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Général Beaudouin : « Nous devons passer de l'adaptation réactive à l'anticipation proactive »

Mise à jour  : 13/06/2018

Le salon Eurosatory contribue, entre autres, à l’entretien des relations de confiance établies avec les industriels et les acteurs du secteur de la Défense. L’armée de Terre de 4e génération sera en effet structurée autour de capacités de très haute technologie et, à ce titre, sera totalement impliquée dans le maintien de l’excellence industrielle française. Le général BEAUDOUIN, sous-chef d'état-major "Plans & Programmes" de l’armée de Terre, nous fait le point sur l’importance de ces liens.

1. Mon général, comment s’organisent les relations de l’armée de Terre avec les industriels ?

Ce sont celles du producteur et du consommateur ! Celles de celui à l'origine du besoin et qui va l’utiliser (l’armée de Terre) et de celui qui le réalise (l’industriel).

Pour autant, cette relation n'est pas en général directement contractuelle. En effet, entre celui qui définit les caractéristiques militaires et celui qui propose l’équipement (système d'armes, d'information et de communication…), il y a celui qui définit les clauses techniques, passe le marché, vérifie les performances et réceptionne initialement le produit : c’est le rôle de la délégation générale pour l'armement (DGA) qui conduit les programmes et opérations d’armement.

Est-ce à dire que l'armée de Terre et l'industrie ne se parlent pas ? Si bien sûr ! Nous travaillons ensemble avant, pendant et après.

Avant, pour toujours mieux acculturer nos industriels de Défense à la spécificité du métier militaire, tant il est vrai que cette connaissance et le partage du retour d’expérience opérationnel sont essentiels pour faire comprendre les besoins actuels et futurs. Pour autant, cet industriel est un professionnel qui connait son métier et sait les champs des possibles en matière de solutions techniques. Il a aussi une expérience d’autres clients (export) qui nous est précieuse.

Pendant le déroulement des opérations d’armement, car nous travaillons en équipes intégrées (DGA/armées/industriels) dès la conception initiale du système et pendant la phase de réalisation.

Après, en assurant directement avec l'industriel le soutien en service et le retour d'expérience issu de l’emploi de l'équipement, tant en entraînement qu'en opérations, pour le faire évoluer face aux nouvelles menaces (c’est l’adaptation réactive) et lors des rénovations à mi-vie. Nous contribuons également bien volontiers au soutien à l'exportation, en liaison avec la DGA et l’état-major des armées (EMA), par des actions concrètes et directes en partenariat avec l'industriel auprès des clients potentiels, puis en partenariat avec les armées détentrices des équipements français, à l'instar des échanges d'unités entre les équipages Leclerc Français et Emiriens.

2. Quelles relations entre industriels et innovations ?

L’innovation est un facteur clé pour maintenir la supériorité de nos forces sur le terrain. De même, l'industrie doit innover pour progresser ou même simplement conserver ses parts de marché. De longue date, le ministère des Armées soutient l’innovation technologique de défense à travers de nombreux dispositifs de soutien à la science et technologie de défense et à la base industrielle et technologique de défense (BITD).

L’accélération des cycles d’innovation ces dernières années, portée par les nouvelles technologies et la révolution numérique issues du monde civil, pose un nouveau défi : le challenge commun de la DGA, des armées (dont l'armée de Terre) et de la base industrielle et technologique (pas uniquement de défense en matière d’innovation tant la dualité civilo-militaire peut désormais être porteuse) est d’identifier les synergies en la matière.

Nous sommes donc extrêmement attentifs aux innovations apportées par toutes les entreprises, des "majors" aux start-up. La tâche est immense. Toute opportunité doit être saisie, de l'entretien bilatéral au forum d’échanges en passant par l’opportunité formidable des salons, dont Eurosatory est un parfait exemple mais je pense aussi à SOFINS ou MILIPOL pour ne citer que les salons en France. Je pense aussi aux salons de technologies nouvelles.

