L’aspirant de réserve Charles-Henry de Pirey était parti pour un service militaire tranquille dans un Maroc en paix. Mais une rencontre fortuite l’amena à se porter volontaire pour la guerre d’Indochine où il fut un des rares rescapés du désastre de la Route coloniale n°4.
Étudiant en droit, Charles-Henry de Pirey résilie son sursis d’incorporation en 1948 à l'âge de 20 ans. Il est appelé à servir comme soldat de 2e classe dans l’arme du train. Admis au peloton des élèves-officiers de réserve, il est affecté en 1949 comme aspirant au Maroc. Pendant ses loisirs, il passe ses journées à la plage et participe à des soirées dansantes avec la jeunesse du cru. Un jour, il reçoit comme mission de commander les camions qui emmènent vers des champs de tir un ″tabor″ (bataillon) de ″goumiers″ marocains, des soldats de métier d’origine berbère, qui se préparent à partir combattre en Indochine aux ordres de leur encadrement français. « Une fois, à la popote du tabor, j’ai dit mon admiration pour cette unité dont nombre de soldats étaient des vétérans de la Seconde Guerre mondiale, explique Charles-Henry de Pirey. Un lieutenant me dit alors : ″Tu n’as qu’à venir avec nous″, et je lui dis en retour ″Chiche !″ ». Contrairement à la guerre d’Algérie, la guerre d’Indochine était conduite entièrement par des soldats professionnels, les rares appelés étant des volontaires. Le capitaine (futur général) André Feaugas, commandant le 1er tabor, manquant de personnel encadrant, obtient la mutation de l’aspirant de Pirey qui suit des ″cours particuliers″ de combat d’infanterie avec les officiers de l’unité avant leur arrivée en Indochine en mai 1950.
En octobre de la même année, le 1er tabor est presque totalement décimé lors du ″désastre de la RC 4″ . Deux grandes colonnes françaises sont anéanties dans la jungle tonkinoise, le long de la frontière chinoise. L’aspirant de Pirey, quoique blessé, est un des trois seuls officiers rescapés de son bataillon qui laissa environ 450 hommes sur le terrain sur 600 engagés. Le jeune officier raconte dans ses mémoires, les scènes dramatiques observées quand il cherchait avec ses goumiers à briser l’encerclement de l’ennemi Viet Minh. Le terrain se révéla cauchemardesque : une brousse impénétrable, traversée de minuscules sentiers bordés de précipices. Tout à coup parmi les cris qui fusent, un hurlement déchirant ; un vieux goumier barbu, qui n’a pas voulu lâcher la plaque de couche de mortier dont il a la charge, fait le grand plongeon. La lourde pièce d’acier nous frôle comme une météorite et aplatit en bas un malheureux qui devait se croire provisoirement tiré d’affaire. Le barbu bat l’air de ses bras, comme un pantin désarticulé, et après avoir ricoché, s’écrase près de son fardeau meurtrier. À sa sortie d’hôpital, le nouvellement promu sous-lieutenant de Pirey est brièvement détaché de son unité, reconstituée pour garder le légendaire pont Paul Doumer à Hanoï. « Quand je recevais un appel téléphonique, je répondais : ″Ici le sous-lieutenant de Pirey, commandant le pont Paul Doumer″. Comme cela faisait un peu long, bientôt je ne répondais que ″Ici le commandant du pont″, […] Ce qui fait qu’ensuite, mes camarades se moquaient gentiment de moi en m’appelant le commandant Dupont ! »
En 1951, il est muté sur ordre personnel du général de Lattre comme adjoint de son fils, le lieutenant Bernard de Lattre, qui commande un escadron au 1er régiment de chasseurs. Mais avant que le sous-lieutenant ne rejoigne sa nouvelle affectation, Bernard de Lattre est tué au combat. Le sous-lieutenant de Pirey bénéficie à nouveau de rapides cours individuels et reçoit le commandement d’un peloton de chars M-5 du 1er chasseur. Il participe à plusieurs des grandes batailles victorieuses de 1951 ″l’année de Lattre″ pendant laquelle il sera encore blessé. Quand il quitte l’Indochine en 1952, Charles-Henry de Pirey est lieutenant d’active. Nommé aide de camp du résident-général au Maroc, il se porte volontaire en 1954 pour suivre des cours de pilote d’avion et d’hélicoptère dans la toute nouvelle aviation légère de l’armée de Terre (ALAT). Il y devient pilote instructeur puis chef pilote. Le capitaine de Pirey quitte l’armée en 1957 pour devenir pilote d’essai d’hélicoptères civils, réussissant plusieurs ″premières″ en altitude, dans les Andes. Il sera le premier à poser un hélicoptère sur un volcan en activité (en Iran) et cumulera plus de dix mille heures de vol en vingt-cinq ans.
Charles-Henry de Pirey fut nommé chevalier de la Légion d’honneur à titre exceptionnel à seulement 24 ans. Par la suite, il fut élevé au grade de commandeur et cité quatre fois à l’ordre de l’armée en deux ans.
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