L’héritage de la Grande Guerre et le spectre de la guerre des gaz.
La Grande Guerre amène les principales puissances à redouter l’arme chimique. En 1925, le Protocole de Genève prohibe le recours à la guerre chimique mais pas sa préparation.
La doctrine française est très claire : « Respectueux des engagements internationaux auxquels la France a souscrit, le gouvernement français s’efforcera au début d’une guerre, et d’accord avec les Alliés, d’obtenir des gouvernements ennemis l’engagement de ne pas user de gaz de combat comme arme de guerre. Si cet engagement n’est pas obtenu, il se réservera d’agir suivant les circonstances ». Durant l’entre-deux-guerres, l’armée française conserve ses capacités de guerre chimique. La protection contre les gaz représente une part importante de l’instruction des troupes. Parallèlement, les recherches scientifiques se poursuivent afin de préparer une riposte éventuelle. Si l’Espagne emploie l’arme chimique durant la guerre du Rif en 1925-1926, la France n’y a pas recours même si des obus chargés en ypérite sont effectivement envoyés au Maroc à titre de précaution.
L’emploi de l’arme chimique semble inéluctable en cas de guerre en Europe. La menace aérochimique amène la création de mesures spécifiques de défense passive avec notamment la distribution de masques pour la population civile à la fin des années 1930. La construction des ouvrages fortifiés de la Ligne Maginot voit la mise en place de systèmes de protection collective hautement sophistiqués et d’une efficacité remarquable. La coopération franco-britannique en matière de guerre chimique est relancée à partir de 1938.
Lorsque le second conflit mondial se déclenche, l’apocalypse chimique ne se produit pas. Il y a toutefois des allégations d’emploi en Pologne et lors de l’offensive de la Sarre en septembre 1939. Un renseignement évoquant l’emploi possible par l’Allemagne de l’hydrogène arsénié crée une véritable crise à l’automne 1939. En effet, ni les appareils de protection individuelle ni les filtres des ouvrages fortifiés n’assurent une protection efficace. Les services chimiques français doivent donc improviser dans l’urgence de nouvelles cartouches filtrantes, les fabriquer et les distribuer en quelques mois. Une dotation de pélerines et de lunettes de protection contre les épandages d’ypérite sont aussi en cours de réalisation au printemps 1940.
L’effort d’armement est considérable avec l’accélération de la construction de deux poudreries dédiées à la fabrication de produits spéciaux (Boussens et Mauzac) ainsi que les travaux pour réaliser des ateliers de chargements (Lannemezan et Cerdon). La France fait alors reposer sa capacité de riposte chimique sur des bombes et grenades d’aviation spéciales délivrées par l’aviation et par des obus spéciaux tirés par l’artillerie.
En décembre 1939, est créé à Bruyères, près de Laon, un groupe de fumigènes, rebaptisé 4e groupe autonome d’artillerie (GAA) en mars 1940, afin de mettre en œuvre d’autres armes chimiques. De façon inattendue, le 4e GAA est incorporé à la 4e division cuirassée (DCR) par le général de Gaulle lorsque celui-ciarrive à Laon : « En fait de troupes françaises, il n'y a dans la région, que quelques éléments épars appartenant à la 3e division de cavalerie, une poignée d'hommes qui tient la citadelle de Laon et le 4e groupe autonome d'artillerie, chargé d'un éventuel emploi d'engins chimiques, oublié là par hasard. Je m'annexe ce groupe, formé de braves gens qui n'ont d'armes que des mousquetons, et les dispose, pour la sûreté, le long du canal de Sissonne. Le soir même, les patrouilles ennemies prennent, déjà, leur contact. » Le 4e GAA, combattant à pied, est désengagé le 20 mai 1940 pour participer à l’évacuation du stock d’ypérite de la batterie de Bruyères menacée par l’avancée allemande.
Il n’y a pas d’emploi avéré de l’arme chimique durant la campagne de mai-juin 1940 bien qu’un certain nombre de fausses alertes sont recensées. En revanche, les occupants des ouvrages fortifiés doivent à plusieurs reprises combattre le masque sur le visage pour se protéger des fumées dégagées par les explosions alors que la ventilation est endommagée. La garnison complète de l’ouvrage de La Ferté (106 hommes) succombe ainsi à l’asphyxie le 18 mai 1940.
Le 3 juin 1940, le général Besson commandant le groupe d’armées n° 3 demande au grand quartier général d’étudier l’emploi de l’arme chimique, à titre de riposte, pour tenter d’enrayer l’avance allemande. De leur côté, les Allemands redoutent l’emploi des gaz par les troupes françaises lors de l’assaut sur la ligne Weygand début juin 1940. Redouté avant les hostilités, l’emploi de l’arme chimique n’a finalement pas lieu mais la menace chimique perdure tout au long du conflit et sur tous les théâtres d’opérations.
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