Tout en restant à l'écoute de l'air du temps, des propositions de concepts ou « d’étagères », l’état-major de l’armée de Terre doit, c’est fondamental, alimenter la réflexion. Trois axes d'actions :

1. Le retour d'expérience en opérations. L'ennemi ne se prive pas d'innover et parallèlement nos forces investissent de nouveaux modes d'actions. Il faut sans cesse s'adapter aux menaces, endémiques ou émergentes. D'expérience pourtant, je suis rarement surpris par une urgence opérationnelle. Cela signifie que nous devons passer de l'adaptation réactive à l'anticipation proactive ; il nous faut impérativement, de plus en plus, devancer l'urgence opérationnelle.

2. L'innovation court terme. C'est ce qui a été fait avec le système de lutte anti-drones déployés par la section technique de l’armée de Terre (STAT) lors de la dernière COP 21 en France et le système d'information et de communication crypté 4G AUXYLIUM, géniale invention d'un officier progressivement portée par l'armée de Terre et la DGA et au rendez-vous trois mois après la décision d'industrialisation.

Nous disposons de structures pour cela au sein du ministère et de l’armée de Terre : la STAT, le laboratoire des forces spéciales Terre, le DGA LAB et, depuis peu, le Battle Lab Terre que nous venons de créer et qui aura la mission, en liaison étroite avec le Défense Lab DGA, de porter plusieurs projets innovants par an, tout en coordonnant l’ensemble des projets innovations de l’AdT.

3. La vision prospective. Cet exercice, assez unique dans les armées occidentales, a été réalisé par l'armée de Terre en 2016 avec la publication du document "action terrestre future", en s’évertuant à conceptualiser le champ de bataille 2035. De cette vision, nous sommes passés à la déclinaison capacitaire et posons aujourd’hui des centaines de questions de nature à orienter tant l'innovation que la prospective, et qui devraient trouver réponses, nous le souhaitons ardemment, au sein d’un plan ambitieux d'études amont (études amont qui ne seront pas exclusives de boucles courte de retour pour innerver sans tarder notre armée, dans le même souci d'anticipation proactive).

3. Quelles relations avec les industriels pour garantir la bonne exécution de la LPM pour l’armée de Terre ?

Il s'agit de façon très prosaïque et pragmatique de livrer à temps les équipements prévus ! Nous avons fait d'énormes efforts (des efforts de guerre) depuis l'Afghanistan en infléchissant nos procédures de conduite des programmes pour délivrer au plus tôt, sans attendre la complétude des performances ou des moyens, les nouveaux équipements sur les théâtres.

Cette action a été conduite notamment en concentrant les périodes d'essais et d'évaluation industrielles et étatiques. Il faut maintenant mettre en œuvre d’autres pistes pour raccourcir le cycle de l’expression initiale de besoin à la livraison des systèmes d'armes, d'information et de communication, et mieux profiter des innovations et des opportunités d’amélioration. Pour cela, nous sommes disposés avec la DGA à nettement innover en la matière.

C'est notamment l'objet d'une feuille de route CEMAT/DGA approuvée par la ministre des Armées sur trois nouveaux systèmes d'armes Scorpion à venir. Le "trilogue" Armée/DGA/Industriels débutera dans une logique d'échanges en plateaux en faisant effort sur l'analyse fonctionnelle et de la valeur, sans "verrouiller" en amont nos besoins, laissant ainsi la place au dialogue constructif commun avec les industriels.

Voilà bien une approche vertueuse, visant à réduire drastiquement les risques initiaux des programmes et entériner une approche incrémentale. Nous pouvons de cette sorte gagner plusieurs années. Nous le devons pour nos soldats. J’emploie souvent cette citation de Mirabeau parfaitement adaptée aux armées : « gardez-vous de demander du temps, le malheur n’en accorde jamais ».


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