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Les « alpins » des Pyrénées dans l’entre-deux-guerres

Mise à jour  : 01/02/2019 - Auteur : Commandant Julien Monange

Épisode assez méconnu de l’histoire des troupes de montagne, très concentrée sur les unités du massif alpin, la transformation « montagne » de régiments stationnés dans le Languedoc ou le Roussillon est envisagée par le commandement français dès 1928, afin de renforcer le corps de bataille alpin dans l’hypothèse d’un face à face en altitude avec les troupes alpines de la nouvelle Italie fasciste.

 

Les années suivantes voient de surcroît l’éventualité d’un conflit avec l’Espagne franquiste habiter les esprits des membres de l’état-major, et en particulier celui du général Dosse, commandant la 27e division d’infanterie (Grenoble) qui est convaincu que « l’armée des Alpes » doit être assez consistante et entraînée pour combattre sur un ou deux fronts principaux, sur n’importe quel massif montagneux français ou ennemi. Investi en 1931 du commandement de la 16e région militaire (Montpellier) puis, en 1932, de la 14e région militaire (Lyon), le général Dosse se met à l’ouvrage.

La 31e division d’infanterie est la première à « subir » la transformation de ses 15e régiment d’infanterie (RI) d’Albi et de Rodez, 80e RI de Narbonne et Castelnaudary et 81e RI de Montpellier et Béziers, qui deviennent tous alpins : 15e, 80e et 81e régiments d’infanterie alpine. Chaque régiment arme une section d’éclaireurs-skieurs (SES) à trois groupes (un groupe par bataillon). Les appuis ne sont pas en reste et le 56e régiment d’artillerie de Montpellier devient rapidement le 56e RAM ; le 28e régiment du génie est réarticulé afin de permettre la constitution d’équipages muletiers entraînés dans les Alpes, ancêtres des « sapeurs de montagne ». La 15e compagnie d’engins et de transmissions (CET), dépendant du 15e RI, devient elle aussi « alpine ».

Toutes ces unités, parfois très modérées dans leur enthousiasme de nouveaux convertis au culte de « la grande tueuse », revêtent néanmoins la tarte des alpins (ornée d’une grenade et non d’un cor de chasse) et la tenue kaki, bientôt agrémentée de la nouvelle chemise modèle 35, de la vareuse modifiée modèle 1920 (avec 7 boutons, pattes d’épaule et parements de manches) et surtout du pantalon « golf » modèle 38 si apprécié des troupes de montagne. En manœuvre ou en course en montagne, les RIA revêtent le bourgeron blanc d’exercice, prennent leur Alpenstock et les équipements vieillissant issus de la Grande Guerre : cartouchière en toile et bretelles de suspension en sangle. Les effets « cuir » arrivent par la suite.

La tenue étant déjà fortement évocatrice des troupes de montagne, il faut à présent s’entraîner. Les unités pyrénéennes, tour à tour, rejoignent Montlouis, où des stages de ski sont organisés pour eux en hiver autour de la citadelle Vauban, encadrés par des instructeurs issus des BCA supposés leur inculquer les connaissances de base de leur art. Les stages ont lieu de décembre à mars et durent 45 jours pour la troupe, de 15 à 20 jours pour les cadres officiers et sous-officiers. L’instruction porte essentiellement sur la pratique de la marche avec charge, du ski et l’entraînement du tir au mousqueton (Gras modèle 1874 puis Berthier modèle 1890) «  en site naturel  ».On peut aussi tirer au canon de 37 millimètres modèle 1916 allégé de ses roues et de son bouclier (montagne oblige) et même au mortier de 81 modèle 27-31 Brandt. Les épreuves de fin de stage sont particulièrement difficiles. Il s’agit d’accomplir, tous grades confondus, une course collective en montagne (en montée) de 50 kilomètres, puis une course de descente, une épreuve de slalom, une course individuelle topographique de 12 kilomètres, puis une course en équipe, par relais, de 25 kilomètres avec épreuve de tir de combat.

Cette conversion s’avère concluante. La culture montagne se diffuse correctement dans la 31e DIA et même en dehors des stages à Montlouis, chaque RIA effectue de nombreuses marches d’entraînement et des manœuvres sur les reliefs de leurs garnisons : Montagne Noire, Larzac, Causses, Monts du Roussillon, Alpes du Sud, etc. Les chefs de corps et commandants de bataillon ont tous leur vision pour l’entraînement « montagne » de leurs hommes : les SES des RIA sont chargés de préparer les compétitions de ski organisées par les troupes alpines et sont engagés sur de nombreuses manoeuvres en terrain libre dans des zones d’engagement jugées hautement crédibles dans le cadre d’un déclenchement des hostilités. Les sapeurs de montagne sont envoyés en altitude pour réaliser plusieurs campagnes de travaux en 1933 et 1934 sur la route du Tournairet et les ouvrages du col d’Agnon, de la Déa et de l’Escarène : il s’agit tout autant d’entretenir et d’améliorer les axes d’accès aux points d’appui de la ligne Maginot situés à plus de 1 000 mètres d’altitude, que d’aguerrir les hommes. Dans cette même idée, les Alpins des Pyrénées sont également engagés sur des opérations réelles : pendant la guerre civile espagnole, les SES des 15e et 81e RIA ont pour mission d’assurer des liaisons à ski pour porter le courrier en Andorre lorsque les routes sont impraticables.

Tous sont mis en alerte, tour à tour, sur des secteurs sensibles, pour organiser des piquets de secours en montagne en cas d’avalanches. Enfin, les bataillons d’active du 15e RIA et du 81e RIA sont installés, selon un système tournant, dans des postes de montagne chargés de surveiller la frontière espagnole, tandis que leurs bataillons de réserve nouvellement créés, reçoivent la mission de garder les camps de républicains espagnols réfugiés en France. Renforcée d’un nouveau régiment d’infanterie alpine, le 96e RIA, la 31e DIA est prête à passer sur le pied de guerre au moment de la mobilisation d’août 1939.


Sources : Soldats de France n°11
Droits : armée de Terre/DELPAT