Charles-Philippe David (dir.),
Théories de la politique étrangère américaine. Auteurs, concepts et approches,
Montréal, Les presses de l’université de Montréal, 2012, 530 pages.
Par Gilles RIAUX, chargé d'étude au domaine "Sécurités régionales comparées" de l'IRSEM.
Avec cet ouvrage, les politistes du Québec font encore une fois la preuve de leur capacité à aborder collectivement un objet aussi complexe que la politique étrangère des États-Unis. Leur familiarité avec la production scientifique américaine offre un tour d’horizon systématique et exhaustif de la question. Il répond clairement à l’objectif pédagogique de l’ouvrage puisque c’est un manuel présentant les principaux courants théoriques qu’ont rédigé les auteurs, sous la direction de Charles-Philippe David. Le livre sera utile aux étudiants et à toute personne qui souhaitent mieux appréhender les ressorts de la politique étrangère de la première puissance mondiale. L’ouvrage s’adresse aussi aux futurs et jeunes chercheurs : il indique certains points aveugles de la recherche liés à certaines approches de l’objet politique étrangère et propose des pistes de travail pour renouveler son étude. Chaque chapitre est accompagné d’une petite annexe faisant état des auteurs les plus influents et des ouvrages les plus marquants. Elle constitue un complément utile pour qui veut approfondir une question et comprendre comment se structure un courant de recherche. Quatre grandes approches théoriques sont identifiées pour se repérer dans la masse des travaux sur la politique étrangère américaine et structurer le manuel : les approches culturelles, structurelles, pluralistes et décisionnelles.
Les approches culturelles s’intéressent principalement à ce qui fait la particularité de la politique étrangère américaine. L’exceptionnalisme de la destinée américaine dans le monde contribue à forger la position internationale de Washington, mais aussi les débats publics sur la politique étrangère aux États-Unis (Gilles Vandal). Ces débats apparaissent également dans le chapitre de Bernard Lemelin qui dresse une histoire de la politique étrangère américaine à travers dix tournants. Une telle scansion est surtout révélatrice de la politisation de certains enjeux de politique étrangère, qui très tôt dans l’histoire américaine apparaissent comme des problèmes publics. David Grondin présente des recherches plus novatrices qui se focalisent sur les discours et les pratiques culturelles de politique étrangère. Ce courant critique propose d’interpréter la politique étrangère comme une construction identitaire national qui, dans le cas américain, participe à sa vocation à exercer une sorte de magistère mondial depuis les rives du Potomac.
Les approches structurelles s’inscrivent prioritairement dans le courant réaliste des relations internationales en étudiant les facteurs externes et internes de la puissance américaine. Elles permettent un retour sur la tentation impériale américaine de l’ère Bush qui a suscité un renouveau des débats sur le rôle des États-Unis dans le système international (Charles-Philippe David et Julien Tourreille). En complément d’une approche néo-réaliste de la puissance américaine, Barthélémy Courmont et Pierre-Alain Clément explorent chronologiquement la pensée géopolitique américaine pour voir comment les ressources et les contraintes, qu’elles soient géographiques, économiques, démographiques ou technologiques, ont été mobilisées dans l’analyse de la politique de Washington. Elisabeth Vallet traite des débats constitutionnels récurrents sur la répartition des prérogatives de politique étrangère. Le flou constitutionnel offre une marge de manœuvre aux acteurs de la politique étrangère dont l’étude permet de saisir le poids réciproque mais évolutif des institutions.
Les approches pluralistes s’intéressent aux différents acteurs qui participent au processus d’élaboration de la politique étrangère. Leur importance est reconnue et étudiée depuis longtemps aux Etats-Unis. C’est une répartition très classique du travail qu’ont choisi les auteurs avec un chapitre de Frédérick Gagnon sur le rôle du Congrès[ (voir aussi à ce sujet les Cahiers de l'IRSEM n°15 : le Congrès, acteur essentiel de la politique étrangère et de défense des États-Unis), celui de Donald E. Abelson sur les lobbies et les think tanks et de Karine Prémont sur l’opinion publique et les médias. Ensemble, ces trois chapitres permettent de présenter les principaux travaux et les controverses sur le poids respectifs d’acteurs extérieurs à l’administration dans la définition de la politique étrangère. Mais ils ont pour problème d’isoler les acteurs et de perdre de vue l’arène que constitue l’espace où interagissent les différents acteurs de la politique étrangère.
Les approches décisionnelles viennent clore l’ouvrage pour étudier l’influence des décideurs issus de l’administration sur la politique étrangère américaine. Bien évidemment, la figure centrale est celle du président qui personnifie à lui seul l’action extérieure des États-Unis. L’étude de la présidence constitue un domaine bien identifié de la science politique américaine qui, en termes de politique étrangère, s’articule autour de l’évolution diachronique de l’institution présidentielle et des présidents et leurs types de leadership (Sébastien Barthe). En revenant sur une des critiques les plus anciennes de la rationalité en politique étrangère, Tanguy Struye de Swielande montre comment les processus cognitifs jouent à plusieurs échelles (individuelle, du groupe et nationale), à travers plusieurs exemples tirés de l’histoire américaine récente. Enfin, le dernier chapitre de Charles-Louis David revient sur les théories bureaucratiques du processus décisionnel qui rendent compte de la complexité et de l’imprévisibilité des décisions. Il insiste sur la nécessité de renouveler cette tradition d’analyse en partant des individus et de leurs capacités d’accès aux plus hautes autorités.
Le lecteur se voit donc proposer un large panorama de la politique étrangère américaine. Il permet de voir la complexité des mécanismes décisionnels et la dimension pluraliste de la politique étrangère américaine, autant que ses facteurs structurants. La variété des approches présentées montre le refus d’une grande théorie explicative de l’action extérieure des États-Unis et l’autonomie du domaine d’études que constitue la politique étrangère. Certes, une mise en cohérence plus forte de l’ouvrage avec une introduction et une conclusion plus étoffées auraient sans doute permis d’identifier plus clairement les points forts des travaux sur la politique étrangère américaine, pour appréhender les principales règles de son élaboration et saisir ce qui lui est spécifique. Un index thématique s’avérerait très utile pour se servir au mieux de ce manuel en permettant au lecteur de se déplacer plus aisément entre les courants théoriques. Malgré ces limites éditoriales, l’ouvrage constitue un formidable outil pour les praticiens et les chercheurs qui s’intéressent à la politique étrangère américaine, et à celle d’autres pays car les États-Unis restent le cas d’étude par excellence pour la politique étrangère.
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