Paris, 23 mars 1918, 7 heures 10. À l’aube du printemps de la victoire, tombent sur le quai de Seine les premiers obus d’une campagne de tir allemande visant, jusqu’au 9 août 1918, la capitale française. Le but des Allemands : précipiter la fin du conflit.
Début mars 1918, la fin des combats sur le front de l’Est donne l’opportunité à l’Allemagne de lancer à l’Ouest une grande offensive pour neutraliser l’armée anglaise, empêcher la montée au front des troupes américaines et pousser la France à la capitulation.
Déclenchée le 21 mars, cette opération est complétée deux jours plus tard par l’entrée en service des Pariser Kanonen, monstres de fer de 210 mm pointés sur Paris. Fruit d’un travail considérable et audacieux de la société d’Alfred Krupp, le ″roi des canons″, la création de ces tubes est un exploit technologique augmentant les capacités de tir de 40 à 120 km de portée.
Projet innovant et secret, le Wilhelmrohr, canon doté d’un tube de 34 m et d’une durée de vie limitée à 64 obus, est prêt en février 1918. Les premières pièces sont acheminées à leur sortie d’usine dans le bois près de Crépy-en-Laonnois (Aisne), où des aménagements sont effectués dès le printemps 1917. Une unité spéciale d’artillerie de la marine allemande est créée, le Marine Sonderkommando 5 000, composé de 3 équipages de pièces, répartis sur 3 positions.
Suite aux premiers tirs, la stupeur est grande à Paris : le front se trouvant à 100 km, il semble impossible qu’une pièce d’artillerie fasse feu à une telle distance. La population et les autorités croient tout d’abord à un bombardement aérien : les Gothas allemands larguent régulièrement des bombes la nuit, depuis janvier. Les renseignements des Crépynois et les études balistiques démontrent l’emploi d’une artillerie très longue portée, ce que confirment les raids aériens d’observation effectués aussitôt. Ces raids, combinés au travail des sections de repérage au son, permettent de situer rapidement et précisément les emplacements de ces pièces exceptionnelles. Dès le lendemain, la contre-batterie française se met en place et les canons de 305 et 340 mm des 77e et 78e régiments d’artillerie lourde à grande portée, ouvrent à leur tour le feu. Les obus tombent près des pièces sans les atteindre causant une douzaine de morts et blessés côté ennemi. Cette contre-batterie, réactive et gênante, ne parvient pas à neutraliser les Pariser Kanonen, démantelés et renvoyés en Allemagne suite à la percée alliée du 8 août.
Sur 44 jours de bombardement, 350 obus font 256 morts et 620 blessés, un bilan malheureux mais qui aurait pu être bien plus lourd. 89 personnes trouvent la mort le 29 mars, en plein office religieux à Saint-Gervais (4e arrondissement). Ce drame aura un retentissement mondial ternissant l’image de l’Allemagne. On estime que 17 % des Parisiens se réfugient en province fin mars, nombre à nuancer par l’arrivée des vacances de Pâques.
De plus, l’espacement des coups – quinze minutes entre chaque tir – permet aux habitants de s’habituer aux explosions et la vie de continuer son cours, ce que souligne L’Illustration du 6 avril 1918 : « La vie publique n’est d’ailleurs modifiée en rien : autobus et métro assurent le service normal […] les terrasses de cafés sont bondées. » Enfin, les dégâts matériels demeurent peu importants et le moral de la population, bien que secoué, s’affermit face à la foudre ennemie. Ainsi, en dépit de l’exploit qu’il a constitué, l’emploi des Pariser Kanonen n’a pas rempli son objectif et a échoué à pousser l’état-major français à l’Armistice. Comme l’écrivit Ernest Lavisse, « Gros canon, tu n’auras pas raison du courage de Paris ».
Feu sur Paris ! L’histoire vraie de la grosse Bertha, de Christophe Dutrône, aux éditions Pierre de Taillac (2012).
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