Lors de l’offensive Nivelle d’avril 1917, l’armée française a pour la première fois utilisé des chars à Berry-au- Bac. Cette tactique a été pensée suite à l’engagement des tanks anglais sur la Somme et des manœuvres combinées avec l’infanterie exécutées durant l’hiver au camp de Champlieu.
Le plan d'attaque initial ne prévoyait l'emploi des chars que pour l'attaque des défenses ennemies à partir de la troisième position ; la préparation d'artillerie, seule, devant ouvrir la voie à l'infanterie sur les positions antérieures. Les chars devaient s'efforcer de suivre la progression le plus vite possible à travers le terrain bouleversé, de façon à entrer au moment où l'infanterie partirait à l'attaque de la troisième position, position trop éloignée pour que notre artillerie ait pu avant l'attaque y pratiquer des destructions sérieuses. Cent-trente chars, répartis en deux groupements, devaient participer à cette opération. Dès leur engagement, les chars furent repérés par l'aviation ennemie et subirent dès lors, sans discontinuer, le feu de l'artillerie allemande. Ils parvinrent à atteindre la troisième ligne de défense ennemie mais, faute de soutien d'infanterie, cette dernière n'ayant pu les suivre, ils durent se replier à la tombée de la nuit.
Le général Estienne fit l'analyse à chaud de la bataille dans un rapport qu'il adressa au Grand Quartier Général le 28 avril 1917. Après avoir fait l'historique de l'engagement, précisant les conditions de transport vers les points de rassemblement, l'emploi prévu des groupements et résumant les faits importants, il tirait des conclusions tactiques et techniques :
“Les chars ne doivent pas être exposés pendant plus d'une heure à des tirs réglables d'artillerie. À défaut du brouillard, de la demi-obscurité ou du matin, circonstances considérées dès le début comme particulièrement favorables, il faut que le tank rencontre au cours de sa progression des couverts, des vallonnements susceptibles de l'abriter momentanément contre les tirs directs. Dans une attaque en profondeur, l'entrée de l'AS (Artillerie spéciale) dans la zone vue par les observatoires de première ligne de l'ennemi (Craonne par exemple) ne doit pas être fixée en fonction de l'heure H, mais elle doit être subordonnée à la conquête préalable de ces observatoires. Il suit de là, qu'en général, la mise en action de l'AS doit être prescrite soit par l'armée, soit par le corps d'armée et exceptionnellement par la division, non d'après une idée préconçue sur le temps probable nécessaire à l'occupation des observatoires, mais d'après la connaissance certaine des progrès réalisés par notre infanterie.
Ce principe n'introduit d'ailleurs aucun retard dans la progression de l'AS parce que ses chars ne pouvant généralement franchir par les seuls moyens du bord les premières lignes ennemies spécialement organisées contre leurs incursions, il faut un certain temps pour aménager des passages dans ces lignes. Une bonne mesure à adopter, quand les groupes seront dotés de chars légers de commandement, consistera à faire devancer le groupe par l'un de ces chars, dont le chef reconnaîtra l'itinéraire, évitant ainsi l'arrêt du groupe sous les vues et sous les feux de l'artillerie ennemie. Le groupe de 16 chars ordinaires est trop lourd et le commandement tant du groupe que des batteries, est mal assuré par des officiers montant un char de même allure que ceux de la troupe. Il convient de constituer des batteries à 3 chars ordinaires plus un char”
La conclusion générale insistait sur la nécessité de construire d'autres chars, en particulier des chars légers. Le 3e bureau continua de travailler sur les enseignements des combats du 16 avril, notamment en analysant le rapport du général Estienne, et en tira les conclusions suivantes :
“Conclusions tactiques : Ne pas exposer les chars pendant plus d'une heure au tir réglable de l'artillerie. Dans une attaque en profondeur, n'engager les tanks que lorsque les observatoires de première ligne seront en notre possession. L'engagement des tanks ne sera ordonné que par l'armée ou le corps d’armée, exceptionnellement par la division d’infanterie. Le groupe de 16 chars ordinaires est trop lourd. Il faut doter les commandants de groupe et de batteries de chars légers de commandement.”
“Conclusions techniques : La valeur du mécanisme Schneider s'est affirmée dans une épreuve extrêmement dure. Cependant, certaines améliorations sont à faire : il est possible, en particulier, de diminuer les chances d'inflammation sous l'effet des projectiles. Le général Estienne demande que les fabrications soient orientées vers la construction de 2 000 chars légers, 400 chars moyens, 100 chars de poids lourd.”
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