Dès 1914, les tirailleurs dits ″sénégalais″ sont mobilisés pour défendre la France et son empire, participant ainsi aux principaux faits d'armes de notre armée. En 1918, alors que le continent est au bord de la rupture, une ambitieuse mission de recrutement est mise sur pied. Elle est conduite par le premier député originaire de l'Afrique subsaharienne : Blaise Diagne.
« En versant le même sang, vous gagnerez les mêmes droits »
18 février 1918. Dakar. Blaise Diagne, le premier député issu de l'Afrique Noire, parade avec son état-major. Celui-ci est composé de jeunes officiers africains « galonnés d'or, gantés de blanc, bardés de médailles et de fourragères » selon l'écrivain Amadou Hampâté Bâ. L'impression est forte sur les populations locales. La tâche de Diagne n'a cependant rien de facile. Il s'agit en effet de recruter près de 50 000 hommes pour l'effort de guerre. L'Empire français tout entier y a déjà pris sa part. Et le continent africain, en particulier l'Afrique occidentale française (AOF), s'est déjà lourdement acquitté de l'″impôt du sang″. Les tirailleurs dits ″sénégalais″, issus en réalité de la plupart des colonies africaines de la France, ont déjà eu bien des occasions de révéler leur valeur au feu. Dans l'esprit de Charles Mangin, l'auteur de la Force noire en 1910, devenu général au cours du conflit, les soldats africains devaient essentiellement servir dans l'Empire. L'idée était de soulager ainsi les troupes métropolitaines qui, dès lors, pourraient être employées en plus grand nombre sur un hypothétique front européen. Or, ces tirailleurs ont souvent été déployés sur le front Ouest avec bravoure et valeur guerrière.
Cependant, les recrutements ont lourdement pesé sur les sociétés africaines. Plus que jamais soumises au travail forcé, supportant un impôt toujours plus lourd, elles ont souffert du départ d'un nombre important d'hommes valides pour le front. En décembre 1916, 40 000 tirailleurs se trouvent sous les drapeaux. Certes, au total, seulement 4 % de la population de l'AOF a été mobilisée. Mais les faibles densités observées dans l'Afrique sahélienne, la fragilité de ses sociétés agraires ainsi que les pressions et les excès du recrutement conduisent à une très importante révolte en 1915-1916. Survenue dans une partie du Mali et du Burkina Faso actuels, elle couvre un espace de près de 100 000 km² et concerne environ 1 million d'individus. La plus forte concentration de troupes françaises en Afrique subsaharienne depuis la fin du XIXe siècle a été nécessaire pour y mettre fin. Dans le même temps, les tirailleurs sénégalais ont cependant payé un très lourd tribut, dans des proportions similaires à leurs camarades européens. En témoigne le désastre du Chemin des Dames en avril 1917 au cours duquel le général Mangin, commandant la VIe armée, déclare avoir perdu près de 45 % de ses tirailleurs. Dans ce contexte, le gouverneur de l'AOF Joost Van Vollenhoven, tué peu de temps après sur le front, pousse à suspendre provisoirement les recrutements. Mais la Patrie est en danger.
Dans un accès d'optimisme, Diagne estime pouvoir mobiliser plusieurs dizaines de milliers d'hommes supplémentaires en 1918. La mission Diagne est soigneusement préparée. L'objectif est de parcourir les principaux foyers de recrutement en AOF (Dakar, Bamako, Ouagadougou...) et de convaincre les hommes de s'engager. Les images et les discours sont importants tout comme les moyens financiers accordés au député Diagne, nommé pour la circonstance haut-commissaire de la République. De larges promesses sont égrenées tout au long des six mois de la mission. « En versant le même sang, vous gagnerez les mêmes droits » est-il répété à l'envi. La promesse de l'accession à la citoyenneté et des emplois réservés pour les anciens combattants est un argument fort. Diagne favorise ainsi la levée de près de 80 000 hommes dont 63 000 pour la seule AOF.
183 000 tirailleurs sénégalais ont contribué à la victoire finale de la France.
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