur égard. Mais là encore, après les manifestations d’entente et les sourires dispensés au Premier ministre israélien lors de ses visites dans les capitales européennes, c’est comme toujours de Washington que les Israéliens attendent le salut.
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