Dans l’armée de Terre, les saints patrons sont nombreux : Barbe, Michel, Georges et bien d’autres. Ils s’inscrivent dans les traditions et participent à l’esprit de corps. Cela peut sembler paradoxal dans une république définie comme laïque par l’article premier de la Constitution de 1958. Le temps long de l’histoire est souvent nécessaire pour comprendre ces situations contemporaines. Le mot patron - qui vient du latin pater, père - indique une notion qui, à Rome, va au-delà du père en tant que géniteur. Le « patron » est un homme libre, citoyen aisé chef d’un gene c'est-à-dire d’une famille élargie, d’un clan. Le patron a des « clients » : d’autres citoyens pauvres, des affranchis, des étrangers. Dans un cadre d’échanges de services, le patron les protège, les aide à vivre voire survivre.
Avec la chrétienté, le culte des saints se développe en Gaule à la fin du IVe siècle puis son audience s'élargit. Face au reflux de la puissance romaine, les évêques et les fidèles cherchent dans ce culte un remède aux difficultés du temps, une aide, spirituelle ou matérielle.
Le culte des saints protecteurs connaît un grand développement au XIIe siècle : les populations demandent une protection démontrée par des miracles. Les corporations de l’Europe médiévale – les corps de métiers – demandent aussi à un saint ou une sainte sa protection : saint Éloi est le patron des bourreliers et des forgerons, saint Vincent celui des vignerons, sainte Véronique des lingères, sainte Barbe pour ceux qui manient le feu et la poudre, saint Georges pour les cavaliers, etc.
Le saint est ainsi choisi en fonction des liens existants entre ses vertus, sa biographie et les métiers.
Les saints patrons des différentes armes et subdivisons d’arme de l’armée de Terre trouveraient là leur origine. Jusqu’à la Grande guerre, il n’y avait que quatre armes : infanterie, cavalerie et artillerie à laquelle s’agrégeait le génie.
Une partie de l’armée des débuts de la IIIe République tend à s’éloigner du catholicisme ; il est même envisagé de supprimer la fête de Sainte-Barbe dans le droit fil de la loi de séparation des églises et de l’État.
Avec le premier conflit mondial, la motorisation et les nouvelles technologies, le nombre de spécialités militaires s’accroît et le mouvement s’amplifie après le second. Le phénomène est donc relativement récent et de nouveaux saints patrons apparaissent à l’initiative de quelques généraux et aumôniers soutenus par les inspections d’arme.
Une formalisation de ces pratiques est alors établie en droit canon. Un décret du 25 janvier 1952 de la Sacré congrégation des rites à Rome « confirme »,c’est donc que la pratique préexiste, que saint Georges est le patron de la cavalerie, sainte Barbe de l’artillerie et du génie, saint Christophe du train des équipages, saint Gabriel des transmissions, saint Michel des parachutistes, saint Luc du service de santé.
Un peu plus tard, avec ou sans injonction papale, quelques nouveaux saints apparaissent : saint Éloi pour le matériel, saint Sébastien pour l’artillerie de défense aérienne qui veut s’émanciper de l’artillerie de campagne, saint Maurice pour l’infanterie.
Avec sainte Jeanne d’Arc pour le PFAT (personnel féminin de l’armée de Terre), la féminisation des armées est aussi prise en compte.
En 1981, une lettre apostolique de Jean-Paul II, confirme « saint Ambroise évêque et docteur de l’église » comme « patron auprès de Dieu pour les membres de l’administration de l’armée française ».
Un décret de la Congrégation pour le culte divin, signé le 12 janvier 1989 au Vatican, confirme le choix de saint Martin pour le Commissariat.
Un décret du 21 juin1989 de Monseigneur Fillier, évêque aux Armées françaises, désigne l’archange saint Raphaël comme patron de l’école interarmées du renseignement et des études linguistiques.
En 1993, une lettre de Monseigneur Dubos, évêque aux Armées, autorise la célébration annuelle de saint Bernard de Menton comme patron des troupes de montagne, pour deux ans ad experimentum.
En 1994, une seconde lettre permet pour deux ans ad experimentum, la célébration annuelle de sainte Clotilde pour l’aviation légère de l’armée de Terre qui s’émancipe alors de l’artillerie.
Bien que puisant dans l’histoire religieuse, socio-économique et militaire, le culte des saints patrons dans l’armée de Terre se généralise, paradoxalement, dans la deuxième moitié du XXe siècle. Il y a là de quoi interroger l’historien et le sociologue…
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